Intervention de Mme Souhayr Belhassen, Présidente de la FIDH

Madame la Présidente,
Mesdames et Messieurs les Commissaires,

Les bouleversements inattendus, inespérés, survenus en 2011 en Afrique du Nord, où notre acharnement et notre indignation ont eu enfin raison des régimes autocratiques de Ben Ali, Moubarak et Khadafi sont la preuve que les atteintes aux droits fondamentaux ne peuvent être tolérées par les peuples trop longtemps. Un long chemin, assurément semé d’embûches, nous reste à parcourir pour récolter les dividendes de ces révolutions arabes, tant les risques sont réels, et d’ores et déjà perceptibles, d’assister à une montée des extrémismes, du conservatisme et de l’insécurité. Mais les actes sont posés, le train est en marche et nul doute que nous continuerons de nous indigner et nous mobiliser avec force pour faire taire ces menaces, d’où qu’elles proviennent, au profit de la démocratie et des droits humains.

C’est d’ailleurs cette même indignation face aux violations des droits fondamentaux qui s’est propagée et manifestée à travers tout le continent, où des milliers de soudanais, d’angolais, de zimbabwéens, de sénégalais, de burkinabés, de mauritaniens, de djiboutiens, de swazis, d’ougandais n’ont pas hésité, eux aussi, à prendre le chemin de la rue pour crier leur ras-le-bol, bien souvent au péril de leur vie.

Au Soudan, des centaines d’étudiants et jeunes activistes ont tenté de manifester pacifiquement dans les villes de Khartoum, Omdurman, Wad Medani ou encore Kosti pour exprimer leur mécontentement face aux mesures d’austérité économique annoncées par les autorités. La réponse de l’État ? Répression violente ; arrestations et détentions arbitraires d’étudiants, de défenseurs des droits, de journalistes ; actes de torture à l’encontre de plusieurs détenus ; fermeture de journaux d’opposition.

Aujourd’hui, alors que la situation des droits humains ne cesse de se dégrader dans ce pays, nous comptons sur la Commission africaine pour qu’elle saisisse l’occasion qui lui est donnée d’interpeller les autorités soudanaises sur les mesures envisagées pour enfin répondre aux attentes légitimes en matière d’État de droit et de libertés fondamentales.

Plus urgent encore, la Commission africaine se doit d’amener les autorités soudanaises à mettre un terme immédiat aux violations graves des droits humains et du droit international humanitaire perpétrées en ce moment même dans les régions du Sud Kordofan et du Nil Bleu, où un conflit d’une extrême violence, opposant les Forces armées soudanaises au Mouvement de Libération du Peuple du Soudan (SPLM-N) a déjà entraîné la mort de centaines de civils et le déplacement forcé de milliers d’autres.

Nous en avons assez des bombardements aériens.

Nous en avons assez des exécutions sommaires et extrajudiciaires.

Nous en avons assez des actes de torture et des disparitions forcées ; autant d’exactions dont les principales victimes sont encore et toujours les populations civiles.

La Commission africaine doit agir pour que prenne fin cette situation chaotique qui a malheureusement un air de déjà-vu et nous renvoie en miroir le conflit toujours en cours au Darfour. D’autant que les mêmes protagonistes produisent les mêmes effets. Sous le coup de mandats d’arrêts de la Cour pénale internationale pour les crimes commis au Darfour, Omar al Bechir, Ahmed Haroun et Abdel-Rahim Mohamed Hussein sont aujourd’hui encore les acteurs principaux du théâtre macabre qui se joue au Sud Kordofan et au Nil Bleu. Nous avons ici même la preuve par les faits que paix et justice sont inextricablement imbriquées.

Les relations avec le Sud Soudan devront également faire l’objet de toutes les attentions lors de cette session. Le règlement pacifique des questions liées à la répartition des richesses, à la délimitation des frontières, à la citoyenneté, ou encore au statut de la région d’Abyei, est la seule option envisageable. Et la Commission africaine a pleinement un rôle à jouer pour que l’option militaire soit définitivement écartée.

Inspirée par les révolutions arabes, la jeunesse angolaise a elle aussi pris le chemin de la rue pour protester contre pauvreté, corruption endémique, réclamer plus de démocratie de même que le départ du Président Dos Santos, au pouvoir depuis plus de 30 ans. La réponse de l’État ? Répression violente par les forces de police, arrestations massives et détentions arbitraires de manifestants, journalistes, défenseurs des droits et opposants politiques ; lourdes peines d’emprisonnement ; interdiction pure et simple des manifestations. Signe du refus de tout débat contradictoire, cette réaction épidermique des autorités est à contre courant des dispositions contenues dans la nouvelle Constitution de 2010 qui garantit pourtant les libertés d’expression, de rassemblement et de manifestation pacifique. 10 ans après la fin d’une guerre interminable, il est grand temps que la population angolaise profite enfin de cette paix célébrée en grande pompe récemment. Le développement économique du pays, tant vanté par les autorités, ne saurait servir longtemps de soupape face à une population, face à une jeunesse, en mal d’alternance démocratique et de libertés fondamentales. La Commission africaine, qui examine également le rapport des autorités angolaises, devra les interpeller sur l’ensemble de ces questions.

Madame la Présidente,

La Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance, entrée en vigueur en février dernier, constitue un garde-fous supplémentaire contre les violations de ces libertés fondamentales, mais aussi contre les processus électoraux irréguliers et plus largement contre toutes les velléités d’arbitraire et d’autoritarisme. Ratifié par seulement 15 États, bafoué de manière déplorable par les putschistes maliens et bissau-guinéens, ce traité gagne encore à être respecté et diffusé le plus largement. Nous pouvons, nous devons y concourir.

Nous devons y concourir en République démocratique du Congo, où le libre choix des électeurs a été tronqué par les nombreuses irrégularités et actes de violences constatés lors de l’élection présidentielle de novembre dernier. Des leçons immédiates doivent être tirée de cet échec, de cette occasion manquée de renouer avec la démocratie, pour permettre la tenue d’élections provinciales libres, transparentes et sécurisées.

Nous devons y concourir au Kenya, où l’élection présidentielle à venir en 2013 est déjà au centre de toutes les attentions, mais aussi de toutes les craintes. Crainte que l’histoire ne se répète et que le référent ethnique ne soit une nouvelle fois attisé et à la source de graves actes de violence.

Nous devons y concourir au Zimbabwe, où les divisions au sein du gouvernement d’union nationale issu des élections contestées de 2008 pourraient, si elles ne sont contenues, faire rebasculer le pays dans une spirale de violence.

Nous devons y concourir en Guinée Bissau, où la légalité constitutionnelle vient d’être rompue avec l’arrestation, par des militaires putschistes, du Président Pereira et de son Premier Ministre Carlos Junior, moins de quinze jours avant le second tour de l’élection présidentielle.

Nous devons y concourir au Mali, où la ré-instauration d’institutions démocratiques solides doit permettre de remédier rapidement à la situation très grave qui prévaut dans le nord du pays. Il faut que cessent immédiatement les viols, les exécutions sommaires, les pillages, les abus et menaces liés à l’application de la Charia et toutes les autres violations graves recensées à Gao, Kidal, Tombouctou. Ces exactions, qui pourrait relever de crimes de guerre, ont d’ores et déjà entraîné le déplacement forcé de près de 90 000 personnes et contraint environ 200 000 autres à trouver refuge dans les pays voisins. L’avancée des rebelles du MNLA, d’Ançar Dine, des groupes islamistes se revendiquant d’Aqmi, de même que l’implication, à leurs côtés, d’autres groupes rebelles tel que le Boko Haram nigérian, laisse craindre une intensification du désastre humanitaire et sécuritaire en cours, ainsi qu’une régionalisation du conflit. Il y a donc urgence.

Il y a urgence également en Somalie, où la guerre civile continue d’accroître le nombre de victimes civiles, en proie à l’exode forcé.

Ces situations démontrent très clairement comment la confiscation du pouvoir, les atteintes aux libertés fondamentales, les violations graves des droits, l’impunité de leurs auteurs et les rancœurs engendrées constituent les ingrédients d’un cycle de violence. Ce cycle de violence doit plus que jamais être enrayé en Côte d’Ivoire, au Tchad, en Guinée-Conakry où nous attendons des autorités nationales qu’elles luttent, en toute impartialité, contre l’impunité des auteurs des violations graves perpétrées dans ces pays jusqu’à un passé très récent.

Ce besoin de justice doit être satisfait pour les victimes du régime de Hissène Habré qui se battent depuis plus de vingt ans pour que ce dernier réponde enfin des assassinats politiques et tortures systématiques commis sous sa responsabilité et qui attendent des actes concrets et rapides de la part des nouvelles autorités du Sénégal.

Les victimes des crimes commis en RDC, en Libye, au Kenya, en RCA ou encore au Soudan, attendent elles aussi que justice leur soit rendue. La condamnation de Thomas Lubanga, au terme du tout premier procès de la Cour pénale internationale a envoyé un signal fort aux responsables de crimes internationaux et en particulier du recrutement et de l’utilisation d’enfants soldats. Qu’ils sachent qu’ils ne sont pas à l’abri des poursuites.

Le respect du droit doit prévaloir avant toute considération politique. Mais aujourd’hui, je dénonce, je m’indigne face à la manipulation à dessein de ce droit. En particulier, je dénonce les projets de lois en Ouganda, au Nigeria ou encore au Liberia, prévoyant la pénalisation de l’homosexualité et m’interroge quant à leurs véritables objectifs. La préservation de l’ordre et de la morale ? Cet objectif ne saurait être synonyme de discriminations et d’arbitraire. Ne nous trompons pas de cibles et apportons les réponses attendues. Où sont-elles ces réponses ? Elles sont dans les réformes économiques, sociales et politiques. Elles sont dans la confiance et la place accordée à la jeunesse de notre continent. Elles sont dans la lutte permanente contre toutes les formes de discriminations à l’égard des femmes. Elles sont dans la promotion des débats de société, dans l’échange et le partage d’idées. Elles sont dans la solidarité.

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