Intervention de la FIDH sur la situation générale des droits de l’Homme en Afrique

L’Afrique a été portée sous les feux de l’actualité en ce début d’année 2004. Certains évènements ont pu être célébrés dans la joie - l’entrée en vigueur du Protocole portant création de la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples et la commémoration des 10 de la fin de l’apartheid en Afrique du Sud et l’élection du président Nelson Mandela. Mais ces moments si important soient ils pour ce continent, ont été assombris par la terne actualité des droits de l’Homme dans plusieurs pays africains accompagnée par le souvenir effroyable du génocide rwandais endeuillant l’humanité d’un million de morts il y a 10 ans.

La FIDH a publié de nombreux rapports depuis janvier sur le Bénin, la Guinée, la République démocratique du Congo, le Congo-Brazzaville, le Soudan, le Togo, etc., et a pu réagir sur la situation des droits de l’Homme dans un certain nombre d’autres pays par le biais de communiqués, d’appels urgents sur les défenseurs, d’interventions auprès de la Commission des droits de l’Homme des Nations unies.

Cette expertise lui permet de dresser le constat suivant :

Des situations urgentes de graves et massives violations des droits de l’Homme inquiètent profondément la FIDH et supposent une intervention ferme de la Commission africaine

Au Soudan, les affrontements dans la région du Darfour, qui opposent les forces du gouvernement et les milices alliées Janjaweed, aux groupes rebelles armés SLA et JEM, ont connu une dramatique recrudescence durant les derniers mois. Les populations civiles de la région, en particulier les communautés Fur, Zaghawas et Massalit, demeurent la principale cible des attaques, et des milliers de personnes ont été contraintes de fuir leurs terres et leurs villages dévastés. Selon les estimations des Nations Unies, 750,000 personnes ont été déplacées dans la province du Darfour, et entre 100 et 130,000 personnes ont trouvé refuge au Tchad frontalier. Aujourd’hui, tout l’ouest du Soudan est touché par une crise humanitaire d’une extrême gravité. en raison du manque de sécurité dans la région, la plupart des organisations humanitaires n’ont pas accès à la province du Darfour, et sont dans l’impossibilité de subvenir aux besoins des réfugiés en eau potable, en nourriture, en abris et en soins médicaux. Depuis que le gouvernement a lancé une vaste campagne de terreur dans la région, les populations civiles sont constamment soumises à des attaques aussi violentes qu’aveugles, qui auraient fait près de 10 000 victimes. Les témoins rapportent de nombreux cas de détentions arbitraires, et dénoncent l’usage régulier de la torture, les enlèvements et les exécutions extrajudiciaires des personnes suspectées de soutenir les rebelles, ainsi que le viol systématique des femmes et des jeunes filles.
En Côte d’Ivoire, la répression des manifestations de l’opposition ivoirienne les 25 et 26 mars 2004, à Abidjan et dans le reste du pays a causé la mort d’environ 200 personnes - exécutés sommairement - et fait 400 blessé. Les autorités évoquent toujours le nombre de 37 morts. Cet événement sanglant confirme l’enlisement du conflit ivoirien marqué par la l’extrême lenteur de l’application des Accords de Marcoussis, pourtant endossé par le Conseil de sécurité. L’impunité continue de prévaloir en Côte d’Ivoire, situation clairement et régulièrement identifiée comme facteur de risque majeur de violations des droits de l’Homme.
Les crimes commis en Côte d’Ivoire et au Soudan peuvent être qualifiés de crimes de guerre, voire de crimes contre l’Humanité. Au Burundi, en Ouganda, en Somalie, au Congo Brazzaville dans la région du Pool, des crimes similaires sont toujours d’actualité. A l’instar de l’Ouganda ces pays n’ont bien évidemment pas ratifiés le Statut de la Cour pénale internationale. Il est essentiel que cette Cour puisse élargir son champ de compétence à ses situations et nous devons donc ménager aucun effort pour rappeler aux gouvernements africains l’importance de la ratification du Statut de la CPI ainsi que de l’adaptation en droit interne de ses dispositions, notamment la définition des crimes.

Lenteurs et fragilité des processus de paix en cours

Il est étonnant de signaler que la plupart des pays dans lesquels ces crimes internationaux sont commis connaissent des processus de transition démocratiques ou accords de paix : au Burundi, au Soudan, en Côte d’Ivoire, au Congo Brazzaville. Plusieurs remarques par rapport à ce paradoxe effrayant :

Il ne suffit pas d’apposer son paraphe au bas d’un papier pour que les bonnes intentions transparaissent en actes. Comment donner du crédit au cessez-le-feu au Soudan lorsque tous les jours, les populations civiles subissent les affres des attaques de milices gouvernementales et rebelles. Des accords de paix ne sont pas une fin en soit mais un moyen, une feuille de route pour accomplir cet objectif. Pour ce faire, le respect des délais dans la mise en application des dispositions est essentiel au succès d’un tel processus sous peine d’exaspération. La non application des Accords de Marcoussis a attisé les tensions en Côte d’ivoire et dans la région du Pool au Congo Brazzaville. Un scénario similaire ne doit pas voir le jour en RDC.
Surtout, la lutte contre l’impunité doit être une des premières pierres, si ce n’est la première, portée à l’édifice de la construction de l’Etat de droit. Trop longtemps, la justice fut mise de côté au prétexte qu’elle n’est pas compatible avec la réconciliation nationale. Combien de personnes ont été victimes de cette affirmation ? Il faut au contraire juger les responsables des crimes les plus graves, donner aux victimes le droit à un recours judiciaire effectif pour mettre un coup d’arrêt à l’impunité et prouver que le droit prime dorénavant sur l’arbitraire.

C’est pourquoi la FIDH a accueilli avec intérêt la décision du procureur de la Cour pénale internationale d’ouvrir prochainement ses deux premières enquêtes sur la situation en RDC et en Ouganda, sans oublier que ses pays gardent la responsabilité première de juger devant leurs tribunaux les responsables des crimes internationaux.
La FIDH contribuera par la soumission de rapports à nourrir ces procédures en informant le procureur sur les crimes commis sur ces territoires mais elle continuera aussi, comme elle l’a fait pour la République centrafricaine et la République démocratique du Congo, de « saisir » le procureur sur des dossiers non avancés par les Etats, tout ceci dans le but de permettre aux victimes d’exercer leur droit à un recours effectif, notamment en les accompagnant dans des procédures de répression judiciaire des crimes internationaux.

Ces situations de transition vers la paix sont par essence fragile et pour pas qu’elles ne deviennent précaires, il est nécessaire que la communauté internationale y apporte son soutien. Un soutien raisonné qui se fonde notamment sur la mise en œuvre rapide des dispositions relatives aux droits de l’Homme, et plus particulièrement d’une justice impartiale, accessible et réparatrice.

Violations des droits civils et politiques

Malheureusement, les situations de conflits ne sont pas les seules qui connaissent d’importantes violations des droits de l’Homme.
Si la sécurité est aujourd’hui au cœur des politiques africaines, à l’instar de la communauté internationale, les gouvernants devraient particulièrement s’intéresser à la sécurité des droits de l’Homme.
L’arsenal juridique africain est en train de s’étoffer : rédaction d’un protocole sur la lutte contre le terrorisme, protocole sur le droit des femmes, conventions sur les réfugiés, sur la corruption,... Mais une fois encore il faut passer des intentions aux actes : c’est en cela que le rôle de protection dévolu à la Commission des droits de l’Homme et des peuples est essentiel - notamment ses mécanismes internes sur le droit des femmes, des défenseurs des droits de l’Homme, les conditions dans les prisons, la liberté d’expression... - et que la naissance de la Cour africaine des droits de l’Homme est d’importance, surtout si les Etats parties permettent à leur ressortissant et aux ONG de la saisir directement.

Les dispositions de la Charte africaine sont bafouées :

Les cas d’arrestation et de détention arbitraires sont multiples : arrestations sans fondement légal, non présence de l’avocat, interdiction des visites, mauvais traitements, non accès aux services médicaux, délais irraisonnables de détention, sont manifestes en Tunisie, en Libye, en RDC, au Zimbabwe, au Bénin, au Togo, au Congo-Brazzaville, au Cameroun au Soudan... La vérité sur les milliers cas de disparitions forcées en Algérie n’a toujours pas été faite.
La torture est pratiquée en Tunisie, en Algérie, en Mauritanie, au Zimbabwe, au Libéria, en Libye, au Soudan, au Bénin, au Cameroun, au Togo...

La militarisation de la justice, la partialité des juges, les jugements insusceptibles de recours menant à des verdicts iniques mettent en péril l’établissement d’Etats de droit en Afrique. La peine de mort est encore prononcée au Tchad, au Rwanda, au Soudan, au Nigeria, au Bénin, en Egypte...

En outre, les dispositions des législations anti-terroristes en Tunisie ou des lois d’état d’urgence en Egypte, en Algérie et en Libye et le recours à des tribunaux d’exception légitiment de fréquentes violations des droits de l’Homme.

La FIDH a également pu établir que les conditions de détentions dans la plupart des prisons africaines s’apparentent à des traitements, inhumains et dégradants, comme au Congo-brazzaville au Cameroun, au Togo, au Bénin. Surpopulation carcérale due notamment au grand nombre de détentions provisoires, accès payant aux soins, assistance judiciaire déficiente, etc.

Quant aux libertés de la presse, de conscience, de manifestation et d’association, elles sont encore un luxe dans de nombreux pays. La liberté d’association et de manifestation est totalement inexistante en Libye par exemple.

Violation des droits économiques sociaux et culturels

L’incapacité d’exercer les droits civils et politiques, le sentiment d’insécurité, les instabilités et conflits trouvent souvent leur source dans les violations des droits économiques et sociaux pourtant garanties par le Pacte international y relatif et la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples.

 70 % de la population congolaise vit en dessous du seuil de pauvreté.

 Pourtant, le Congo dispose d’un important potentiel économique, notamment en raison de la présence de pétrole dans ses eaux territoriales, pétrole qui représente 67 % du PNB, 95 % des exportations et 78 % des revenus de l’Etat .
Face à ce constat, la FIDH a mandaté une mission d’enquête afin de répondre une double interrogation :
 Pourquoi un pays doté d’un tel potentiel économique voit sa population dans une telle précarité ?
 Où va l’argent du pétrole et à quoi sert-il, puisqu’il ne permet pas une amélioration des droits fondamentaux de la population, comme l’y obligent pourtant les conventions internationales qu’il a ratifiées ?

Pour répondre à ces questions, la mission s’est livrée à une analyse du budget de l’Etat et des mécanismes de gestion de la rente pétrolière, principale "recette" du budget.
Le rapport conclut à un certain nombre de violations des droits de l’Homme, il précise la responsabilité de l’ensemble des acteurs concernés par le pétrole au Congo brazza et formule des recommandations à chacun d’entre eux.

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