Intervention de la FIDH sur la situation générale des droits de l’Homme en Afrique

DES SITUATIONS DE CONFLIT

Le continent connaît des situations de conflits où des violations graves des droits de l’Homme sont commises, sur lesquelles la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples (CADHP) doit se prononcer de toute urgence.

En Somalie

Ainsi, la Somalie sombre de plus en plus dans la folie meurtrière. Les affrontements entre les insurgés de l’Union des tribunaux islamistes (UTI) et les troupes éthiopiennes alliées aux forces du Gouvernement Fédéral de Transition sont quotidiens et féroces. Les deux camps se rendent coupables de graves violations des droits de l’Homme et du droit international humanitaire. Pas un jour sans que des civils ne tombent pris au piège des combats de rue. Les populations sont victimes d’explosions de bombes et de tirs de mortiers à l’aveugle, d’attaques suicides, de tirs dans la foule. Des viols, des enlèvements et des pillages forment également le quotidien effroyable des somaliens. Et si en mars 2007, suivant l’adoption de la résolution 1744 du Conseil de sécurité des Nations unies, 1 600 militaires de la Mission de l’Union africaine en Somalie (MUAS) sont arrivés dans le pays, cette présence n’a pas permis l’arrêt des violences. Les tentatives de solution politique au conflit, sont pour le moment au point mort. Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA), près d’un million et demi
de personnes auraient, à la fin de l’année, un besoin urgent d’assistance et de protection.

Au Darfour (Soudan)

Les combats font toujours rage au Darfour. Pire, il semblerait que les attaques soient de nouveaux perpétrées sur le même schéma qu’au début du conflit, il y a maintenant 5 ans. Des avions des forces militaires soudanaises bombardent à l’aveugle des villages avant que les janjawids s’attaquent aux populations au sol. Selon différentes sources, deux villages d’El Geneina ont été bombardés par des avions Antonov du gouvernement soudanais les 12 et 13 janvier 2008. La région de Jebel Moon a également été attaquée. En février, le UNHCR dénombrait plus de 10 000 nouveaux réfugiés soudanais au Tchad, ces derniers fuyant les milices qui ont brûlé et pillé leur village, dans une zone connue pour soutenir le mouvement d’opposition au gouvernement du Mouvement pour la justice et l’égalité (MJE). Depuis le 6 avril, les villes d’El Fasher et de Kabkabiya sont également l’objet de raids de janjawids, qui dépouillent les habitants et pillent les localités.

La MINUAD tarde à être opérationnelle, notamment du fait des obstacles posés par les autorités de Khartoum à son déploiement effectif. Son personnel fait même l’objet d’attaques. Le 10 avril, une patrouille de police de l’opération hybride Union africaine-Nations unies au Darfour a été attaquée à deux kilomètres au nord du camp de personnes déplacées de Zamzam, au sud d’El Fasher. Les convois humanitaires sont également la cible des milices.

Tout porte à penser que les autorités soudanaises souhaitent trouver une solution militaire au conflit, les négociations politiques étant au point mort. Malgré les injonctions de la communauté internationale, le Soudan ne coopère pas avec le Cour pénale internationale (CPI), l’impunité des crimes les plus graves restant le règle.

La Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples qui va examiner à cette session le rapport d’Etat du Soudan, ne pourra rester silencieuse face à cette situation dramatique.

En République démocratique du Congo

En République démocratique du Congo (RDC), la situation est tout aussi inquiétante. L’Accord de paix de Goma n’a pas fait entièrement cessé les affrontements à l’est du pays. Quelques semaines après sa signature, des affrontements armés ont été signalés à l’Est du Congo. Le 11 février 2008, la MONUC, responsable de la surveillance de la mise en oeuvre de l’Accord, a annoncé plus de dix-sept accrochages entre les parties signataires, en violation flagrante du cessez-le-feu. Ces accrochages ont été pour la plupart enregistrés dans les localités de Ngungu, Mweto et Kingi (territoire de Masisi), par les Maï Maï et le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) de Laurent Nkunda.

Par ailleurs, les affrontements entre l’armée et les rebelles continuent dans d’autres parties du pays. Ainsi le 29 janvier 2008 des combats ont eu lieu entre les Forces armées de la RDC et des éléments de la Force de Résistance Patriotique en Ituri (FRPI), forçant le déplacement de nombreux civils fuyant les combats.

En outre, depuis fin février au Bas-Congo, des affrontements avec le mouvement politico-religieux Bundu dia Kongo (BDK) et la répression brutale de la police ont fait 27 morts selon le gouvernement, plus de 100 morts selon des sources onusiennes.

Également, comme le montre le rapport de Mme Erturk, Rapporteuse spéciale des Nations unies sur les violences faites au femmes, le viol, utilisé comme arme de guerre au plus fort du conflit, pour terroriser et soumettre les populations civiles, continue de connaître une ampleur inquiétante en RDC, y compris dans des régions jouissant d’une relative stabilité. En raison de l’impunité massive dont jouissent les responsables, militaires comme civils, les violences sexuelles à l’égard des femmes, fillettes, ainsi que des hommes, font l’objet d’une banalisation et d’une généralisation sans précédent.

La Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples devra interroger les autorités congolaises sur ces violations graves des droits de l’Homme à l’occasion de l’examen à cette session du rapport d’Etat.

Un objectif : la lutte contre l’impunité des auteurs des crimes les plus graves

Face à ces situations, ll faut absolument continuer notre combat dans la prise en compte des responsabilité pénales individuelles. La paix et la justice sont indissociables. C’est une insulte aux victimes et un obstacle irrémédiable aux processus de paix de voir les criminels de guerre et autres génocidaires demeurer impunis, pire, continuer de faire le jeu politique de leur pays. Il n’est pas acceptable que les criminels d’hier jouissent aujourd’hui d’amnesties au nom d’une paix improbable. Combien de conflits ont repris du fait d’une justice enterrée au mépris des souffrances des victimes civiles. L’est de la RDC est il plus apaisé depuis la conférence de Goma ? Les amnisties au Tchad ont t-elles pacifié le pays. Que penser ainsi des négociations de paix en cours en Ouganda où les responsables du LRA tentent de monnayer la fin du conflit en échange de leur impunité ?

La lutte contre l’impunité des crimes les plus graves, base d’une paix durable, doit être un combat de tous les continents que les victimes, épaulées par les ONG, doivent mener sur tous les fronts. Les choses avancent. Les dictateurs, les tortionnaires, les sanguinaires, ne sont plus tranquilles aujourd’hui. On les poursuit : Fujimori au Pérou, les tortionnaires de Guantanamo et d’Abu Raib aux Etats unis, Rumsfeld en Allemagne et en France, les génocidaires rwandais et tortionnaires congolais en France, les miliciens congolais et Charles Taylor à La Haye, Hissène Habré au Sénégal.

A cet égard, la perspective du procès Habré au Sénégal est un exemple. Premier grand criminel africain à être jugé par la justice d’un autre pays africain. Plus de quinze ans que les victimes attendent ce procès. Le combat que mène celles-ci appuyées par des ONG internationales n’est pas vain. Aujourd’hui, le Sénégal – poussé par l’Union africaine, a mis en place un système juridique levant tous les obstacles au jugement de l’ex chef d’Etat tchadien. Il faut que cet exemple se multiplie sur notre continent.

DES SITUATIONS DE CRISE

Si les tentatives de prises illégales du pouvoir par la force semblent diminuer sur le continent malgré le contre exemple récent du Tchad, un certain nombre de pays connaissent des entraves manifestes aux principes démocratiques par des manipulations constitutionnelles ou des obstructions aux processus électoraux, contraires aux dispositions de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples et à la Charte africaine sur la démocratie, les élections et la gouvernance. Ces velléités souvent utilisées pour garantir le maintien au pouvoir des gouvernants dégénèrent en crises politiques et institutionnelles, souvent génératrices de violences.

Au Kenya

Ainsi au Kenya, une commission électorale sous pression a déclaré vainqueur le candidat sortant Mwai Kibaki contre son opposant Raila Odinga, malgré des conditions électorales extrêmement contestables et des résultats du scrutin législatif qui eux donnaient la majorité au candidat du Mouvement démocratique Orange (ODM). Le président Kibaki a immédiatement constitué son gouvernement. Des manifestations pro ODM dénonçant la régularité du scrutin ont été sévèrement réprimées par les forces de sécurité puis interdites tout comme la couverture médiatique des évènements. Ce coup de force a immédiatement attisé des tensions inter-ethniques, longtemps instrumentalisées par les partis politiques, notamment à l’occasion des élections. Les rancoeurs politiques ajoutées aux rivalités anciennes fondées sur les questions de la terre et de discriminations économiques et sociales ont favorisé des raids meurtriers entre ethnies faisant près de 1 500 morts. La médiation de Kofi Annan a permis de sceller un accord de paix, dont les dispositions principales peinent encore à être mises en oeuvre.

La CADHP lors de sa session extraordinaire de février a dénoncé les graves violations des droits de l’Homme au Kenya, elle doit maintenant veiller à ce que ces recommandations pour une paix durable dans le paix soient suivies d’effets.

Au Tchad

Au Tchad, la tentative de coup d’Etat essuyée en février par le pouvoir de Deby et anéantie de justesse grâce au soutien de la France prenait aussi un certain nombre de ces racines dans l’érosion des principes démocratiques et l’exaspération face à l’exercice d’un pouvoir autoritaire. Le changement constitutionnel imposé par Deby en 2004 pour lever la limitation du nombre de mandats présidentiels lui permettant de se présenter pour un troisième mandat aux élections de 2006 ; la victoire de ce dernier lors d’élections boycottées par l’opposition organisées quelques jours après une tentative de coup d’Etat ; les obstacles aux négociations entre le pouvoir et les partis d’opposition en vue de l’organisation d’élections législatives libres et transparentes ont donné à penser à certains que seule la force pouvait permettre l’alternance dans ce pays. La tentative de coup d’Etat a fait de nombreux morts et blessés parmi la population civile. Plusieurs leaders de l’opposition ont été arrêtés ; M. Saleh est toujours porté disparu à ce jour.

La CADHP devra se prononcer sur ces faits.

Au Zimbabwe

Le Zimbabwe représente un grand défi pour l’Afrique : il a le plus bas niveau d’espérance de vie au monde (33 ans pour les femmes et 35-37 ans pour les hommes) ; le plus grand nombre d’orphelins , le taux d’inflation le plus élevé (165 000%) ; la monnaie la plus faible (1 dollar américain équivaut à 100 millions de dollars zimbabwéen) ; le taux de chômage le plus élevé (près de 80%) ; le plus grand nombre de déplacés internes en Afrique australe, notamment en raison de "l’Opération Murambatsvina" qui, en mai 2005 avait conduit, en l’espace de deux mois, à l’expulsion forcée de près de 700 000 personnes ; le plus grand nombre de migrants en Afrique du Sud, avec près de 4 millions de personnes qui ont fui le pays entre 2000 et 2005.

Le gouvernement s’est rendu coupable d’une violence systématique et généralisée des droits de l’Homme. Le parti au pouvoir, qui, au moyen de techniques d’intimidation et de corruption, domine et contrôle toute la vie politique, a en effet nié les droits des citoyens de changer leur gouvernement par des moyens pacifiques et non-violents. Les défenseurs des droits de l’Homme font face à de nombreuses atteintes à leur droit de réunion, d’association et d’expression. Les avocats, militants, et membres de l’opposition sont régulièrement arrêtés, détenus et battus lors de leur arrestation ou au cours de leur garde à vue.

Les élections du 29 mars ont donné lieu à la défaite du parti ZANU-PF au Parlement et dans les principales circonscriptions. Quant aux résultats de l’élection présidentielle, ils ont seulement été annoncés le 2 mai, soit 5 semaines après les votes, un retard qui a discrédité la Commission électorale du Zimbabwe (ZEC, Zimbabwe Electoral Commission) et mis sérieusement en doute la fiabilité des résultats annoncés. Au cours de ces 5 semaines d’attente, Robert Mugabe a déployé les plus hauts responsables de l’armée et de la police qui ont collaboré avec les milices dans l’organisation d’une violence organisée et dans la pratique de la torture. À ce jour, près de 20 personnes auraient été tuées suite aux élections, il y a eu plus de 450 arrestations et détentions arbitraires, dont 120 concernent les membres de la Commission électorale, dont le parti au pouvoir doute de la loyauté pour le deuxième tour.

La CADHP doit continuer ses efforts pour amener le gouvernement du Zimbabwe à se conformer à ses obligations internationales, notamment aux dispositions de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples.

Au Cameroun

Les crises politiques qui ont donné lieu pour la plupart à de graves violations des droits de l’Homme ne font qu’attiser les inquiétudes à la suite de la modification de la Constitution camerounaise en avril 2008, permettant au président Paul Biya de se représenter aux prochaines élections.

LE CONTINENT FACE A LA VIE CHERE

Une autre situation inquiétante menace l’Afrique de possibles crises, voire de conflits, comme l’a souligné récemment le Fond monétaire international : la flambée du prix du pétrole fait grandir les contestations contre la vie chère. Des manifestations, parfois violentes, souvent réprimées par la force, ont jalonné le continent du Sénégal, au Burkina Fasa, en Côte d’Ivoire, en Egypte, au Niger, en passant par le Cameroun.

Le 6 avril 2008 en Egypte, la police a tiré des balles en caoutchouc et des grenades lacrymogènes pour disperser des employés de l’industrie textile qui manifestaient violemment dimanche dans le delta du Nil, à Mahalla el Koubra, à cent kilomètres au nord du Caire, pour réclamer des hausses de salaires. Les manifestants ont détruit les vitrines de plusieurs magasins et mis le feu à des marchandises, ont rapporté des témoins. Ils ont également érigé des barricades de pneus enflammés sur certaines places de la ville. Quelque 25 personnes ont été blessées, la plupart intoxiquées par les gaz lacrymogènes. A travers le pays, la police a interpellé plus de 200 personnes et des petits groupes de manifestants ont été encerclés par les forces de l’ordre au Caire. Des manifestations sporadiques contre "la vie chère" ont ainsi opposé, lundi 31 mars à Abidjan (Côte d’Ivoire), plusieurs centaines de personnes aux forces anti-émeutes qui ont fait usage de gaz lacrymogènes. Un scénario presque identique avait eu lieu la veille à Dakar (Sénégal) dimanche 30 mars. Mais la manifestation "contre la vie chère", organisée par deux organisations de consommateurs, avait été interdite pour "menaces de troubles à l’ordre public". Le défilé a dégénéré en heurts avec les policiers qui ont utilisé matraques et gaz lacrymogènes. A Ouagadougou et dans plusieurs villes du Burkina-Faso, des dizaines de milliers de manifestants ont défilé aux cris de "Non à la vie chère !", "A bas les corrompus !" le 28 février puis le 15 mars. A Douala (Cameroun), fin février, une grève contre l’envol des prix des carburants avait dégénéré en émeutes et pillages.

L’augmentation du prix de l’or noir érode dangereusement le pouvoir d’achat des populations les plus pauvres, entamant plus encore leurs droits économiques et sociaux. Les produits de première nécessité - riz, huile, lait, savon, carburants, sont hors d’atteinte. Les gouvernements africains vont devoir prendre le problème à bras le corps s’ils ne veulent pas affamer leurs citoyens, en trouvant d’urgence des moyens de faire baisser les prix. La communauté internationale doit également réagir vite en modifiant ses modalités d’aide d’urgence pour faire face à cette situation.

ENGAGER LA RESPONSABILITE DES ETATS POUR LES VIOLATIONS DES DROITS DE L’HOMME

Face aux situations de crises et de conflits sur le continent, il est urgent d’engager les Etats au respect des droits de l’Homme. Il faut que les sociétés civiles se mobilisent pour que les gouvernements ratifient les conventions relatives à la protection des droits de l’Homme et harmonisent en conséquence leur législation nationale. Ainsi, nous devons contraindre les Etats africains à ratifier la Charte africaine sur les élections, la démocratie et la gouvernance mais aussi le Protocole à la Charte africaine relatifs aux droits des femmes. Également, nous devons demander à nos Etats d’adopter dans les plus brefs délais la Convention de l’Union africaine relative aux personnes déplacées internes. Au niveau international, nous devons exiger des Etats qu’ils ratifient la Convention des Nations unies sur les disparitions forcées et qu’ils s’engagent dans l’adoption du Protocole additionnel au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Enfin, pour que ces instruments soient réellement protecteurs de nos droits, nous devons exiger l’opérationnalisation rapide de la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples dont le Statut est entré en vigueur en 2004 mais qui n’est toujours pas en place.

La Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples doit à cet égard profiter de cette session pour achever la réforme de son règlement intérieur pour le mettre en conformité avec les nouvelles règles de procédures de la Cour adopté par les juges en mars dernier.

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