Les femmes défenseurs des droits de l’Homme en Afrique : un besoin de stratégies

Consultation sur la situation des femmes défenseurs des droits de l’Homme en Afrique

Dakar, 18-19 novembre 2004

Organisée par L’observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme, le Centre africain pour la démocratie et les études des droits de l’Homme et le Service international pour les droits de l’Homme

Contribution de
La Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme - FIDH -
et de l’Organisation mondiale contre la torture - OMCT

Dans le cadre de leur programme conjoint
L’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme

La FIDH et l’OMCT dans le cadre de leur programme conjoint, l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme, se félicitent vivement de la nomination de la Commissaire Jainaba Johm en tant que Rapporteur spéciale de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples. Sa qualité de femme et son engagement en faveur des droits de l’Homme en font la personne idéale pour développer un mécanisme de protection pour les défenseurs des droits de l’Homme et une action particulière pour les femmes défenseurs des droits de l’Homme. Je remercie aussi toutes les femmes défenseurs ici présentent afin d’apporter leur contribution et leur réflexion aux menaces et défis auxquelles les femmes ont a faire face en tant que défenseurs des droits de l’Homme.

L’Observatoire qui s’est engagé depuis de longues années dans la promotion et la protection des défenseurs des droits de l’Homme s’inquiète en effet des menaces spécifiques qui pèsent sur les femmes défenseurs et sur la place qui leur est accordée pour leur protection.

I - Des menaces spécifiques

L’Observatoire s’inquiète notamment de l’utilisation par certains Etats et acteurs non-étatiques de méthodes répressives telles que les arrestations, les détentions arbitraires et les enlèvements, la pratique de la torture et des mauvais traitements, les sévices sexuelles et les intimidations du même ordre visant les femmes défenseurs des droits de l’Homme. De même, l’utilisation de mesures législatives et réglementaires dans le but d’entraver les activités des défenseurs des droits de l’Homme touche également les femmes dans leur travail quotidien.

L’Observatoire souhaite que cette consultation permette d’attirer particulièrement l’attention sur les menaces spécifiques qui pèsent sur les femmes défenseurs :

 Les intimidations physiques et morales

En Tunisie , en avril 2003, Mme Sihem Ben Sedrine, alors porte-parole du CNLT, a fait l’objet d’une virulente campagne de diffamation et de dénigrement à travers la presse. Elle a été accusée de trahir la cause arabe, alors qu’elle revenait d’une mission en Irak, sous occupation américaine depuis mars.
Début décembre 2003, sa voiture a été entièrement saccagée et vandalisée, et le 5 janvier 2004, Mme Ben Sedrine a été agressée en pleine rue alors qu’elle rentrait à son domicile, qui est aussi siège du CNLT

 Les violences physiques, y compris sexuelles à leur encontre, ainsi que les attaques contre leur famille et particulièrement leurs enfants

Ainsi en Algérie , les représentants des familles de disparus à Constantine continuent de faire l’objet de harcèlement. Le 5 novembre 2003, Mme Naïma Saker, coordinatrice des familles de disparus à Constantine, a été intimidée par deux inspecteurs des services de Renseignement généraux, qui se sont rendus à son domicile à 21h45, au motif qu’ils cherchaient une copie d’un procès-verbal délivré à Mme Saker en 1997, lui notifiant l’arrestation de son mari et son transfert au Département du renseignement et de la sécurité (DRS) de Constantine.

Toujours en Algérie , le 20 septembre 2004, Mme Louisa Saker, Secrétaire générale de l’Association des familles de disparus de Constantine, a été interpellée et emmenée par des éléments de la Brigade mobile de Police judiciaire (BMPJ), lors d’un rassemblement des familles de disparus devant le siège provisoire du Comité ad hoc sur les disparus à Constantine. Détenue pendant plusieurs heures dans la caserne de la Police judiciaire de la zone palma à Constantine, elle a été libérée après avoir été intimidée par des agents des renseignements généraux.
Le 5 octobre, plusieurs dizaines de manifestants ont été arrêtés puis conduits au Commissariat de Saïd Haamdin, à Alger. Parmi ces personnes se trouvaient Mme Cherguit Djedjigha et Mme Boucherf Fatma Zohra vice-présidentes de l’association SOS-disparus. De plus, plusieurs femmes ont été battues et empêchées de rejoindre la marche dont Mme Belmokhtar, mère de disparu, qui a été violemment frappée par huit policiers, et menée dans un état de santé préoccupant au poste de police. Par ailleurs, d’autres membres de familles de disparus ont été violentés par les forces de l’ordre au cours de ce rassemblement, dont Mme Farida Oughlissi. M. Hmamlia, un participant qui tentait de venir en aide aux personnes malmenées, a été arrêté et conduit au poste de police et détenu durant plusieurs heures.
Toutes ces personnes ont été relâchées dans la nuit du 5 au 6 octobre.

Au Cameroun , les membres de l’ACAT-Littoral sont régulièrement interpellés et intimidés et doivent sans cesse se justifier de leurs activités, en particulier Mme Madeleine Afité, qui a été interpellée en janvier et mars 2003, notamment à son retour de Genève, où elle assistait à la 59ème session de la Commission des droits de l’Homme des Nations Unies, qui s’est tenue du 17 mars au 25 avril, son téléphone est sur écoute et ses déplacements sont surveillés. En venant à cette réunion ses bagages ont été scrupuleusement fouillés pour savoir quels documents elle emportait à l’étranger.

En Tunisie , Me Radhia Nasraoui a suivie une grève de la faim de 2 mois fin 2003, afin de protester contre les entraves systématiques qu’elle subit dans l’exercice de sa profession d’avocate et du harcèlement constant dont elle, sa famille et ses clients sont l’objet depuis de nombreuses années

 La décrédibilisation de leurs actions et compétences et les déclarations aux connotations sexistes de la part des autorités au prétexte de leur qualité de femme défenseurs

Au Tchad , le 11 novembre 2003, le Tribunal correctionnel de N’Djamena a décidé de relaxer les trois agresseurs de Mme Jacqueline Moudeïna. Les commissaires Mahamat Wakaye, Mahamat Idriss et Taher Babouri étaient accusés de violences illégitimes, et coups et blessures aggravés.

En effet, le 11 juin 2001, lors d’une marche pacifique de femmes protestant contre les fraudes électorales constatées lors du scrutin présidentiel, les forces de sécurité avaient lancé des grenades à feu sur les manifestantes. Mme Moudeïna, responsable juridique de l’Association tchadienne pour la défense et la promotion des droits de l’Homme (ATPDH), avocate des victimes dans l’affaire Hissène Habré au Tchad et au Sénégal, et lauréate du prix Martin Ennals des droits de l’Homme en 2002, avait alors été grièvement blessée. Me Moudeïna et six autres femmes avaient porté plainte auprès du tribunal de N’Djaména le 18 mars 2002.

Le Tribunal correctionnel a suivi le réquisitoire du procureur de la République, selon lequel l’infraction n’était pas constituée puisque les prévenus avaient agi conformément aux ordres de leur supérieur hiérarchique. Le Procureur aurait alors ajouté, de façon particulièrement cynique, qu’il faudrait, pour pouvoir juger cette affaire, remonter aux plus hautes autorités de l’Etat.

 Les femmes défenseurs en situation de conflits armés sont aussi particulièrement exposées aux violences physiques, morales et sexuelles dont certains belligérants ont fait des armes de guerre contre les populations et contre les femmes défenseurs.

Ainsi, en République démocratique du Congo (RDC) , Mme Bibiche Bambale, membre du Groupe Lotus, a subit de graves menaces contre son intégrité physique et sa vie pour avoir enquêté sur l’utilisation des crimes sexuelles comme armes de guerre dans le cadre du conflit dans l’est de la RDC. En séjour en Europe, des informations ont indiqué que des menaces de viols étaient proférées à son encontre si elle revenait en RDC. De fait, elle a été forcé à l’exil.

Aussi, dans un contexte où les défenseurs des droits de l’Homme sont plus que jamais en première ligne en raison de l’hostilité croissante de nombreux gouvernements à leur égard et du climat sécuritaire actuel dont les dérives se font sentir aussi bien au niveau de la législation que de la pratique, leur qualité de femmes vient ajouter un obstacle supplémentaire à ces femmes défenseurs, qui méritent que nous leur portions une attention toute particulière.

II - Assurer une meilleure représentativité

L’Observatoire considère qu’au sein même de la société, des instances gouvernementales et même des ONG, la place des femmes doit reconnue et leur rôle renforcé.

Trop souvent les femmes sont encore victimes du poids de certaines traditions et de la structure de la société qui veulent leur imposer un rôle circonscris en :

 Limitant leur accès a des postes de responsabilités
 Limitant leur accès aux formations
 Limitant trop souvent leur action aux questions concernant uniquement les femmes

A l’instar de nombreuses d’entre vous, les femmes défenseurs doivent atteindre des postes a responsabilités leur permettant de faire avancer non seulement les questions spécifiques aux femmes mais les droits des hommes et des femmes dans leur ensemble.

Car les femmes en général et les femmes défenseurs en particulier possèdent des atouts spécifiques dont la société et particulièrement les ONG ne peuvent se passer :

 Un regard a la fois complet et spécifique sur la société et sur les droits de l’Homme
 Une longue histoire de discrimination à leurs égards qui les ont rendues alertes et combatives et qui les ont amené à développer des méthodes particulières de protection et de promotion des droits de l’Homme
 Une grande détermination
 Une farouche volonté de changement et un sens de l’organisation pour se faire

Afin de soutenir les défenseurs des droits de l’Homme que vous êtes, la FIDH et l’OMCT ont mis en place depuis 1997 un programme conjoint qui a pour but de protéger et de promouvoir l’action des défenseurs des droits de l’Homme a travers des outils de réactions et d’analyses sur la situation des défenseurs :

 Des appels urgents
 Le rapport annuel
 Des missions d’enquête
 Des missions d’aide juridique et d’observation des procès
 Des missions de soutien
 Des actions d’assistance

L’Observatoire souhaite mettre a profit cette consultation sur les femmes défenseurs afin d’apprendre de vous comment :

 Mieux appréhender les menaces et défis auxquelles doivent faire face les femmes défenseurs afin de répondre efficacement aux enjeux de la protection des femmes défenseurs
 Mieux développer les réseaux d’informations, d’alerte et de réaction
 Contribuer ensemble à une meilleure prise en compte de ces spécificités et au développement d’outils de protection et de promotion au niveau local, régional et international
 Replacer la question des femmes et des femmes défenseurs au centre des préoccupations des gouvernements et des instances internationales comme une condition essentielle de lutte contre les violations des droits de l’Homme.

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