Intervention de l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme

La Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) et l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT), dans le cadre de leur programme conjoint, l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme, demeurent préoccupé par la situation des défenseurs des droits de l’Homme en Afrique.

Les défenseurs africains sont la cible de multiples méthodes répressives (assassinats, menaces de mort, arrestations et détentions arbitraires, harcèlement, campagne de diffamation, mesures ou législations visant à restreindre les libertés d’association, d’expression ou de rassemblement pacifique) en raison de leurs activités.
Le climat sécuritaire actuel et les dérives arbitraires et liberticides qui y sont liées affectent le travail des défenseurs des droits de l’Homme : ceux-ci ont davantage de difficulté à faire entendre leur message et figurent parmi les principales victimes des nouvelles lois restrictives en matière de libertés d’association et d’expression. Enfin, ils sont, parfois, devenus la cible de certains dirigeants politiques qui n’hésitent plus à les assimiler à des terroristes.

Dans un certains nombres d’États, les défenseurs qui tentent de dénoncer les violations de droits de l’Homme perpétrées dans le cadre de conflits persistants se trouvent enfin dans une situation de très grande insécurité.

I - Lutte anti-terroriste et érosion des droits

Depuis les attaques du 11 septembre 2001 aux États-Unis, l’adoption de nouvelles mesures anti-terroristes, la révision d’« anciennes » lois jugées « dépassées » ou incompatibles avec les nouvelles circonstances de la lutte contre le terrorisme, mènent dans de nombreux cas à des dérives entraînant des atteintes aux droits individuels et collectifs. Ainsi la lutte contre le terrorisme, pourtant parfaitement légitime et nécessaire, constitue depuis plusieurs années un des piliers sur lequel les États s’appuient pour mettre en œuvre leurs stratégies répressives. Certains États ont renforcé leur arsenal législatif en adoptant des législations de lutte anti-terroristes, alors que d’autres ont profité de la montée du tout sécuritaire pour renouveler ou renforcer des législations déjà très répressives, comme en Egypte où la loi sur l’état d’urgence (Loi n° 162 de 1958, rétablie en 1981) qui permet la censure de la presse et l’arrestation et la détention sans charge ni procès de "personnes suspectées d’atteinte à l’ordre public et la sécurité », a été renouvelée le 23 février 2003 pour une période de trois ans.

En Tunisie , la loi relative au « soutien des efforts internationaux de lutte contre le terrorisme et la répression du blanchiment d’argent », dont la définition de l’acte terroriste est particulièrement floue à placé les associations sous un contrôle financier très strict, qui concrétise les velléités des autorités tunisiennes visant à contrôler, limiter, voire interdire, les sources de financements des ONG. Le récent blocage des fonds accordés par la Commission européenne à la Ligue tunisienne des droits de l’Homme (LTDH), en août 2003, en est le plus flagrant exemple [1].
Cette loi présente un danger d’autant plus grand que l’amalgame entre défenseurs et terroristes est « simple ». Il suffit de rappeler à cet égard les propos du représentant de l’État tunisien à la 34ème session de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples (octobre 2003), qualifiant la Ligue tunisienne de défense des droits de l’Homme (LTDH) d’« association illégale et terroriste ».

Il semble néanmoins que les États africains ont peu utilisé directement le prétexte de la lutte anti-terroriste pour justifier la répression des défenseurs des droits de l’Homme, le recours aux « arguments classiques » de criminalisation des défenseurs restant très largement répandu (assimilation à des « ennemis de l’État », à des « perturbateurs à la solde des puissances étrangères » ou à des « opposants politiques »).
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II - Arrestations, enlèvements, détentions arbitraires et actes de tortures

L’Observatoire s’inquiète particulièrement des nombreuses arrestations et détentions arbitraire dont ont été l’objet les défenseurs des droits de l’Homme en Afrique ces derniers mois, comme les syndicalistes de la COSYBU au Burundi , des responsables d’associations des familles de disparus en Algérie , des responsables d’ONG en RDC , au Zimbabwe , au Darfour et au Tchad où le directeur de la radio privée " Brakoss " a été torture au cours de sa détention.

En ce moment même, en Mauritanie , 7 femmes du Collectif des familles de détenus sont en détention a la brigade de gendarmerie de Ouad Naga. Selon les informations reçues, 8 femmes de cette association ont été arrêtées le 21 novembre 2004 a l’ouverture du procès des présumes auteurs d’une tentative de coup d’Etat en juin 2003. Bien qu’elles n’aient encore reçu aucune signification de l’objet de leur détention, ces 7 femmes ont été interrogées a plusieurs reprises sur les raisons de la présence de deux membres du Collectif a la présente session de la commission africaine des droits de l’Homme et des peuples. En l’absence de toutes charges pesant contre elles et au vu des flagrantes violations de leur droits puisque leur avocats et leur famille sont empêchés de les rencontrer, l’Observatoire demande solennellement aux autorités mauritaniennes de les relâcher sans délais, et a cette auguste assemblée d’appeler les autorités mauritaniennes a respecter les dispositions de la Charte africaine et de la Déclaration des Nations unies sur les défenseurs.

II - Attaques physiques, menaces et diffamations

L’Observatoire demeure préoccupé par la persistance des attaques, des menaces et des diffamations dont sont l’objet les défenseurs en raison de leurs activités, comme en République centre africaine (RCA) où les défenseurs critiquant les dysfonctionnement de la justice sont menaces et intimides, au Cameroun où la délégué de la Maison des droits de l’Homme, Madeleine Afite est depuis plusieurs années surveillée, mise sur écoute et régulièrement convoquée par les autorités.

En Tunisie , le 8 juin 2004, trois membres de l’association de lutte contre la torture en Tunisie (ALTT), Radhia Nasraoui (présidente), Ali Ben Salem (vice-président) et Ridha Barakati (trésorier) qui tentaient une nouvelle fois de faire enregistrer leur association, ont été empêchés d’accéder aux locaux du siège du Gouvernorat de Tunis par des agents du gouvernement et des policiers de la Brigade de Sûreté de l’Etat qui les ont ensuite agressés verbalement et physiquement.

Au Togo , [2] le président du Parlement a qualifié la Ligue togolaise des droits de l’Homme, son président Adote Ghandi Akwei, et la FIDH de " délinquants " à la suite de la publication du rapport de la FIDH sur la situation des droits de l’Homme au Togo. M. Natchara voit dans ce rapport dénonçant les violations des droits de l’Homme récurrentes au Togo " une façon de polluer la discussion [du Togo] avec l’Union européenne (UE) " avant d’accuser la FIDH de s’appuyer " sur le président de la Ligue togolaise des droits de l’Homme, une association de délinquants ".

III - Poursuites judiciaires et mesures administratives et legislations restrictives

La criminalisation des défenseurs des droits de l’Homme perdurent au Cameroun où les membres du Mouvement pour la défense des droits de l’Homme et des libertés (MDDHL) sont continuellement assignés en justice pour entraver leurs actions ; Tandis que la liberté d’association est bafoué dans un certain nombre d’Etats africain qui cherchent à atomiser et isoler la société civile, comme en Mauritanie et au Rwanda , où la Ligue Rwandaise pour la Promotion et la Défense des Droits de l’Homme (LIPRODHOR) et trois autres organisations ont été menacés de dissolution par le Parlement rwandais qui les décrivaient comme " caractérisées par l’idéologie génocidaire ". Compte tenu de la gravité de cette mesure et des menaces pesant sur la sécurité et l’intégrité des membres de la LIPRODHOR, certains d’entre eux ont été contraints de s’exiler.

Enfin, l’Observatoire demande aux éminents membres de cette assemblée de prendre des actions urgentes afin que les défenseurs des droits de l’Homme zimbabwéens, ici présents dans cette salle, ne deviennent pas demain des hors-la-loi dans leur propre pays en raison de leur engagement pour le respect des libertés fondamentales du peuple Zimbabwéen. En effet, le projet de loi sur les ONG au Zimbabwe impose de graves restrictions aux libertés d’expression et d’association en criminalisant les responsables des organisations non enregistrées et oblige les organisations à fournir « les noms, nationalités et adresses de ses dirigeants ; ses sources de financements ; son plan d’action ou les activités projetées pour les trois années à venir... », permettant ainsi un contrôle en amont des autorités sur les actions des ONG, et ce d’autant plus que les critères de refus d’enregistrement ne sont pas précisés. Le projet de loi donne enfin la possibilité au gouvernement d’interdire tous les financements étrangers, de rapatrier l’argent reçu par les ONG aux bailleurs, ou de s’approprier ces fonds. Ce projet de loi vient compléter un arsenal législatif particulièrement liberticide qui ne laissera d’autre choix aux défenseurs des droits de l’Homme Zimbabwéens que l’exil ou la prison.

Recommandations :

Au regard de la persistance d’actes de répression à l’encontre des défenseurs des droits de l’Homme, l’Observatoire appelle les Etats africains à :

 Mettre fin à toute forme de répression menée à l’encontre des défenseurs des droits de l’Homme et de leurs organisations.
Tout mettre en ouvre pour garantir les libertés d’association, d’expression et la liberté d’action des défenseurs des droits de l’Homme.
 Se conformer aux dispositions de la Déclaration des Nations unies sur les défenseurs des droits de l’Homme, du protocole ( de la charte africaine - machin truc), de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, ainsi qu’aux dispositions des instruments internationaux relatifs aux droits de l’Homme auxquels ils sont parties.
 Participer activement à faciliter le mandat de la Commissaire Jainaba Johm, Rapporteur spécial de la Commission africaine pour les défenseurs, notamment en l’invitant de façon permanente à se rendre dans leurs pays
 Participer activement à faciliter le mandat de la Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations unies pour les défenseurs, notamment en l’invitant de façon permanente à se rendre dans leurs pays

Appelle la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples à :

 Prendre connaissance et adopter la déclaration sur la situation des femmes défenseurs des droits humains en Afrique élaborée au cours de la consultation sur les femmes défenseurs, organisé par le Centre africain pour la démocratie et les études des droits de l’Homme, l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme et le Service international pour les droits de l’Homme et qui s’est déroulée à Dakar les 18 et 19 novembre 2004

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