Discours de clôture, par Roger Bouka, Secrétaire-général de la FIDH

Les trois jours que nous venons de passer ensemble dans ce forum ont été un formidable moment de discussions, de partage et d’expression libre sur la situation des droits de l’Homme dans de nombreux pays ; Nous avons pu approfondir nos connaissances sur un certain nombre de droits spécifiques ; développer des stratégies pour une meilleure protection et promotion des droits garantis par la Charte et faire ressortir des recommandations importantes à l’adresse de la Commission et des États parties.

Remercions à cet égard les Commissaires, membres de l’Union africaine et juges de la Cour
africaine qui ont honoré nos travaux de leur présence permettant d’enrichir nos débats et d’établir
des liens essentiels et perspectives de coopération.

Permettez-moi également de profiter de l’honneur qui m’a été fait de clore ce forum, pour adresser
au nom de tous nos sincères remerciements à Madame Hannah Forster. Merci beaucoup Hannah
de cette opportunité fantastique que le Centre, toute votre équipe et le sterring committee, donnent
aux organisations de la société civile de nous rencontrer et d’échanger sur la situation des droits
de l’Homme sur notre continent et de nous préparer au mieux pour les sessions de la Commission.

Madame Forster, je manquerai à mon devoir si je ne vous adressais pas toute l’amitié que vous
porte la présidente de la FIDH, Souhayr Belhassen, qui aurait tant souhaité pouvoir être présente
aujourd’hui pour vous l’exprimer de vive voix. Mais comme vous le savez, son action militante l’a mené à se rendre en Tunisie, son pays, pour suivre ce moment si attendu et prometteur de
l’élection de l’Assemblée constituante qui débouchera, nous le souhaitons, sur une Tunisie
respectueuse des droits humains.

Le printemps des peuples qui a germé avec la révolution de Jasmin en Afrique du Nord est une
bouffée d’énergie et d’espoir pour tous ceux qui militent pour le respect des droits garantis par la
Charte. Ayons en mémoire toutes ces années où nos amis défenseurs de Tunisie, de Libye ou
d’Égypte venaient dénoncer devant la Commission les violations des droits commises dans leur
pays sous les sourires, voire les menaces, des représentants des autorités. Combien de nos amis
ont même été interpellés ou arrêtés suite aux propos tenus lors de nos assemblées. Comment ne
pas nous réjouir aujourd’hui de voir ces même propos repris par des populations entières et qui
avec courage et détermination appellent à la mise en place de régimes démocratiques et
respectueux des libertés fondamentales.

Ces protestations populaires qui dépassent les dunes du Sahara sont l’expression même de
l’universalité et de l’indivisibilité des droits de l’Homme et démontrent la portée, la justesse et la
force de notre combat si souvent raillé ou étouffé par nos gouvernements.

Cet élan de liberté doit être porté, accompagné pour ne pas hypothéquer le formidable espoir qu’il suscite. Appelons la Commission à porter une attention particulière à cette situation pour faire en
sorte que la Charte africaine devienne le socle des Constitutions de tous ces pays.

Mais ce soleil venu du nord n’a fait qu’éclairer les zones les plus sombres de notre continent. Et
nous pouvons dire qu’à l’instar de nos amis militants du monde entier ce Forum fut aussi l’occasion d’exprimer notre indignation !

Nous avons dit notre indignation face aux situations de conflit qui perdurent où les droits les plus
fondamentaux comme le droit à la vie, l’interdiction de la torture, le droit à une justice
indépendante et effective, sont piétinés.
C’est le cas à l’Est de la RDC, au nord de la RCA et en Somalie, où dans ce dernier pays la guerre
civile martyrise toujours la population civile en proie à l’exode forcé pour se protéger des combats
et exacerbe une situation de famine abominable.

C’est le cas au Soudan où depuis le début du mois de juin, l’armée soudanaise est engagée dans
une guerre dans les régions du Sud-Kordofan et du Nile Bleu. Des témoignages effrayant font état
de bombardements à l’aveugle causant de nombreuses victimes parmi la population civile,
d’exécutions sommaires, de destruction de biens et de pillages, sans que soit autorisée une
présence des organisations humanitaires.

Nous avons aussi évoqué les cas des processus électoraux qui, dans certains pays, au lieu d’être
une fête de la démocratie et l’expression de la volonté populaire, constituent des moments de
grande tension et d’instabilité. A cet égard, nous avons pu exprimer notre inquiétude concernant
les prochaines échéances électorales en RDC, au Zimbabwe, au Kenya et même au Sénégal. Nous espérons que la Commission saura relayer notre préoccupation et appeler les États
concernés au respect de la Charte sur la démocratie, les élections et la gouvernance.

Nous avons pu également exprimer notre forte préoccupation quant aux situations fragiles en Côte
d’Ivoire ou en Guinée, deux pays qui ont connu des crises importantes et des graves violations des
droits humains et où les tensions politiques, ethniques et sécuritaire font craindre à nouveau le
pire. Nous avons entendu des témoignages poignants, émouvants, révoltants, décrivant l’ampleur
et la diversité des violations des droits humains dans de trop nombreux pays stigmatisant sans
être exhaustif la pratique de la torture, le harcèlement et les menaces contre les défenseurs, les
répressions brutales et disproportionnées des manifestations, les arrestations et détentions
arbitraires, les violations des droits économiques et sociaux, les violations des droits des individus
en raison de leur orientation sexuelle.

Notre indignation fut grande. Elle ne doit pas être vaine. Elle s’est exprimée de manière
constructive au travers de projets de résolutions et de recommandations soumises à la
Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples et que nous espérons voir adoptées
et prises en compte. La Commission est devenue au fil des ans un espace formidable d’expression
pour les défenseurs. Un lieu essentiel d’échange avec les commissaires, les représentants des
États, des OIG et des institutions nationales, sur la situation des droits de l’Homme en Afrique.
Faisons en sorte que la Commission puisse toujours aller de l’avant en affirmant son
indépendance, en adoptant un plus grand nombre de résolutions condamnant la violation des
droits dans tel ou tel État, en ayant les moyens de contrôler le respect de ses décisions et en se
faisant le fer de lance de la protection des droits comme ceux liés à l’environnement, à l’orientation
sexuelle ou encore à la responsabilité des entreprises. C’est le rôle de la Commission de guider
les États dans le respect de nos droits. Elle doit être aux avants gardes de nos combats.

La Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples a trente ans. Cet instrument
fondamental a été la base d’évolution extrêmement importantes dans nos sociétés. Mais comme
nous l’avons vu ces 3 derniers jours, la protection des droits garantis par la Charte demeure une
exigence quotidienne.

Cette exigence est plus que jamais portée par les individus et les peuples de notre continent qui
chaque jour bravent l’arbitraire pour réclamer de manière indivisible la réalisation des droits civils,
politiques, économiques, sociaux et culturels. Cette exigence est relayée avec courage et
abnégation par les organisations de la société civile et leurs membres, femmes et hommes, qui
appelent au respect de ces droits, souvent au péril de leur vie. Je voudrais clore ce forum en
affirmant que l’anniversaire de la Charte est une occasion unique de rendre hommage au travail
extraordinaire de ces militants, à votre travail.

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