Intervention écrite de l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme

La FIDH et l’OMCT, dans le cadre de leur programme conjoint, l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme, se félicitent vivement de la création d’un point focal sur les défenseurs des droits de l’Homme lors de la 34ème session de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples et appellent à sa reconduction dans un contexte où les violations à leur encontre se multiplient.

L’Observatoire souhaite en effet attirer l’attention des membres de la Commission sur la persistance des graves violations des droits de l’Homme perpétrées contre les défenseurs des droits de l’Hommme dans les pays membres de la Commission africaine des de l’Homme et des peuples.

L’Observatoire s’inquiète notamment de la recrudescence de l’utilisation par certains États de méthodes répressives telles que les arrestations, détentions arbitraires et enlèvements, pratique de la torture et mauvais traitements visant les défenseurs des droits de l’Homme. De même, l’utilisation de mesures législatives et réglementaires dans le but d’entraver les activités des défenseurs des droits de l’Homme demeurent des pratiques récurrantes dans la région.

Ces méthodes de répression visent la plupart des droits énoncés dans la Déclaration sur les défenseurs des droits de l’Homme (DDDH)1. Elles visent plus particulièrement le droit de recueillir et de diffuser des informations relatives aux droits de l’Homme (Tchad, RDC), le droit de recevoir des financements pour promouvoir les droits de l’Homme (Tunisie), le droit de se rassembler pacifiquement (Zimbabwe). Ces méthodes répressives constituent une violation de l’obligation pour les États de prendre toutes les mesures nécessaires afin d’assurer la protection des défenseurs des droits de l’Homme2.

L’Observatoire souhaite particulièrement attirer l’attention des membres de la Commission sur les graves violations que subissent les défenseurs des droits de l’Homme en situation de conflits ouverts comme au Soudan, notamment dans la province du Darfour où des défenseurs ont été arrêtés et torturés, ou en Côte d’Ivoire où ils sont contraints d’excercer leur activité dans un climat de menaces et d’insécurité permanent ; mais aussi dans les situations post-conflictuelles, en République démocratique du Congo (RDC)notamment, où on note une recrudescence des violations au cours des derniers mois, ainsi qu’au Burundi où les défenseurs sont menacés pour leur action en faveur de la lutte contre l’impunité.


I - Arrestations / enlèvements, détentions arbitraires et tortures

En République démocratique du Congo (RDC), M. François Butedi, membre de la Ligue des Electeurs (LE) et M. Dieudonné Benn Masudi Kingombe, directeur exécutif du Centre des droits de l’Homme et du droit humanitaire (CDH) ont été arrêtés, battus et détenus pendant plusieurs heures respectivement le 13 novembre 2003 et le 10 avril 2004, pour avoir recueilli des informations sur les violations des droits de l’Homme et sur l’insécurité dans le pays. Certains de ces documents avaient permis de finaliser le rapport présenté par la LE à la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples lors de la 34ème session en octobre dernier.
Une autre membre de la LE, Melle Ngandu Kabongo, a été arrêtée, intérogée et menacée le 29 novembre 2003 pour la quatrième fois dans l’anné en raison de son travail d’enquête sur les cas de viols commis par les milices dans les zones de combat. Relâchée quelques heures plus tard, elle a été obligée de quitter le pays peu de temps après ces événements.
Plus à l’Est dans la région de Beni, le responsable de la section de l’ Association africaine des droits de l’Homme (ASADHO) à Mangina et un de ses collègues de travail ont été arrêtés, emmenés au camp militaire de cette localité et torturés pour s’être opposé au réenrôlement d’un ancien combattant Maï-Maï de 16 ans.
Dans la région d’Opala, M. Patrice Botalimbo, membre du Groupe Lotus, a été arrêté le 30 novembre 2003 par les services de sécurité, alors qu’il dispensait une formation sur les droits et les devoirs des citoyens. Durant sa détention il a fait l’objet de traitements inhumains et dégradants et n’a été libéré que le 2 décembre 2004.

Au Soudan, plusieurs défenseurs des droits de l’Homme ont été arrêtés en raison notamment de leur activité en faveur de la défense des libertés fondamentales dans la province du Darfour. Ainsi, M. Osman Adam Abdel Mawla de la section de Nyala de l’Organisation soudanaise pour le développement social (Sudan Social Development Organisation - SUDO) une ONG de défense des droits de l’Homme et de développement social, a été arrêté le 5 mai 2004 et est toujours détenu. Il aurait été torturé par les services de sécurité, en raison de son action en faveur des personnes déplacés dans la province du Darfour.
M. Ibrahim Adam Madawi, président de la SUDO, a été arrêté le 27 décembre 2003 et lui aussi est toujours détenu dans des conditions laissant craindre pour son intégrité physique. Toujours en lien avec la situation au Darfour, un membre de l’Organisation soudanaise contre la torture (SOAT), l’avocat Salih Mahmoud Osman a été arrêté le 1 février 2004 et est toujours détenu sans qu’aucune charge ne soit retenue contre lui. Au cours de la dernière année, il a fourni une aide légale gratuite à des centaines de victimes de violations des droits de l’Homme et des condamnés à mort ou à des peines sévères (doubles amputations) dans la région du Darfour.
En janvier 2004 à l’Université de Karthoum, M. Waiel Taha et M. Yousif Fat’h Al Rahman, deux étudiants dont le premier est membre de la SOAT ont été arrêtés, menacés de mort et torturés. M. Taha a été inculpé de complot, occupation illégale de salle et destruction d’une bannière.

Dans d’autres Etats, les défenseurs ont été arrêtés pour avoir excercé leur liberté d’expression, comme en Guinée-Bissau où le 30 mars 2004, M. Jao Vaz Mane, Vice-président de la Ligue Guinéenne des droits de l’Homme (LGDH) a été arrêté par la police pour avoir ouvertement critiqué celle-ci pour ses méthodes ayant conduit au décès d’un jeune homme. M. Vaz Mane a été conduit sur les lieux du crime et a été désigné par la police à la foule présente comme l’auteur des faits. Il a été roué de coups jusqu’à ce que quelqu’un le reconnaisse et fasse stopper la vindicte populaire. M. Vaz Mane n’a été relaché qu’ après avoir subi les menaces de la police cinq heures durant dans un commissariat.

Au Tchad, le directeur de la radio privé Brakoss a été arrêté à la suite de la diffusion de l’interview d’un chef de l’opposition. Fermée pendant une semaine, la radio n’a été réouverte qu’avec un programme limité.

En Algérie, M.Mohammed Smaïn, responsable de la Ligue algérienne de défense des droits de l’Homme (LADDH) à Relizane, a été arrêté le 10 avril 2004 et détenu pendant 20 heures alors qu’il se trouvait avec des journalistes enquêtant sur les disparitions forcées.

Par ailleurs, de nombreuses arrestations se sont produites au Zimbabwe, dans le cadre de rassemblements pacifiques systématiquement réprimés : les 8 et 9 octobre 2003 lors de manifestations pacifiques, 165 membres de la Confédération des syndicats du Zimbabwe (Zimbabwe Congress of Trade Unions - ZCTU) ont été arrêtés ; le 18 novembre 2003 deux membres du ZCTU ont été arrêtés et sévèrement battus pour avoir organisé des manifestations pacifiques à la Société de chemins de fers du Zimbabwe ; le 22 octobre 2003, près de 400 activistes ont été battus puis arrêtés par les forces de l’ordre, alors qu’ils manifestaient pacifiquement à Harare, ils n’ont été relâchés que le lendemain après avoir payé une caution, sans qu’aucune charge n’ait été retenue contre eux ; le 22 avril 2004, M. Tinashe Lucas Chimedza, étudiant et militant de la jeunesse pour les droits sociaux a été arrêté et a fait l’objet de mauvais traitements, alors qu’il s’apprêtait à prononcer un discours sur le droit à l’éducation au cours d’une réunion pacifique. Accusée d’avoir organisée une manifestation pacifique, Mme Mabel Sikhosana, la responsable de l’Association de défense des droits de l’Homme Zimrights pour la région de Masvingo a été arrêtée le 27 avril 2004. Le lendemain, la Vice-présidente de Zimrights, Mme Sheba Phiri a elle ausi été arrêtée, sont appartement a été perquisitionné et des documents saisis.

Enfin, des cas d’enlèvements et de disparitions ont été recensés récemment : en Libye, où M. Fathi El-Jahmi, condamné en 2002 à plusieurs années de prison pour ses déclarations en faveur de l’instauration des droits fondamentaux de la personne humaine avait été libéré le 12 mars 2004. Il a été enlevé le 4 avril 2004 par des membres non identifiés d’un service de sécurité. Il est depuis porté disparu. Il semble que sa disparition soit liée à ses déclarations sur les conditions de détention et les tortures qu’il aurait subit pendant sa détention. En Côte d’Ivoire, le sort du journaliste franco-canadien indépendant Guy-André Kieffer, qui enquêtait sur des faits de corruption, reste toujours inconnu depuis le 16 avril 2004, ce qui fait craindre le pire quant à sa vie et son intégrité physique.


II - Attaques physiques et menaces

L’Observatoire s’inquiète aussi d’autres méthodes coercitives utilisées par certains États visant à la fois l’intégrité physique des défenseurs des droits de l’Homme et leurs organisations.

Ainsi, en Tunisie, le 5 janvier 2004, alors qu’elle se rendait au siège du Conseil national des libertés en Tunisie (CNLT), Mme Sihem Ben Sedrine, ancienne porte-parole du CNLT, a été violemment frappée à coups de poings par trois inconnus.

Au Nigeria, une vingtaine d’hommes armés ont fait irruption dans les locaux du Centre pour les droits constitutionnels et la justice (Consulting Center for Constitutional Rights and Justice - C3RJ) à Port-Hacourt le 24 octobre 2003. Après avoir saccagés les locaux, les attaquants ont menacé d’exécuter le président de l’organisation et les membres présents si les locaux n’étaient pas évacués dans les 24 heures. Passé ce délai les assaillants sont revenus afin de piller et détruire le matériel restant. La police nigériane est jusqu’à présent restée inactive sur ce dossier.

Au Zimbabwe, le domicile d’Arnold Tsunga, Président de Zimrights et de l’Association des avocats zimbabwéens pour les droits de l’Homme (Zimbabwe Lawyers for Human Rights - ZLHR), a été cambriolé le 23 avril 2004. Seuls les documents informatiques et les publications concernant Zimrights ont été volés. Cette organisation a d’ailleurs recensé, entre janvier et avril 2004, plus de 275 cas d’agression et d’intimidation de la part de la police ou de leurs afidés contre les défenseurs des droits de l’Homme, des membres de l’opposition ou des syndicalistes.

Au Cameroun, la directrice du Human Rights Defence Group (HRDG) basé à Bamendan a été gravement intimidée à plusieurs reprises et menacée de mort. Le bureau de l’ACAT-Littoral à Douala a été encerclé par la police le 28 novembre 2003 ; une autre fois les serrures ont été forcées et Madeleine Afite, la présidente, a fait l’objet une fois de plus de nombreux appels téléphoniques anonymes. Dans le Grand Nord, les militants du Mouvement pour la défense des droits de l’Homme et des libertés (MDDHL) sont régulièrement harcelés. Le 10 décembre 2003, une femme a pénétré au siège du MDDHL dirigé par Abdoulaye Math en se faisant passer sa femme. Pendant plus de 24 heures, cette femme a occupé les locaux de l’organisation en menaçant M. Math de porter plainte contre lui pour viol, avant de l’attaquer physiquement et de lui casser le bras. La police est alors intervenue et a retenue M.Math dans ses locaux toute la nuit sans aucun soins.

En République démocratique du Congo (RDC), l’Observatoire est particulièrement préoccupé par la recrudescence des violences, des menaces et du harcèlement à l’encontre des défenseurs des droits de l’Homme. Ainsi, l’information selon laquelle, l’Agence nationale de renseignement (ANR) au Katanga détiendrait une liste de noms d’environ dix personnes à arrêter est particulièrement inquiétante. Sur cette liste figureraient notamment des membres de l’Association africaine des droits de l’Homme (ASADHO)/Katanga et d’autres ONG. M. Grégoire Tschisabamka, secrétaire général du CDH continue de recevoir des menaces de mort depuis le 10 avril 2004. Après avoir reçu le même type de menaces, M.Paul Nsapu, président de la Ligue des électeurs (LE) a été victime d’une tentative d’accident de voiture lorsque deux voitures aux plaques d’immatriculation maquillées ont tenté de le prendre en étau alors qu’il rentrait chez lui après avoir assisté à un séminaire organisé par l’Organisation internationale de la francophonie (OIF). Ces événements se sont déroulés au lendemain d’une interview que M. Nsapu avait accordée à une télévision locale sur la situation politique en RDC et sur la saisine de la Cour pénale internationale (CPI) relative aux violations des droits de l’Homme dans l’est de la RDC.

III - Diffamations

Outre les actes de violences mentionnés ci-dessus, les défenseurs des droits de l’Homme sont également victimes de diffamation. Au Sénégal, l’Organisation nationale des droits de l’Homme (ONDH) a été la cible, début janvier 2004, d’une vive campagne de diffamation à la suite d’un communiqué mentionnant l’existance d’une lettre de menaces de mort visant Mgr Théodore Adrien Sarr, archevèque de Dakar. Un mystérieux "Mouvement des sentinelles de l’Alternance" a publié un communiqué dans lequel il était demandé que les membres de l’ONDH soient "entendus par la police et poursuivis". Le communiqué accuse aussi les organisations de défense des droits de l’Homme d’être des "partis politiques déguisés (...) qui attisent le feu d’une manière cyclique".

Fin octobre 2003, les autorités camerounaises ont pour leur part orchestré une campagne d’intimidation et de diffamation contre les ONG camerounaises ayant collaboré au rapport de la FIDH intitulé "La torture au Cameroun, une réalité banale, une impunité systématique". Au Nord, le 10 décembre 2003, plusieurs radios locales, dont Radio Maroua ont diffusé des propos discréditant les défenseurs des droits de l’Homme, les définissant comme des "escrocs qui ternissent l’image du pays".

Au Congo-Brazzaville, les autorités se sont, à travers les médias d’État, efforcés de dénigrer les déclarations et les activités de l’Observatoire congolais des droits de l’Homme (OCDH) et de la FIDH. Le 12 décembre 2003, lors d’une conférence de presse, le ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, M. Akouala, a considéré que les propos du président de la FIDH jugeant la paix au Congo de "bacale", constituaient "un flagrant délit de subversion et de déstabilisation" et que ce type d’appréciations "ne relevaient pas du travail des défenseurs des droits de l’Homme". Le 4 novembre 2003, M. Akouala avait d’ailleurs déclaré aux représentants de la FIDH et de l’OCDH, que "derrière chaque journaliste sommeille un homme politique" et qu"il faut s’attendre à ce que certains journaux disparaissent".

Au Togo, où il est quasiment impossible de mener des activités en faveur des droits de l’Homme tant la répression est grande, les intimidations contre les membres de l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT)-Togo se poursuivent et son président demeure toujours en exil.


IV - Poursuites judiciaires et mesures administratives

L’instrumentalisation du pouvoir judiciaire à des fins répressives reste de mise dans certains pays, notamment en Tunisie où la journaliste et activiste des droits de l’Homme, Om Zied, a été condamnée en appel à 6 mois de prison avec sursie et une forte amende pour avoir écrit un article dans un journal interdit.

Dans d’autres pays les pouvoirs publiques recourent à des mesures adminitratives visant la liberté de mouvement des défenseurs, comme c’est le cas en Algérie où le Docteur Salah Eddine Sidhoum qui a passé neuf années dans la clandestinité pour avoir dénoncé des faits de torture n’a toujours pas récupéré son passeport, alors qu’il a été acquitté de toutes les charges pesant contre lui en octobre dernier.
Au Maroc, 13 défenseurs des droits de l’Homme basés au Sahara occidental attendent eux aussi depuis un an la restitution de leurs passeports qui leur ont été confisqués en mars 2003, lorsqu’ils ont voulu se rendre à la Commission des droits de l’Homme à Genève.

En Tunisie, le 3 janvier 2004, M. Hammad Ali Bedoui, membre du Conseil national des libertés en Tunise (CNLT) et frère de l’ancien président de la ligue tunisienne des droits de l’Homme (LTDH) a été assigné à résidence. Enfin, le 13 avril 2004, l’avocat et président d’honneur de la FIDH, M. Patrick Baudouin s’est vu interdire l’entrée du territoire tunisien, alors qu’il devait assister à la conférence de presse organisée pour la sortie du Rapport Annuel de l’Observatoire, et ce pour la troisième fois depuis 1996.

Certains défenseurs font aussi l’objet de représailles dans leur emploi à l’instar de M. Fethi Azzi en Algérie qui a été licencié de son emploi à la sous-préfecture, avant d’être réintégré mais à un poste subalterne pour avoir témoigné dans l’instruction engagée à Nîmes, France, contre deux miliciens, "les frères Mohammed" accusés d’actes de torture.

D’autres États ont recours à des mesure réglementaires pour sanctionner l’activité des défenseurs des droits de l’Homme. Au Cameroun le Procureur de la République près des Tribunaux du département de Diamaré avait émis le 10 janvier 2003 une circulaire officielle ordonnant à tous les officiers de police judiciaire du département de procéder à l’arrestation de tout militant des droits de l’Homme se trouvant sur le territoire de sa circonscription (Circulaire n°994 du 10 janvier 2003). En août 2003 deux militants du Mouvement pour la défense des droits de l’Homme et des libertés (MDDHL) avaient été arrêtés sur la base de cette circulaire. Dans une nouvelle lettre-circulaire (PPR/MRA/623) en date du 3 novembre 2003, le procureur a confirmé les mesures visées dans la circulaire précédente précisant qu’elles restaient "applicables à tout individu suscepible d’être poursuivi pour des faits d’escroquerie".

V - Legislations restrictives

La "loi sur les ONG" (The Non-Governmental Organizations Act) en Tanzanie, qui impose aux ONG de sévères restrictions aux libertés d’association et d’expression, est entrée en vigueur le 1er janvier 2004. L’article 35 de cette loi prévoit des sanctions pénales à l’encontre des personnes gérant des ONG sans avoir obtenu d’enregistrement auprès du "Bureau de coordination des ONG". Cette disposition peut s’avérer particulièrement dangeureuse pour les ONG de défense des droits de l’Homme dans la mesure où la loi prévoit que l’enregistrement d’une ONG peut être refusé si ses activités ne servent pas "l’intérêt général", une notion floue qui est susceptible de donner lieu à des interprétations arbitraires. En outre, cette procédure est d’autant plus préoccupante que la loi prévoit que le directeur du "Bureau de coordination des ONG" chargé de cette question soit nommé directement par le Président de la République. Enfin, les dispositions de la loi contreviennent clairement au principe de non-ingérence dans les activités des ONG dans la mesure où le Bureau des ONG peut dicter "une ligne de conduite politique des ONG en vue de l’harmonisation de leurs activités avec le plan national de développement". Cet organe peut aussi "étudier et enquêter sur tout sujet" afin de s’assurer que les ONG respectent leurs propres statuts (article 7).

En Tunisie, l’utilisation fallacieuse des dispositions de la loi 154 et du décret du 8 mai 1922, afin de bloquer la deuxième tranche du financement octroyé par l’Union européenne (UE) à la Ligue tunisienne des droits de l’Homme (LTDH), s’inscrit dans la continuité des pressions exercées par les autorités tunisiennes contre la LTDH, les autres ONG indépendantes et les défenseurs des droits de l’Homme dans ce pays. En conséquence de ce blocage, l’existance même de la LTDH se trouve actuellement menacée. Par ailleurs, le 10 décembre 2003, la chambre des députés a voté une loi relative au "soutien des efforts internationaux de lutte contre le terrorisme et la répression du blanchiment d’argent"1. Cette loi qualifie de terroriste "toute infraction, quels qu’en soient les mobiles, (...) susceptibles de (...) semer la terreur parmi la population dans le dessein de d’influencer la politique de l’État". En outre, les personnes soumises au secret professionnel, tels les avocats, qui s’abstiendraient d’informer immédiatement les autorités d’informations relatives à des actes terroristes, sont également considérés comme terroristes. Par ailleur, cette loi place les associations et partis politique sous un contrôle financier très strict leur interdisant de recevoir toute cotisation supérieure à 30 dinars, tout don ou autre forme d’aide financière, notamment provenant de l’étranger en dehors des cadres extrêmement restrictifs de la loi et de son application totalement contrôlée par l’administration. Cette loi présente un danger d’autant plus grand pour les ONG de défense des droits de l’Homme que l’amalgame entre défenseurs et terroristes est désormais "simple". Il suffit de rappeler à cet égard les propos du représentant de l’État tunisien à la précédente session (34ème) de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples (octobre 2003), qualifiant la Ligue des droits de l’Homme tunisienne (LTDH) d’"association illégale et terroriste".

Au Soudan, en dépit du décret gouvernemental qui a officiellement mis fin à la censure en décembre 2002, les autorités ont mis au point une "ligne rouge" à l’intention de la presse. Tout article mentionnant les thèmes tels que les enlèvements de femmes et d’enfants, le processus de paix, la situation des opposants politiques, le parti interdit du Congrès national populaire (PNC) ou encore les conflits dans la région du Darfour, est systématiquement saisi et interdit de publication. C’est pour avoir dénoncé dans des articles ces restrictions et la fermeture de plusieurs journaux que MM. Faisal el Bagir Mohamed et Murtada Algali, tout deux membres de la SOAT et du Centre d’études de Khartoum sur les droits de l’Homme et le développement (KCHRED) ont de nouveau été convoqués aux bureaux de la Sécurité nationale (National Security Agency - NSA) le 18 octobre 2003 et contraints de remplir un dossier comprenant des détails de leur vie privée, leurs affiliations politiques, ainsi que les noms de leurs amis. M. el Bagir dont les activités sont régulièrement surveillés et controlés depuis 2001 avait déjà été arrêté le 26 juillet et le 7 octobre 2003.

Au Zimbabwe, les lois adoptées en 2002 relatives à l’ordre public et la sécurité, à l’accès à l’information et la protection de la vie privée, et aux associations constituent un arsenal législatif extrêmement efficace pour réprimer toute forme d’opposition, criminaliser le légitime excercice des libertés fondamentales et excercer un étroit contrôle politique sur les médias et les ONG. Le gouvernement a également fait part de son intention d’adopter une nouvelle législation remplaçant la loi sur les associations (Private Voluntary Organisations Act - PVO Act), afin de s’assurer, selon un représentant officiel, que les ONG zimbabwéennes "ne soient pas inflitrées par des agents étrangers". La future loi relative aux organisations non gouvernementales, en durcissant les conditions d’enregistrement des ONG, permettrait au gouvernement d’excercer un contrôle plus étroit sur leurs activités.

VI - Recommandations

Au vu des nombreuses violations constatées, face à la recrudescence des attaques contre les défenseurs des droits de l’Homme, et dans le cadre du suivi de la réunion d’interface entre Mme Jainaba Johm, Point focal sur les défenseurs des droits de l’Homme, et plusieurs ONG de défense des droits de l’Homme à Banjul en février 2004, l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme appelle :

les États membres de la Commission africaine des droits de l’Homme à :

reconnaître le rôle primordial des défenseurs des droits de l’Homme dans la mise en oeuvre de la Déclaration universelle des droits de l’Homme et des autres instruments relatifs aux droits de l’Homme, tels, la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples, ainsi que dans la prévention des conflits, l’avènement de l’Etat de droit et de la démocratie,

mettre un terme à toute forme de répression à l’encontre des défenseurs des droits de l’Homme et se conformer aux dispositions de la Déclaration sur les défenseurs des droits de l’Homme, notamment à son article 1 et 12.2.

assurer que le texte de la Déclaration sur les défenseurs des droits de l’Homme, adopté par consensus en 1998, soit diffusé le plus largement possible.

la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples à :

adopter lors de sa 35ème session, une résolution renouvelant le mandat du Point focal sur les défenseurs des droits de l’Homme assumé par la Commissaire Johm et définissant précisément les termes de son mandat (Diffusion d’appels urgents et de communiqués de presse, réalisation de visites in situ, élaboration de rapports réguliers sur la situation des défenseurs des droits de l’Homme, mise en place de dialogues bi-latéraux avec les États et d’échanges avec les défenseurs des droits de l’Homme, les ONG nationales et internationales ainsi qu’avec les mécanismes de protection régionaux et internationaux existants).

poursuivre et approfondir la collaboration avec Mme Hina Jilani, Représentante spéciale du secrétaire général des Nations Unies sur les défenseurs des droits de l’Homme, ainsi qu’avec les autres mécanismes régionaux de protection des défenseurs des droits de l’Homme.

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