Intervention de la FIDH sur la situation des droits des femmes en Afrique : femmes, paix et sécurité

L’année 2013 marque un double anniversaire : le 10ème anniversaire de l’entrée en vigueur du Protocole facultatif à la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples relatif aux droits des femmes en Afrique, et le 20ème anniversaire de l’adoption de la Déclaration de Vienne et de son programme d’action par la Conférence mondiale sur les droits de l’Homme, réaffirmant que tous les droits de l’Homme sont universels, indivisibles, interdépendants et intimement liés, rappelant donc la place primordiale des droits des femmes au sein des droits humains.

Madame la Présidente,
Mesdames et Messieurs les Commissaires,

Pour le continent africain, ce 10ème anniversaire de l’entrée en vigueur du Protocole de Maputo a une résonance toute particulière. Largement porté par les États africains puisque 36 d’entre eux l’ont ratifié, ce Protocole marque leur engagement en faveur de la promotion, de la réalisation et de la protection des droits des femmes, tout en donnant des garanties spécifiques aux femmes africaines. Pourtant, 10 ans après l’adoption de cet instrument majeur, il ressort du travail d’enquête et de documentation réalisé par la FIDH et de nombreuses organisations membres et partenaires, réunies au sein de la campagne « L’Afrique pour les droits des femmes », que les dispositions du Protocole de Maputo sont encore très peu incorporées en droit interne. Un phénomène qui se traduit dans les faits par la persistance, dans plusieurs pays africains, de certaines lois et pratiques discriminatoires à l’encontre de femmes telles que les violences sexuelles, les violences conjugales, les trafics, les mariages précoces ou forcés, ainsi que les difficultés d’accès des femmes à la propriété, au travail, à l’éducation ou encore à la santé.

La FIDH encourage aujourd’hui la Commission africaine à relever le défi majeur de la mise en œuvre effective du Protocole de Maputo, en poursuivant et renforçant son action en faveur de l’incorporation en droit interne, de la mise en place de lois et politiques nationales adéquates par les États parties, en s’assurant du suivi de la mise en œuvre de ses propres recommandations mais également en continuant son action en vue de la ratification du Protocole.

Madame la Présidente,

La FIDH demeure vivement préoccupée par les violences perpétrées à l’égard des femmes dans les situations de conflits. À travers les différents foyers de tensions et de conflits qui jonchent le continent africain, les femmes continuent en effet d’être prises pour cibles et de subir les violences les plus insoutenables. En République démocratique du Congo (RDC), au Soudan ou tout récemment au Mali, les crimes sexuels sont utilisés comme une arme de guerre par les parties au conflit. Les auteurs de ces crimes jouissent de la plus grande impunité, contribuant à banaliser ces crimes, alors même que les victimes subissent stigmatisation et abandon et qu’elles peinent à accéder aux services médicaux ou psycho-sociaux nécessaires.

En RDC, alors même que 2 lois (06/018 et 06/019) sur la prévention et la sanction des violences sexuelles faites aux femmes existent, et que l’État a adopté le Protocole sur la prévention et la répression des violences sexuelles à l’égard des femmes et des enfants dans le cadre de la Conférence internationale de la région des grands lacs (CIRGL) en 2006, les femmes continuent d’être en grand nombre victimes de crimes sexuels, notamment à l’Est du pays où s’affrontent différents groupes armés. Le 30 mars dernier la Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations unies chargée de la questions des violences sexuelles et le Premier Ministre de la RDC ont signé un engagement pour lutter contre les violences sexuelles en conflit. La Commission africaine doit poursuivre son action envers le gouvernement de la RDC pour qu’il prenne toutes les mesures nécessaires à la mise en œuvre effective des lois de 2006 sur les violences sexuelles. La Commission africaine doit appeler à la poursuite des auteurs de ces crimes et à la mise en œuvre effective des mesures de réparation aux victimes, conformément aussi à l’accord ONU/RDC précédemment cité. La Commission doit pouvoir mener une mission d’enquête sur les crimes sexuels perpétrés en RDC, tel que prévu par la Résolution CADHP/143 adoptée lors de sa 48ème session ordinaire.

Au Mali, les femmes au nord du pays ont été victimes de graves exactions : viols, y compris collectifs, mariages forcés, imposition d’un code vestimentaire et flagellations entre autres. Dans le cadre du déploiement en cours d’une mission africaine d’observation de la situation des droits de l’Homme au Mali, conduite par la Commission africaine, la CADHP doit faire preuve d’une attention particulière à la documentation des violences sexuelles commises depuis le début de la crise.

Au Soudan, dans les régions du Nil Bleu, Sud Kordofan et Darfour, les femmes font encore l’objet de viols et autres violences sexuelles lors des affrontements opposants groupes rebelles, milices et forces armées soudanaises (SAF). La Commission africaine doit appeler à la mise en place d’une commission internationale d’enquête visant à faire la lumière sur les violations des droits humains, et notamment les crimes sexuels perpétrés dans ces régions, identifier et traduire les auteurs en justice.

Les justices nationales, régionales et internationale doivent connaître de ces crimes, ceci est une priorité non seulement pour les victimes mais aussi pour la construction d’une paix durable. Les crimes commis à l’égard des femmes dans les situations de conflits ne doivent pas rester impunis, au nom du droit des victimes à la vérité, à la justice et à la réparation, mais aussi pour éviter la répétition de tels crimes dans l’avenir.

Madame la Présidente,

Le Conseil de Paix et de Sécurité de l’Union africaine vient de consacrer une de ses sessions à la question des femmes dans les situations de conflits. La FIDH se félicite de ce que le principal organe chargé de la paix et de la sécurité en Afrique ait condamné « le recours à la violence sexuelle comme arme de guerre », rappelé la responsabilité qui incombe aux États de protéger les femmes dans les situations de conflits, souligné « la nécessité de traduire en justice les auteurs de ces actes » et appelé à l’examen de la nomination d’un Représentant spécial de l’Union africaine sur la violence contre les femmes et les enfants dans le contexte de conflits armés. Ces actes posés sont des signaux positifs. La FIDH attend de la Commission africaine qu’elle pèse de tout son poids pour contribuer aux efforts visant à garantir la concrétisation de ces engagements.

Cette mobilisation de la Commission est d’autant plus importante que d’autres engagements continuent de souffrir d’un manque de respect flagrant. Rappelons que 13 ans après l’adoption, à l’unanimité, de la Résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations unies sur les femmes, la paix et la sécurité, nombreux sont les États qui n’ont toujours pas adopté de plan national de mise en œuvre de ses dispositions, notamment celles prévoyant une pleine participation des femmes aux processus de paix. Ainsi, malgré la reconnaissance au niveau international de l’importance de leur rôle dans la construction d’une paix durable, les femmes demeurent souvent absentes des tables de négociation des accords de paix et restent largement sous-représentées au sein des instances politiques et de transition.

La Commission africaine doit se mobiliser pour l’adoption et la réalisation de plans nationaux de mise en œuvre de la résolution 1325, afin d’assurer la mise en place de mesures spécifiques de protection, ainsi que la participation effective des femmes à la recherche de solutions durables aux crises qui bouleversent le continent.

Madame la Présidente,

La lutte contre les discriminations à l’égard des droits des femmes doit être au cœur de toutes nos actions. La Commission africaine a fêté récemment ses 25 ans et l’Union africaine s’apprête à célébrer son 50ème anniversaire. En cette période symbolique, nous sommes tous appelés à la réflexion et à l’évaluation. Un long chemin a déjà été parcouru, toutefois, n’oublions pas l’une des pistes d’action afin de répondre aux attentes des peuples africains en général et des femmes africaines en particulier : celui de voir les textes fondamentaux, régionaux et internationaux de protection des droits humains, ainsi que les résolutions et recommandations de la Commission africaine à l’attention des États être pleinement mis en œuvre et intégrés au niveau national.

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