Intervention de l’Observatoire sur les défenseurs

INTERVENTION ORALE - L’OBSERVATOIRE

COMMISSION AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES

51ème session ordinaire

Banjul, République de Gambie

18 avril - 2 mai 2012

Contribution de
la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH)
et de l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT)

Dans le cadre de leur programme conjoint,
L’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme

Sous le point de l’ordre du jour :
“Situation des défenseurs des droits de l’Homme”

Madame la Présidente,

La FIDH et l’OMCT, dans le cadre de l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme, expriment leur vive préoccupation quant aux mesures de harcèlement et de représailles que continuent de subir les défenseurs en Afrique.

Ces six derniers mois, les contextes politiques, sécuritaires et juridiques dans lesquels les défenseurs évoluent sont restés particulièrement hostiles et ont souvent justifié aux yeux des autorités des mesures répressives : contextes électoraux, conflits armés, mouvements de protestation sociale émaillés de graves violations des droits de l’Homme et de répression ciblée des défenseurs, lois liberticides, etc. Par ailleurs, les gouvernements continuent de contrôler toutes les actions de la société civile et des défenseurs, en multipliant les obstacles voire les poursuites contre leurs actions légitimes.

Beaucoup sont également victimes d’agressions, de harcèlement ou de menaces, notamment par des agents non étatiques dans des contextes où la violence à leur encontre est bien souvent été tolérée, encouragée ou directement perpétrée par des agents étatiques, au premier rang desquels les forces de sécurité censées les protéger. L’impunité des auteurs de violations des droits de l’Homme qui a continué de prévaloir dans de nombreux pays contribue en outre à alimenter le cycle de la violence.

Criminalisation de la défense des droits de l’Homme

Dans certains pays, le système judiciaire est manipulé par les autorités afin de sanctionner l’action des défenseurs. Cela se traduit généralement par des poursuites judiciaires arbitraires. En parallèle subsiste, voire se développe, un cadre législatif criminalisant l’action de certains défenseurs. La nature de ces phénomènes est très inquiétante en ce qu’ils constituent des attaques institutionnalisées et légalisées en violation des nomes internationales en la matière.

a) Criminalisation des défenseurs des droits de l’Homme qui luttent contre l’impunité

Sur le continent, les défenseurs qui luttent contre l’impunité et dénoncent des violations, y compris les crimes internationaux les plus graves, ont de nouveau été la cible de tentatives de criminalisation de leurs actions, comme l’avocat Mohamed Smain en Algérie, M. Daniel Deuzombé Passalet, président de Droits de l’Homme sans frontières” au Tchad, les bloggeurs Alaa Abdel-Fatah, Bahaa Saber et Maikel Nabil en Egypte, des membres de l’ONG “Mêmes droits pour tous” (MDT) en Guinée, ou encore des défenseurs burundais ou zimbabwéens. Cette criminalisation est souvent rendue possible par un système judiciaire déficient ou corrompu.

b) Criminalisation des défenseurs qui exercent le droit au rassemblement pacifique

Dans de nombreux pays, les réunions et rassemblements pacifiques organisés par les défenseurs sont utilisés comme des prétextes pour entraver l’action des défenseurs. Les membres d’ONG, syndicalistes, journalistes, dirigeants de mouvements étudiants peuvent ainsi être particulièrement visés pour leur participation ou leur surveillance de la bonne tenue de ces rassemblements, à l’instar de MM. Jean-Paul Noël Abdi et Farah Abadid Heldid, respectivement président et membre de la Ligue djiboutienne des droits humains, de M. Alioune Tine, coordonnateur du M23 et président de la RADDHO au Sénégal, de Jennifer Williams et Magodonga Mahlangu, membres de WOZA au Zimbabwe, de défenseurs tanzaniens ou encore de syndicalistes algériens, camerounais, ou mauritaniens.

c) En Gambie et au Zimbabwe, l’exercice de la profession d’avocat a par ailleurs été entravé par les autorités.

La liberté d’association : un droit à respecter, protéger et garantir !

En dehors des menaces individuelles susceptibles de peser sur les défenseurs, ce sont les structures mêmes auxquelles ils appartiennent qui sont visées par des entraves, et parfois des dispositions légales liberticides, notamment quant à l’exercice du droit à la liberté d’association, comme en Gambie, en Egypte, ou en Ethiopie.

Législations répressives visant spécifiquement les défenseurs des droits des minorités sexuelles

Les défenseurs des droits des LGBT, tout comme les personnes qu’ils défendent, demeurent par ailleurs confrontés dans de nombreux États à tout type de préjugés, et à des actes d’intimidation. Les lois ou projets de loi criminalisant les minorités sexuelles entravent également le travail des défenseurs, comme en Ouganda, où un projet a de nouveau été soumis au Parlement en février 2012, un an après l’assassinat du militant LGBT David Kato.

Impunité et poursuite des assassinats de défenseurs des droits de l’Homme

Sur le continent, les assassinats et autres atteintes au droit à la vie et à l’intégrité physique des défenseurs demeurent une réalité insupportable, d’autant qu’ils restent en général impunis. Le manque d’indépendance de certains systèmes judiciaires nationaux empêche les victimes et les ONG des droits de l’Homme les représentant d’obtenir justice et de rompre le cycle de la violence, incitant ainsi à la commission de nouveaux actes de violence.

Ainsi, l’entière chaîne des responsabilités pénales n’a notamment toujours pas été établie suite aux assassinats : en République démocratique du Congo (RDC), en 2010, de M. Floribert Chebeya, président de la VSV et membre de l’Assemblée générale de l’OMCT, et de M. Fidèle Bazana, membre de la VSV, ainsi que, en 2005, de M. Pascal Kabungulu Kibembi, secrétaire exécutif de l’ONG Héritiers de la justice, en 2005 ; au Burundi, en 2009, de M. Ernest Manirumva, vice-président de l’OLUCOME ; en Ouganda, en janvier 2011, de M. David Kato, membre de SMUG ; au Kenya, en 2009, de MM. Oscar Kamau King’ara, avocat et directeur d’OFFLACK, et John Paul Oulu, membre d’OFFLACK ; et en Gambie, en 2004, du journaliste Deyda Hydara, ainsi que dans la disparition forcée du journaliste Ebrima Manneh depuis 2006.

Recommandations :

L’Observatoire appelle par conséquent les États parties à la Charte africaine à mettre en œuvre les dispositions relatives à la protection des défenseurs en s’engageant à :

 Garantir l’intégrité physique et psychologique de tous les défenseurs ;

 Libérer les défenseurs arbitrairement détenus et mettre fin au harcèlement judiciaire à leur encontre ;

 Assurer aux défenseurs le libre exercice de la liberté de réunion, d’association, de circulation, d’expression et d’opinion ;

 S’engager dans une lutte efficace contre l’impunité des responsables, étatiques ou non étatiques, de violations des droits des défenseurs ;

 Mettre en place des mécanismes nationaux de protection des défenseurs en coopération avec les défenseurs et la Rapporteure spéciale de la CADHP ;

 Reconnaître le rôle primordial et légitime des défenseurs dans la mise en œuvre des instruments relatifs aux droits de l’Homme ;

 Se conformer à l’ensemble des dispositions de la Déclaration des Nations unies sur les défenseurs ;

 Faciliter le mandat des Rapporteures spéciales de la CADHP et des Nations unies sur les défenseur, en leur adressant des invitations permanentes afin qu’elles puissent effectuer des visites officielles dans leurs pays, et en mettant à sa disposition des moyens financiers et humains suffisants en vue du bon accomplissement de leur mandat.

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