Intervention de l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme

Contribution de
la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH)
et l’Organisation Mondiale Contre la Torture (OMCT)

Dans le cadre de leur programme conjoint
L’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme

Sous le point de l’ordre du jour :
Situation des défenseurs des droits de l’Homme

La FIDH et l’OMCT, dans le cadre de leur programme conjoint, l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme, soulignent la persistance de graves violations des droits de l’Homme perpétrées contre les défenseurs des droits de l’Homme dans les pays membres de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples.

Les activités des défenseurs des droits de l’homme sont restreintes dans de nombreux pays, soit par le biais de stratégies mises en place directement par les autorités, soit par la défaillance des Etats à assurer la protection des défenseurs. Le musellement des défenseurs vise l’ensemble de leurs droits et libertés fondamentaux, en premier lieu leurs libertés d’association, d’expression, de manifestation et de réunion.

L’Observatoire rappelle que l’article 12 de la Déclaration sur les défenseurs des droits de l’Homme1, votée par l’Assemblée générale des Nations unies le 9 décembre 1998, crée l’obligation pour les Etats de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la protection des défenseurs des droits de l’homme.

L’Observatoire rappelle également le rôle primordial que jouent les défenseurs des droits de l’Homme en faveur de la paix, de la démocratie et de l’Etat de droit.

Pour l’année 2003, l’Observatoire constate que les stratégies utilisées pour museler et sanctionner les défenseurs s’articulent autour de trois méthodes répressives : entraves législatives, poursuites judiciaires, arrestations et détentions arbitraires. A cet égard, l’Observatoire exprime sa plus vive inquiétude quant à l’aggravation de la situation des défenseurs des droits de l’homme au Cameroun et au Zimbabwe.

Qu’ils soient membres d’ONG, syndicalistes, ou encore avocats, les défenseurs continuent d’être criminalisés par leurs Etats. Un mécanisme en vue de leur protection doit être adopté par la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples, afin de conduire les Etats à respecter leurs engagements et garantir la liberté d’action des défenseurs des droits de l’Homme.

I. Entraves à la liberté d’association

1/ Mesures législatives et réglementaires

La « loi sur les ONG » en Tanzanie, qui devait être publiée au journal officiel fin octobre 2003, illustre la volonté des Etats de limiter le champ d’action des ONG par le biais d’entraves législatives. Ainsi, cette loi prévoit une obligation d’enregistrement pour les ONG, assortie de sanctions pénales. Cette disposition peut s’avérer particulièrement dangereuse pour les ONG de défense des droits de l’Homme dans la mesure où la loi prévoit que l’enregistrement d’une ONG peut être refusé si ses activités ne servent pas l’« intérêt général », notion particulièrement floue susceptible de donner lieu à des interprétations arbitraires. Cette procédure est d’autant plus préoccupante que la loi prévoit que le Directeur du « Bureau de coordination des ONG » chargé de cette question doit être nommé directement par le Président de la République. D’autre part, les dispositions de la loi contredisent clairement le principe de non-ingérence dans les activités des ONG dans la mesure où le Bureau des ONG peut prévoir « une ligne de conduite politique des ONG en vue de l’harmonisation de leurs activités avec le plan national de développement » et "étudier et d’enquêter sur tout sujet" afin de s’assurer que les ONG respectent leurs propres statuts.

Dans d’autres Etats, des mesures réglementaires sont également prises en représailles aux activités menées par les défenseurs des droits de l’Homme. Ainsi, au Cameroun, le Procureur de la République près des Tribunaux du département du Diamaré a émis une circulaire officielle donnant ordre à tous les officiers de police judiciaire du département de procéder à l’arrestation de tout militant des droits de l’homme se trouvant sur le territoire de sa circonscription (Circulaire n°994 datée du 10 janvier 2003). En août 2003, deux membres du Mouvement pour la défense des droits de l’Homme et des libertés (MDDHL) à Maroua, MM. Blaise Yacoubou et Minou Mohamadou, ont été arrêtés sur la base de cette circulaire et sont restés détenus pendant deux jours. Cette circulaire illustre la répression plus générale visant les défenseurs des droits de l’Homme au Cameroun de la part des autorités.

2/ Obstacles à la création d’ONG / Fermetures d’ONG

Les exemples d’ONG ayant vu leur demande d’enregistrement refusée sont nombreux. La situation est flagrante en Tunisie, où, récemment, les membres de l’Association de lutte contre la torture en Tunisie (ALTT) ont été refoulés, alors qu’ils tentaient de déposer les documents relatifs à la création de l’association au siège du gouvernorat de Tunis.
Au Niger, le Collectif des organisations de défense des droits de l’Homme et de la démocratie (CODDH) qui s’est constitué en 2000 n’est toujours pas reconnu. Il en est de même pour la Coordination démocratique de la société civile nigérienne (CDSCN), qui regroupe des organisations de défense et promotion des droits de humains, ainsi que des syndicats des secteurs publics et privés.

Dans plusieurs Etats, les autorités ont procédé à la fermeture d’organisations jugées trop « gênantes ». Ainsi, au Tchad, le 21 octobre 2003, la Radio "FM Liberté", créée par des ONG indépendantes de défense des droits de l’homme dont elle était devenue le principal relais, a été fermée par arrêté du Ministère de la sécurité publique et de l’immigration.
Au Sahara occidental, les autorités judiciaires ont ordonné la fermeture de la branche du Forum Vérité Justice (FMJ) à Laâyoun le 18 juin 2003. Ils semblerait que cette décision ait été essentiellement motivée par les actions de la section Sahara du FMJ en faveur des prisonniers sahraouis et les rencontres de ses membres avec des organisations étrangères (ONG, OIG,...), qui selon les autorités, seraient la preuve des idées séparatistes de l’organisation.

II. Entraves à la liberté d’expression des défenseurs

En Guinée-Bissau, M. Joao Vaz Mane, vice-président de la ligue guinéenne des droits de l’Homme (LGDH), a fait l’objet de menaces de la part du Commissaire général de la police, M. Bitchofla Na Fafé, après avoir dénoncé les violences et mauvais traitements perpétrés par les agents de police lors d’une émission radiophonique le 9 juillet. Début 2003, il était resté détenu pendant 20 jours, à la suite d’une interview radiophonique, lors de laquelle il avait accusé le Président de la République de détournement de fonds à des fins politiques et personnelles.

En Tunisie, où les défenseurs des droits de l’Homme sont l’objet de multiples actes de représailles, la journaliste Om Zied, membre fondatrice du Conseil national pour les libertés en Tunisie (CNLT) est actuellement poursuivie pour « détention de devise étrangère et livraison à un tiers non autorisé légalement » ; elle risque cinq ans d’emprisonnement. L’Observatoire rappelle que Zouhayr Yahyaoui, fondateur et animateur du site Internet TuneZine consacré aux libertés fondamentales en Tunisie, reste détenu depuis juin 2002 dans des conditions de détention très précaires, en dépit de son état de santé extrêmement fragile.

III. Atteintes à la liberté de manifestation et de réunion

En Algérie, Larbi Tahar, Président de la section d’El Abiodh Sidi Cheikh de la Ligue algérienne de défense des droits de l’Homme (LADDH), est détenu depuis le 5 octobre pour avoir participé à un rassemblement pacifique de soutien à des membres du Syndicat national autonome des personnels d’administration publique (SNAPAP, syndicat non reconnu), alors en grève de la faim. Il est poursuivi pour « attroupement armé et de désobéissance civile ». Egalement en Algérie, les mères de disparus restent l’objet d’atteinte à leur droit de manifestation et de rassemblement : le 9 juillet, sept d’entre elles ont été arrêtées lors d’une manifestation devant la préfecture d’Oran. Elles ont toutes été condamnées à des peines d’amende pour « troubles à l’ordre public ».

Au Zimbabwe, les autorités ont procédé à deux grandes vagues d’arrestations de militants en octobre 2003. Les 8 et 9 octobre, plus de 150 dirigeants et membres du Zimbabwe Congress of Trade Unions (ZCTU) ont été arrêtés dans plusieurs villes du pays alors qu’ils manifestaient pacifiquement. Le 22 octobre, environ 400 militants du National Constitutional Assembly (NCA) dont le président du NCA, Mr Lovemore Madhuku, ont été arrêtés à Harare, alors qu’ils manifestaient pacifiquement pour plus de démocratie et une révision de la Constitution. Ils ont été sérieusement battus par la police.

Enfin au Soudan, une conférence de presse en faveur du processus de paix a été interdite le 2 juillet ; elle devait se tenir au bureau de Gazi Souleiman, avocat et président du Sudan Human Rights Group (SHRG) ; celui-ci a été arrêté le même jour et n’a été libéré que treize jours plus tard.

IV. Obstacles au droit d’apporter une assistance judiciaire

Dans de nombreux pays, les avocats qui militent au sein d’organisations de défense des droits de l’Homme, luttent pour une plus grande indépendance du système judiciaire et défendent des opposants politiques sont particulièrement visés.

En 2003, l’Observatoire a recensé plusieurs cas de violences contre des avocats au Zimbabwe, le dernier en date étant celui de Beatrice Mtetwa, célèbre avocate et défenseur des droits de l’Homme, qui a été passée à tabac dans un commissariat de police le 12 octobre.

En Tunisie, Radhia Nasraoui a entamé une grève de la faim le 13 octobre 2003, afin de protester contre les entraves systématiques qu’elle subit dans l’exercice de sa profession d’avocate et contre le harcèlement constant dont elle et sa famille sont l’objet, ainsi que ses clients. Le harcèlement des avocats défenseurs des droits de l’Homme est une pratique courante en Tunisie (filatures, actes de violence, et pressions sur les clients...).

Enfin, en Mauritanie, Me Mahfouh Ould Bettah bâtonnier depuis plus de 12 ans connu pour son action en faveur des droits de l’Homme, qui avait été réélu à la majorité absolue le 27 juin 2002 a été suspendu le 7 juillet pour une période de trois ans pour être remplacé par un autre Bâtonnier plus proche du pouvoir

III. Recommandations

Considérant la persistance des actes de représailles menés contre les défenseurs des droits de l’Homme, l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’homme appelle les Etats membres de la Commission africaine à :

- mettre un terme à toute forme de répression à l’encontre des défenseurs des droits de l’Homme et à se conformer aux dispositions de la Déclaration sur les défenseurs des droits de l’Homme notamment à son article 1 et 12.2.
 assurer que le texte de la Déclaration sur les défenseurs des droits de l’Homme, adopté par consensus en 1998, soit diffusée le plus largement possible.

L’Observatoire appelle la Commission africaine à :

- adopter, lors de sa 34ème session, un mécanisme de protection spécifique de protection des défenseurs des droits de l’Homme, par le biais de la nomination d’un rapporteur spécial sur les défenseurs des droits de l’Homme ; à défaut, mettre en place un « Groupe de travail » (« Task Team ») ou désigner un membre de la Commission (« Focal Point ») pour suivre cette question et faire rapport à la Commission.
 établir une étroite collaboration avec Mme Hina Jilani, Représentante spéciale du secrétaire général des Nations unies sur les défenseurs des droits de l’Homme.

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