Intervention de l’AMDH sur la situation générale des droits de l’Homme au Mali

Le Mali est confronté depuis janvier 2012 à l’une des plus sérieuses crises de son histoire depuis l’indépendance du pays le 22 septembre 1960. En mi-janvier, une offensive de la rébellion touarègue soutenue par des groupes islamistes armés s’empare de près d’un tiers du territoire et contribue à la détérioration de la situation sécuritaire dans le pays. Le 22 mars, à la veille des élections présidentielles, un coup d’État est perpétré et conduit à l’instabilité politique et institutionnelle.

À partir de fin mars, les principales villes du Nord tombent les unes après les autres aux mains de la rébellion touarègue et de ses alliés islamistes lesquels deviennent progressivement plus envahissants et exigeants dans leurs revendications. Le 2 avril, les groupes islamistes rejoints par des troupes et des dirigeants d’Aqmi commencent à disputer le contrôle des territoires conquis à la rébellion touarègue, laquelle est finalement « délogée » de son quartier général de Gao le 27 juin 2012 après d’âpres combats qui voient les islamistes maîtres de la ville et de toute la région. Le 1er juillet 2012, le groupe islamiste Ançar Dine qui occupait la ville sainte de Tombouctou, a repris la destruction des mausolées des saints, par ces extrémistes religieux.

Madame la Présidente,
Mesdames et Messieurs les Commissaires,

Pendant ce temps au Nord, les troupes rebelles qui contrôlaient les territoires, populations, ressources, et trafics se sont livrées à de nombreuses exactions sur les populations civiles : exécutions sommaires, viols, pillages, arrestations et détentions arbitraires, enrôlement d’enfants-soldats, destructions de lieux de culte, etc.

Le conflit armé a provoqué un déplacement massif des populations vers les pays limitrophes du Mali et à l’intérieur du pays et s’est accompagnée d’une importante dégradation de la situation humanitaire pour les populations à proximité des zones de conflit.

L’opération Serval de la France a permis au Mali de récupérer les villes tombées, mais les opérations de stabilisation du nord se poursuivent et les violents affrontements survenus récemment dans plusieurs villes du Nord, dont Gao et Tombouctou, montrent l’importance des efforts qu’il reste à accomplir et font craindre de nouvelles victimes, en particulier parmi les populations civiles qui pourraient devenir la cible de nouvelles formes d’attaques des groupes armés. De manière générale, la présence de nombreux acteurs armés dans la région demeure très préoccupante pour la situation des droits de l’homme, qui devra être au cœur de tous les mouvements militaires au nord du pays.

Madame la Présidente,

Face à la situation critique, la protection des droits humains, la lutte contre l’impunité et la réparation des préjudices subis sont des conditions sine qua non de la paix, de la sécurité, de la réconciliation et du dialogue au Mali.

La lutte contre l’impunité des auteurs des crimes les plus graves alliée à l’instauration d’un mécanisme de vérité et de réconciliation doit permettre d’évacuer certaines rancœurs et esprits de revanche et de rassembler les communautés autour d’un Mali uni dans la diversité. Le soutien aux procédures devant la Cour pénale internationale et la réalisation d’une justice transitionnelle, inclusive, impartiale, respectueuse des droits des victimes, qui puisse garantir la pleine participation des femmes et des organisations de la société civile, sont essentiels pour leurs vertus de sanction, de dissuasion et de réconciliation. Le système judiciaire malien devra être en capacité de relever le défi de procédures complexes, nombreuses, et qui garantissent pleinement le droit à la réparation des victimes. Ces procédures sont déterminantes pour le retour à un Etat de droit.

Une Feuille de Route pour la Transition a été approuvée par l’Assemblée nationale le 29 janvier 2013. C’est ainsi que les dates du 7 et 31 juillet 2013 ont été retenues pour la tenue des élections présidentielles et législatives au Mali. Si ces dates paraissent irréalistes compte tenu de l’état de leur préparation, nous sommes conscients que seules les élections permettront d’avoir des institutions crédibles et fortes.

Madame la Présidente,

L’Association malienne des droits de l’Homme salue le déploiement récent d’une mission africaine d’observation de la situation des droits de l’Homme au Mali et l’implication de la Commission africaine des droits de l’Homme et des Peuples dans ce processus, comme requis depuis plusieurs mois par les organisations de la société civile. Nous attendons de cette mission qu’elle permette de documenter les violations commises depuis l’ouverture du conflit, de soutenir le processus de transition politique et les procédures judiciaires pénales. Le rôle joué par la CADHP dans cette mission d’observation constitue un tournant majeur dans la mise en œuvre de son mandat de protection, dont nous attendons qu’elle créé un précédent pour les autres situations de conflits qui sévissent sur continent et où les droits fondamentaux sont mis à mal.

Cette implication de la CADHP au sein de la mission africaine d’observation ne doit pas pour autant l’empêcher de continuer à prendre des positions indépendantes sur les violations des droits de l’Homme et du droit international humanitaire qui continuent d’être perpétrées à l’encontre des civils. La Commission doit au contraire pouvoir pleinement et publiquement soutenir les efforts consentis pour enrayer la propagation du terrorisme et de l’extrémisme religieux, soutenir les poursuites judiciaires nationales et internationales contre les auteurs de violations, garantir la tenue d’élections présidentielles et législatives libres et transparentes, ou encore la mise en place effective d’une Commission Dialogue et Réconciliation inclusive.

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