Intervention de la FIDH sur la situation générale des droits de l’Homme en Afrique

L’Union africaine (UA) se construit et conformément aux dispositions de sa Charte constitutive, elle place les droits de l’Homme au cœur de ses préoccupations. L’ECOSOCC est créé. Le NEPAD qui fait du respect des droits de l’Homme un principe de base des politiques de développement en Afrique prend son élan. Le Conseil de paix et de sécurité condamne les violations des droits de l’Homme au Togo, en Côte d’Ivoire, au Soudan...Une Mission de l’Union africaine est d’ailleurs envoyée au Darfour.

Les gouvernements qui composent l’Union ne semblent pas opposés à l’édification de normes protectrices des droits de la personne humaine. En revanche, la mise en œuvre effective de ces droits dans leur pays est plus problématique. Les droits de l’Homme sont plus proclamés que respectés.

L’impunité conférée aux auteurs des violations des droits de l’Homme est inadmissible. Elle entrave les espoirs de paix en animant les esprits de vengeance et met en péril la construction d’Etats de droit. A défaut d’une justice neutre, efficace, au niveau national, il faut encourager l’action d’une justice supplétive, indépendante, afin que les responsabilités des Etats et des individus dans la violation des droits de l’Homme soient sanctionnées.

I - Graves violations des droits de l’Homme et du droit international humanitaire

A/ Une situation dramatique : le Darfour

On ne peut dresser un Etat des lieux de la situation des droits de l’Homme en Afrique sans débuter par la région où ceux-ci sont annihilés, niés totalement : le Darfour. Plusieurs centaines de milliers de morts. Des millions de personnes déplacées. Des générations sacrifiées. Depuis plusieurs mois les accords de cessez-le-feu entre les mouvements rebelles, le gouvernement et ses milices sont caduques. Les attaques des deux camps, en pleine recrudescence, sont meurtrières et aggravent jour après jour la crise humanitaire. La guerre s’exécute hors la loi, comme le confirme le rapport de la Commission internationale d’enquête de l’ONU qui parle de crimes contre l’humanité : des populations civiles sont brûlées vives ; des enfants sommairement exécutés ; des femmes violées ; des pillages généralisés. Les quelques 3.000 casques bleus qui sont envoyés sur le terrain par l’Union africaine sous mandat des Nations unies sont évidemment impuissants pour imposer une paix de plus en plus chimérique et la protection des populations civiles est tout simplement irréalisable. Les nombreuses condamnations par la communauté internationale du régime de Khartoum n’ont manifestement pas d’équivalent en terme d’implications financières et militaires pour tenter d’enrayer les massacres. Elle devra assurément rendre des comptes dans quelques années et expliquer les raisons de sa léthargie.

Dans ce contexte, la FIDH avait été particulièrement choquée du silence de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples (CADHP) sur cette situation lors de la 36ème session malgré le projet de résolution y afférant déposé par le Forum des ONG. La FIDH demande à la Commission d’adopter lors de sa 37ème session une résolution condamnant fermement les graves violations des droits de l’Homme et du droit international humanitaire commises au Darfour.


B/ Des situations alarmantes de violations graves des droits de l’homme

Plusieurs pays d’Afrique connaissent ou font craindre aujourd’hui des situations de graves violations des droits de l’Homme comme en République démocratique du Congo (RDC), en Côte d’Ivoire, au Togo, en Somalie, au Congo Brazzaville.

En République démocratique du Congo, de graves violations des droits de l’Homme persistent à l’est du pays, notamment en Ituri et dans les Kivu, du fait de milices armées, certaines soutenues par des pays étrangers. La population civile, première victime des conflits, subie assassinats, viols et pillages et est par conséquent obligée de fuir les zones de combats dans des conditions extrêmement précaires. Cette situation ajoutée au retard pris par les autorités congolaises dans la mise en place des cadres constitutionnel et électoral hypothèque dangereusement l’établissement d’un Etat de droit respectueux des principes démocratiques, comme le prévoit l’Accord Global et Inclusif.

En Côte d’Ivoire, malgré les efforts de médiation de l’Afrique du sud, la situation reste extrêmement tendu entre les deux camps. Dans un rapport remis le 23 mars 2005 au Conseil de sécurité, le secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, évoquait « un réel danger de voir la situation devenir incontrôlable » dans un contexte de paralysie politique, de tensions ethniques et de prolifération des bandes armées. Des sources concordantes font état de l’achat et de l’acheminement d’armes lourdes, aussi bien au Sud, en zone gouvernementale, qu’au Nord, contrôlé par les Forces nouvelles, ce alors que depuis novembre 2004, la Côte-d’Ivoire est soumise à un embargo sur les armes.

II - des Violations récurrentes des dispositions de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples

Les droits de l’Homme sont déclamés mais peu appliqués. Quelques exemples récents de leurs violations illustrent parfaitement cette contradiction entre les déclarations d’intention des gouvernements dans les forums régionaux et internationaux et les faits vécus au quotidien par une population civile de plus en plus en insécurité.


Exécutions sommaires

Article 4 de la Charte africaine : « la personne humaine est inviolable. Tout être humain a droit au respect de sa vie et à l’intégrité physique et morale de sa personne ».

En RCA le phénomène des exécutions sommaires perdure du fait d’éléments de la force publique peu confiants dans les vertus du circuit judiciaire. Ces graves exactions semblent même légitimées par les plus hautes autorités de l’Etat dès lors qu’il s’agit de "braqueurs" [1].
Au Togo, la ligue togolaise des droits de l’Homme (LTDH), organisation membre de la FIDH, a recensé 19 personnes exécutées sommairement par les forces de l’ordre en répression des manifestations pacifiques organisées par les partis politiques de l’opposition et des représentants de la société civile pour contester le coup d’Etat de Faure Gnassinbé, fils du défunt Président Eyadéma [2].

Esclavage et torture

Article 5 de la Charte africaine : « Toutes formes d’exploitation et d’avilissement de l’homme notamment l’esclavage, la traite des personnes, la torture physique ou morale, et les peines ou les traitements cruels inhumains ou dégradants sont interdites ».

L’esclavage est toujours d’actualité en Afrique, comme en Mauritanie, au Niger et au Soudan. En Mauritanie, si la loi de 1981 interdit la pratique de l’esclavage, il n’existe toujours pas de décrets d’application, aucune disposition pénale ne réprime expressément l’esclavage et, surtout, les pratiques esclavagistes demeurent en Mauritanie, comme le confirme les observations finales du Comité sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale en août 2004.
En outre, les autorités ne se contentent pas de nier l’existence de l’esclavage et des pratiques esclavagistes et de s’abstenir de toute action lorsqu’on leur soumet des cas, elles entravent également l’action de journalistes ou d’organisations de défense des droits de l’Homme travaillant sur cette question.
La torture est également une pratique récurrente en Afrique dans les lieux de détentions, comme en RCA, au Togo, au Cameroun, en Mauritanie, au Bénin, au Congo Brazzaville...Au Togo les manifestants arrêtés et détenus arbitrairement par les forces de sécurité ont subi actes de tortures et humiliations. Au Cameroun, on ne s’étonne plus que nombreux détenus dans la prison de Douala meurt seulement quelques jours après leur incarcération.


Arrestations et détentions arbitraires

Article 6 de la Charte africaine : « Nul ne peut être arrêté ou détenu arbitrairement. »

Cette disposition semble lettre morte dans la grande majorité des pays africains, comme le démontre les rapports et articles récents de la FIDH sur le Tchad, la Mauritanie, la RDC, la RCA, le Zimbabwe, la Tanzanie, l’Ethiopie...

Entraves à la liberté d’expression

Article 9 de la Charte : « Toute personne a le droit d’exprimer et de diffuser ses opinions ».

En Gambie, le journaliste M. Deida Hydara a été assassiné par trois balles dans la tête dans la nuit du 16 au 17 décembre 2004, alors qu’il reconduisait deux de ses collaboratrices à leur domicile. Ces dernières, Mme Ida Jagne-Joof et Mme Nyang Jobe ont été blessées par balles aux jambes. M. Hydara, 58 ans, travaillait comme correspondant en Gambie pour l’Agence France Presse (AFP) depuis 1974 et pour Reporters sans frontières (RSF) depuis 1994 ; il était également copropriétaire du journal « The Point ». M. Hydara était particulièrement reconnu pour son engagement en faveur de la liberté de la presse et des droits de l’Homme, et faisait partie des journalistes très critiques à l’égard du gouvernement. La FIDH note que cet assassinat survient dans une période de répression accrue à l’encontre de la presse indépendante en Gambie. En effet, la mort brutale de M. Hydara intervient quelques jours après l’adoption par le Parlement de deux lois particulièrement répressives, qu’il avait lui-même vivement critiquées.
Le président de l’association rwandaise Caurwa, dont l’objet est de dénoncer les discriminations dont sont victimes les populations pygmées, a été publiquement menacé, ainsi que sa famille, dans l’enceinte même de la CADHP lors de sa 36ème session parce qu’il avait osé soumis un rapport alternatif au rapport de son gouvernement. Depuis, l’organisation n’a toujours pas pu être légalement enregistrée au motif qu’elle promeut le « divisionnisme » dans son pays.
En Côte d’Ivoire, le président du Mouvement ivoirien des droits humains a été à maintes reprises menacé de mort pour avoir dénoncé les graves violations des droits de l’Homme commises dans son pays depuis septembre 2002, sans que les autorités ivoirienne ne lui assure sa sécurité conformément pourtant à leurs obligations.

Principes démocratiques bafoués

Article 13 de la Charte : « Tous les citoyens ont le droit de participer librement à la direction des affaires publiques de leur pays, soit directement, soit part l’intermédiaire de représentants librement choisis ».

La communauté internationale, notamment les pays africains, a condamné récemment la tentative de coup d’Etat de Faure Gnassinbé au Togo, violation flagrante de cette disposition. Pourtant elle reste silencieuse sur les nombreuses irrégularités qui émaillent la préparation des élections : menaces contre les citoyens qui ne souhaiteraient pas voter pour le parti au pouvoir, le RPT, refus de délivrance de pièces d’identités, refus d’inscription sur les listes électorales, retard dans la distribution des cartes d’électeurs.
En RCA, le chef de l’Etat auto proclamé, François Bozizé, a tout tenté pour verrouiller en amont le scrutin présidentiel en vue d’assurer sa propre succession : Nomination de proches du pouvoir au sein de la Commission électorale mixte indépendante, chargée de contrôler le bon déroulement des processus électoraux. ; Placement des proches collaborateurs de Bozizé à la tête de la Cour constitutionnelle de transition. Cette composition partisane a été à l’origine de la « crise des candidatures » qui a vu dans un premier temps la Cour recaler 7 candidats à la course présidentielle avant que la médiation gabonaise ne remette ces derniers en lice, à l’exception de l’ex Président Ange-Félix Patassé ; Enfin, audiencement à la hâte le 22 décembre 2004 du procès contre les anciens tenants du régime pour crimes de sang et crimes économiques permettant au général Bozizé de confirmer pour « défaut de moralité » l’éviction de la candidature de son principal adversaire politique, Ange Felix Patassé.
Au Zimbabwe, à l’approche des élections parlementaires de mars 2005, il a été constaté une recrudescence d’actes d’intimidation de harcèlement et d’arrestations arbitraires de candidats et partisans de l’opposition rendant impossible une libre participation au processus électoral.

Dans ce triste concert de violations des droits de la Charte en toute impunité, la FIDH souhaite insister sur deux problématiques majeures qui émaillent le continent africain : la violation des droits des femmes et la peine de mort.

Droits des femmes niés

Les droits fondamentaux des femmes et des filles font, intégralement et indissociablement partie des droits universels de la personne. L’égale et pleine participation des femmes à la vie politique, civique, économique, sociale et culturelle au niveau régional et international, et l’élimination de toute forme de discrimination basée sur le sexe doivent être des objectifs prioritaires de la communauté internationale.

Dans certains pays d’Afrique, des pratiques traditionnelles infligent des souffrances et usent de violence à l’égard des enfants, et plus particulièrement des fillettes. Notamment, la coutume des ’’vidomègon’’, pratique par laquelle des parents pauvres, souvent d’origine rurale, placent leurs filles chez des familles beaucoup plus riches ou nanties afin de ne pas avoir à subir le poids que représente l’entretien de l’enfant pour la famille. L’argent gagné par le travail de la fillette est alors renvoyé à sa famille. Environ 49.000 enfants béninois seraient actuellement utilisés à des tâches de travaux agricoles, domestiques, etc., pour des coûts minimes voire inexistants.

Par ailleurs, la pratique des mutilations génitales féminines, (ci après MGF), reste fortement implantée comme au Sénégal ou au Burkina Faso. En Guinée Conakry, une Loi de 2000 pénalise les MGF, mais ses arrêtés d’application n’ont toujours pas été signés. En Égypte, la pratique de l’excision demeure très largement pratiquée, malgré l’interdiction votée en 1997. Il y aurait aujourd’hui en Afrique entre 100 et 130 millions de femmes qui ont subi l’une ou l’autre des MGF (excision, infibulation, etc.). La MGF est une pratique discriminatoire contraire aux droits à la santé, au droit de ne pas être exposé à la violence, aux blessures, aux sévices, à la torture et aux traitements cruels, inhumains ou dégradants, au droit à la protection contre les pratiques traditionnelles préjudiciables à la santé, et au droit de faire librement des choix en matière de reproduction. Ces droits sont protégés en droit international.

Les femmes font notamment l’objet de graves discriminations dans le domaine de l’éducation. En République de Guinée, pour exemple, le taux de scolarisation des filles dans l’enseignement élémentaire est de 30,5 %. Il est à 26% dans dans l’enseignement secondaire, et de 7% dans l’enseignement supérieur. En conséquence, si 56% des hommes sont analphabètes en Guinée, le pourcentage des femmes analphabètes en Guinée est de 81%.

Les femmes patîssent également de la déficience des systèmes de santé dans certains pays africain :.Toujours en République de Guinée, seuls 29% des accouchements sont assistés par un agent technique. Le taux de prévalence contraceptive, très faible, est comptabilisé à 3%. La mortalité maternelle est estimée à 666 pour 100 000 naissances vivantes.

Dans nombreux pays d’Afrique, au Congo Brazzaville par exemple, les droits des femmes incarcérées ne sont pas respectés. Le Congo n’a pas de prison moderne respectant les standars internationaux en matière de détention et il n ’existe aucune prison pour femmes dans le pays . Les femmes sont par ailleurs victimes de harcèlement et de viols dans les lieux de détentions, commissariats de police, brigades de gendarmerie et prisons soit par les co-gardés à vue soit par les agents de sécurité qui abusent de leur position dominante pour monnayer des faveurs. Nombre d’entre elles contractent de ce fait des maladies sexuellement transmissible.

Sur le plan politique, les femmes n’ont que très peu d’accès aux fonctions dirigeantes, et lorsqu’elles y sont parvenues, il arrive très souvent qu’elles soient menacées ou harcelées, ce qui illustre combien les sociétés ne sont pas prêtes à les voir assumer de telles fonctions. En Égypte, le pourcentage de femmes aux fonctions parlementaire, de représentation, de direction et d’encadrement supérieur n’est que de 9 %, et il y a malheureusement très peu de pays pour lesquels ce chiffre est disponible dans le rapport du PNUD 2004.

Enfin, dans les zones de conflit, comme en Côte d’Ivoire, en RDC, au Burundi, les femmes sont victimes de graves violences. Dans les camps de déplacés au Burundi, 20% des femmes ont été victimes de violences sexuelles. En RCA, plusieurs centaines de viols ont été recensés lors de la tentative de coup d’Etat du général Bozizé.

Des instruments juridiques internationaux et régionaux promeuvent et protègent les droits des femmes, il ne tient qu’aux États de trouver le courage politique de les mettre en oeuvre.

Peine de mort

Si la FIDH s’est grandement félicité de la décision d’abolition de la peine de mort au Sénégal en décembre 2004, elle reste particulièrement préoccupée par le fait qu’à ce jour, 39 pays membres de l’UA connaissent la peine de mort dans leur législation.
Si peu de pays exécute effectivement la peine capitale, de nombreuses juridictions nationales continuent de prononcer la peine de mort. Les conditions de détention des condamnés dans les couloirs de la mort sont souvent assimilables à des traitements inhumains et dégradants : isolement complet dans des cellules individuelles, incertitude quant au jour éventuel de leur exécution, manque de contacts avec l’extérieur, y compris parfois avec les membres de la famille et l’avocat.
Ainsi en Ouganda, alors qu’un moratoire de fait existe sur l’exécution de la peine capitale, plus de 500 condamnés attendent dans les couloirs de la mort.
En Tanzanie, le nombre de condamnés à mort peut être équivalent mais, le gouvernement ne souhaitant pas communiquer à cet égard, les chiffres sont incertains.
Dans d’autres pays, alors qu’un moratoire était de règle, des exécutions ont été procédées. Au Tchad par exemple, neuf exécutions ont eu lieu les 8 et 9 novembre 2003.

Pour la FIDH, la peine de mort est en contradiction avec l’essence même des notions de dignité et de liberté humaines. Plus encore, elle a jusqu’à présent démontré son inutilité en tant que moyen de dissuasion. C’est pourquoi le maintien de la peine capitale ne peut se justifier ni par les principes ni par des considérations utilitaristes.

Absence de justice effective et indépendante

Ces exemples non exhaustifs de violations récurrentes des droits garanties aux individus par la Charte africaine sont d’autant plus inquiétant qu’une autre disposition fondamentale est largement bafouée sur le continent africain, celle du droit à un recours effectif devant la justice.

L’article 7 de la Charte africaine dispose : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit comprend le droit d’être jugé dans un délai raisonnable par une juridiction impartiale. »

Le procès des putschistes en Mauritanie a été à cet égard un triste modèle des violations des droits de la défense : arrestations arbitraires, conditions de détention illégales, inhumaines et dégradantes, actes de torture, impossibilité de visites pour les avocats, les médecins et les familles, pressions et menaces contre les avocats de la défense, arrestations illégales des membres du collectif des familles de détenus. Présente lors des plaidoiries par le biais d’une mission d’observation judiciaire, la FIDH a constaté le caractère inéquitable du procès : tenue des audiences au sein d’une caserne de gendarmerie ; participation de deux militaires comme jurés ; des pièces versées au dossier non communiquées à la défense ; menaces de sanctions répétées du président du tribunal envers les avocats de la défense et une journaliste de RFI.
La procédure menée au Congo Brazzaville dans l’affaire des disparus du Beach est également édifiante quant à ses irrégularités. En effet, ce n’est qu’en juin 2002, quand la FIDH, la Ligue française des droits de l’Homme et l’Observatoire congolais des droits de l’Homme décident de porter à la connaissance du grand public la procédure française contre de hauts responsables congolais que les autorités décident subitement de relancer une procédure moribonde au niveau national, soit 3 ans après le massacre de plus de 350 personnes au Port fluvial de Brazzaville. L’instruction reflète d’importante violation des droits de l’Homme : chantage auprès des familles de victimes, immixtion de l’exécutif dans le judiciaire...Les récentes déclarations du président congolais annonçant que l’organisation d’un procès à Brazzaville permettrait de démontrer " qu’il n’y a pas eu de massacre du Beach ", confortent la FIDH et ses organisations membres, dans ses craintes que la procédure congolaise soit une mascarade judiciaire.
Au Sénégal, un loi votée par l’Assemblée nationale en janvier 2005, amnistiait, « de plein droit, toutes les infractions criminelles ou correctionnelles commises en relation avec les élections générales ou locales ou ayant eu une motivation politique, situées entre le 1er janvier 1983 et le 31 décembre 2004, que leurs auteurs aient été jugés ou non ». La FIDH a exprimé à cette occasion sa profonde préoccupation de voir l’impunité ainsi consacrée, notamment dans l’affaire de l’assassinat du vice-président du Conseil constitutionnel, Me Babacar Sèye, en 1993, mais aussi dans celle de l’agression d’un des leaders de l’opposition, Talla Sylla, en 2003.

La FIDH et ses organisations membres au Sénégal, l’ONDh et la RADDHO vont soumettre à la CADHP lors de cette session une communication contestant la légalité de cette amnistie eu égard aux dispositions de la Charte africaine.

III - une necessité : la mise en œuvre de la responsabilité des etats et des individus pour la violation des droits de l’homme

Les violations des droits garantis par la Charte africaine des droits de l’Homme et de peuples et du droit international humanitaire sont tristement d’actualité en Afrique.

Lorsque les juridictions nationales n’ont pas la volonté ou sont dans l’incapacité de rendre justice aux victimes de violations des droits de l’Homme, il est nécessaire d’établir un niveau de responsabilité supranational alternatif à ces déficiences.

La Cour pénale internationale et l’Afrique

A cet égard, la FIDH a salué l’activation du système de la Cour pénale internationale (CPI) sur 5 pays africain : le Soudan, la Côte d’Ivoire, la RDC, la RCA et l’Ouganda. La FIDH appelle le Procureur de la CPI à ouvrir une enquête sur toutes ses situations et demande aux gouvernements concernés de coopérer avec la Cour, notamment en adoptant des lois internes d’adaptation du Statut de la CPI. La FIDH salue tout particulièrement la décision historique du Conseil de sécurité des Nations unies de déferrer la situation du Darfour au Procureur de la CPI. Pourtant, elle ne peut que souligner le marchandage de la honte entrepris par les Etats unis pour monnayer son abstention : l’adoption dans la résolution d’une disposition prévoyant que les ressortissants d’Etats non parties au Statut de la CPI participant à toute opération établie par le Conseil de sécurité ou l’Union Africaine, qui seraient suspectés d’avoir commis au Darfour des crimes internationaux, seraient soumis à la compétence exclusive des tribunaux de leurs Etats, écartant ainsi toute compétence de la CPI.

Néanmoins, la FIDH souligne qu’il est essentiel que les responsabilités pénales individuelles des auteurs des crimes les plus graves commis dans ces pays soient portées à la connaissance de la CPI. La FIDH est convaincu que la lutte contre l’impunité est une composante essentielle à l’établissement d’une paix durable. L’activation du système de justice internationale permet d’envoyer un signal fort et immédiat à tous les acteurs des conflits, leur signifiant que désormais les actes criminels qu’ils ont pu commettre ou qu’ils entendent perpétrer engagent leur responsabilité et qu’ils devront répondre de leurs actes.
La FIDH rappelle également que le mandat de la CPI a ceci de singulier dans le système de justice pénale internationale qu’il permet de répondre aux attentes des victimes en leur permettant de faire valoir leurs droits à la justice et à la réparation, en participant directement à la procédure devant la Cour.

L’Afrique a besoin d’une Cour des droits de l’Homme

La participation des victimes pour contester une violation d’un droit de l’Homme par un Etat est également légalement possible devant la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples, dont le Protocole est entré en vigueur en 2004. Mais cette possibilité demeure virtuelle ! La Cour n’est toujours pas en place. Les chefs de l’Etat de l’UA semblent vouloir retarder sa création effective pour des raisons de rationalité économique en en faisant une sous-chambre d’une Cour de Justice qui, elle n’a pas recueilli suffisamment d’adhésion de la part des Etats africains pour être mise en place. Cette situation paradoxale est inacceptable. La Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples doit faire de la mise en place immédiate d’une Cour des droits de l’Homme indépendante sa priorité.

IV - Recommandations

A/ Face aux nombreuses violations par les Etats des dispositions de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples, la FIDH recommande à la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples

1. de renforcer son mandat de protection des droits de l’Homme :
 approfondir l’examen des rapports d’Etat et de rendre public ses observations
 multiplier les enquêtes de terrain et de rendre public systématiquement et le plus rapidement possible ses rapports
 pérenniser et externaliser ses rapporteurs spéciaux à l’image du système des Nations unies
 Multiplier ses prises de position quant à la situation des droits de l’Homme de tel ou tel pays, notamment en adoptant un nombre plus important de résolution

2. de continuer à promouvoir la ratification des instruments internationaux et régionaux de protection des droits de l’Homme comme la Convention contre la torture, ainsi que la transposition de leurs dispositions dans le droit interne des Etats.

3. de réfléchir à la mise en place d’un mécanisme de promotion de l’abolition de la peine de mort, notamment un Protocole spécifique à la Charte africaine et de demander aux Etats de ratifier le Protocole facultatif au PIDCP abolissant la peine de mort

4. de promouvoir la ratification du Protocole femme à la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples ; de demander aux Etats africains de retirer les réserves incompatibles à la Convention sur l’Élimination des Discriminations à l’égard des Femmes, d’appliquer la Déclaration du Caire sur l’élimination des Mutilations génitales féminines, et de prendre de toute urgence les mesures nécessaires pour mettre en oeuvre la plate-forme d’action de Pékin

5 - de promouvoir au sein des instances de l’UA, par le biais d’une résolution, la mise en place immédiate d’une Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples indépendante et de montrer l’exemple en adaptant ses statuts pour permettre une coopération efficace entre la Commission et la Cour

6. d’adopter des résolutions condamnant les violations des droits de l’Homme au Darfour, en République démocratique du Congo, au Zimbabwe, en Côte d’Ivoire

7. d’adopter une résolution sur les élections périodiques, libres et honnêtes

B/ Face aux graves violations des droits de l’Homme et du droit international humanitaire par les individus, la FIDH recommande à la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples

1. de promouvoir la ratification du Statut de la CPI et l’adaptation de ses dispositions dans le droit interne des Etats

2. de condamner les accords bilatéraux pris entre les Etats africains et les Etats unis tendant à exclure tout citoyen américain de la compétence de la Cour

3. de condamner l’exclusion de la compétence de la CPI accordée par le Conseil de sécurité à tous les personnels des Etats non Parties participant à des Opérations de maintien de la paix au Darfour

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