Intervention de Maître Sidiki Kaba, Président de la FIDH, au nom du Forum de la Société Civile à la session d’ouverture de la 36ème CADHP

Contribution du Forum de la société civile
aux travaux de la 36ème session ordinaire
de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples

Intervention de Maître Sidiki Kaba, Président de la FIDH, Vice-Président du Centre africain pour la démocratie et les études des droits de l’Homme

Monsieur le Premier Ministre,

Mesdames, Messieurs les Ministres,

Madame la Présidente de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples

Mesdames, Messieurs les membres de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples,

Excellences, Messieurs les ambassadeurs,

Distingués Délégués,

Chers participants,

Mesdames et Messieurs,

C’est en ma qualité de représentant désigné de la communauté des ONG africaines et internationales dont près de 200 se sont réunies à Dakar les 20, 21, 22 novembre 2004, pour préparer la 36ème session de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples, que j’ai l’insigne honneur de prendre la parole devant cette auguste assemblée.

Je voudrais vous remercier Monsieur le Premier Ministre, d’avoir bien voulu accepter de présider cette cérémonie d’ouverture de cette session qui va durer deux semaines, durant lesquelles Dakar sera la capitale africaine des droits de l’Homme.

Les participants tiennent par ma voix à remercier le gouvernement du Sénégal ainsi que le peuple sénégalais pour son soutien et son accueil.

Je voudrais également remercier Madame la Présidente de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples d’avoir su, à l’instar de ses prédécesseurs, établir un dialogue constructif avec la communauté des ONG en participant régulièrement avec plusieurs autres Commissaires à nos travaux.

Le Forum est pour nous, depuis une quinzaine d’années, un espace d’échanges, de débats et de délibérations démocratiques sur la situation d’ensemble des droits de l’Homme dans le continent.

Nous avons pu relever au cours de ces échanges les efforts importants entrepris depuis par la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples et l’Union africaine (UA) pour faire du respect des droits de l’Homme un point incontournable des politiques, économies et diplomaties de notre continent.

Les ONG ont pu apprécier la mise en place au sein de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples de plusieurs mécanismes notamment celui permanent de protection et de défense des défenseurs des droits humains.

La consolidation de l’Union africaine par la mise en place de ses organes comme le Conseil de la paix et de la sécurité, le Parlement panafricain et le conseil économique et social, manifeste l’intégration d’un des objectifs phares de l’UA visé par son Acte constitutif : la promotion et la protection des droits de l’Homme.

L’entrée en vigueur du Protocole a la Charte africaine portant création de la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples a aussi été saluée par les participants au Forum comme un moyen de consolider le système régional africain de protection des droits de l’Homme.

Mais, le Forum s’est considérablement alarmé de la situation générale des droits de l’Homme sur le continent. Certes, cette situation est contrastée d’une région à l’autre. Mais force est de reconnaître que les droits de l’Homme sont dans une mauvaise posture puisqu’ils sont dans le triple fléau :
des conflits identitaires, ethniques et religieux
de la montée en flèche du droit de la force et de l’arbitraire dans un contexte international de lutte contre le terrorisme
de la mondialisation économique porteuse d’injustice, d’inégalité et d’appauvrissement pour l’écrasante majorité de l’Humanité.

Ainsi, le Forum vous appelle à une mobilisation déterminante pour contribuer à l’éradication des crimes internationaux de masse - génocide, crimes de guerre, crimes contre l’Humanité, tortures - perpétrés sur le continent et de leur cortège de violations systématiques des droits de l’Homme.

Les conflits comme ceux qui se déroulent hors de notre continent, en Irak, au Proche Orient (Israël / Palestine) ou ailleurs, provoquent la perpétration de graves crimes qui heurtent la conscience universelle.

Parmi les nombreux conflits qui ensanglantent l’Afrique et qui déstructurent les Etats, le Forum s’est appesanti sur deux cas extrêmement préoccupants :

La Côte d’Ivoire est secouée par une grave crise qui a culminé par le coup d’Etat du 24 décembre 1999 et qui s’est accentuée par la tentative de coup d’Etat du 19 septembre 2002, qui a débouché sur une partition géographique du pays. Les tentatives de résolution de cette crise achoppent sur la radicalisation des antagonismes des belligérants. Le Forum s’accorde à dire que la solution militaire ne résoudra pas ce conflit. Seul le dialogue politique reste la clé du problème. Le Forum se félicite de l’adoption de la résolution 1572 du 15 novembre 2004 par le Conseil de sécurité qui impose un embargo à toutes les parties - forces gouvernementales et forces nouvelles - et qui exige l’application des Accords de Linas Marcoussis du 23 janvier 2003 et d’Accra III du 30 juillet 2004 qui demande des réformes politiques et le désarmement des forces nouvelles. Le Forum estime que le Conseil de sécurité doit aller plus loin. La paix recherchée doit reposer sur l’impératif de justice. L’impunité, jusqu’à là préservée des auteurs de crimes internationaux, doit immédiatement cesser. Les responsables des charniers de Yopougon, de Bouaké, de Man et de Korhogo, doivent, à quelque niveau de responsabilité tant politique, administratifs que militaire où ils se situent, rendre compte.
Le droit des victimes à la justice et à la réparation doit être effectif. A cet effet, le Forum adresse à la Commission une résolution d’urgence sur la situation en Côte d’Ivoire.

Le conflit au Darfour, dans l’ouest du Soudan, a provoqué une onde de choc au Forum suite aux témoignages poignants recueillis et aux images projetées dans la salle. Nous avons tous constaté avec consternation que malgré la forte protestation de la communauté internationale et l’intervention de l’Union africaine, la sécurité et la protection des civils ne sont toujours pas assurés. La crise humanitaire demeure. Le cessez-le-feu est constamment violé par toutes les parties. L’absence de progrès concernant le désarmement des milices janjaouites est préoccupant. Là encore, il faut œuvrer pour que les miliciens qui ont commis ou commettent des violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire dans le Darfour ainsi que leurs responsables hiérarchiques soient identifiés et traduits en justice. C’est par la consolidation de l’Etat de droit que la dignité humaine sera sauvegardée. Les participants au Forum souhaite également que la Commission intervienne sur cette situation et présente une résolution a cet effet.

Le Forum vous appelle à une mobilisation déterminante contre la double violation des droits fondamentaux des déplacés et des réfugiés, contraint aux discriminations sur leur lieux de résidence. On dénombre près de 5.000.000 de réfugiés et tout autant de déplacés en Afrique, qui vivent dans le dénuement, la peur et l’insécurité. On ne peut décemment fermer les yeux sur leur sort alors qu’ils sont victimes de conflits qui leur sont étrangers. Le Forum appelle la Commission à prendre une résolution en leur faveur. De même pour les indigènes et les populations autochtones vivant notamment dans la région des Grands Lacs, dont les droits les plus élémentaires sont bafoués et qui sont victimes de discrimination et d’exclusion par les systèmes politiques et économiques de leurs pays.

Le Forum vous appelle à une mobilisation déterminante pour les défenseurs des droits de l’Homme victimes de menaces, harcèlements et de détentions arbitraires, notamment pour les femmes défenseurs qui payent très cher le prix de leur engagement car elles sont défenseurs et elles sont femmes. Ces femmes défenseurs à l’instar des autres femmes vivent des situations précaires et discriminantes aussi bien dans leur cellule familiale qu’au sein de la sphère politique : mutilations génitales, mariages forcés, victimes de viols et utilisées comme dans les situations de conflit comme esclaves sexuelles et cibles de guerre. Le Protocole adopté à Maputo n’a recueilli que 5 ratifications sur les 15 nécessaires. Le Forum exhorte les Etat à ratifier cet instrument et demande à la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples de prendre une résolution pour la protection des femmes défenseurs.

Le Forum vous appelle à une mobilisation déterminante contre le fléau de l’impunité des auteurs des crimes les plus graves en ce qu’elle est une des sources principales des crises qui secouent le continent à côté de la pauvreté et des contentieux électoraux consécutifs à des élections non transparentes, irrégulières et non-démocratiques.

La justice doit être le recours légitime contre toute violation des droits de la personne humaine. Ainsi, les ONG sont sans cesse mobilisées pour dénoncer les obstacles nationaux au droit des victimes à la vérité, à la justice, à la reconnaissance d’un préjudice et sa réparation. L’indépendance de la justice, le droit à un procès équitable et les droits de la défense sont souvent mis à mal.

L’objectif est que toutes les victimes de violations des droits de l’Homme aient la faculté de voir sanctionnés leurs auteurs. Soutenir l’émergence de l’Etat de droit est certes une priorité ; mais les justices nationales restent trop souvent incapables d’assumer leur mandat effectivement et en toute indépendance. Le développement d’un système régional et international efficace de protection des droits de l’Homme nous paraît tout aussi important.

C’est en ce sens que les ONG presentes au Forum soutiennent la construction d’une justice régionale et internationale aux fins d’aider les victimes en dénonçant et jugeant les auteurs de violations des droits de l’Homme. La mise en place de la Cour pénale internationale est un évènement majeur qu’il faut saluer.

Ainsi, comme je l’ai précédemment annoncé, les ONG participantes au Forum se sont félicitées de l’adoption du Protocole portant création de la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples. Mais à cet egard, les ONG n’ont pu que s’étonner de la décision prise par les chefs d’Etat et de gouvernement de l’UA en juillet dernier d’intégrer la Cour africaine à la Cour de Justice. Cette décision est contraire à la décision de ces mêmes chefs d’Etat l’année précédente à Maputo qui plaidaient alors pour le « maintien d’une Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples indépendante ». Cette décision va également à l’encontre des dispositions des Protocoles des deux Cours et contrevient à la Convention de Vienne sur le droit des traités. Il est crucial d’insister sur le fait que ses deux Cours ont des mandats radicalement différents ; des critères de compétence et de composition des juges différents ; et des modes de saisine différents. Rappelons que si les ONG et individus pourront saisir directement la Cour africaine d’une violation des droits de l’Homme par un Etat, ils ne pourront le faire devant la Cour de Justice.
Le Forum présente ainsi à la Commission une résolution insistant sur l’urgence de la mise en place effective et indépendante de la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples, ce qui implique l’élection des premiers juges, la désignation de son siège, l’allocation de fonds suffisant à son fonctionnement, mais aussi la ratification du Protocole par le plus grand nombre d’États - seuls 19 à ce jour, et l’acceptation du droit de recours individuel. Les ONG participantes au Forum demande également la mise en place d’un comité d’experts au sein de la Commission de l’UA, y incluant des représentants de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples et des représentant des ONG, pour établir les conséquences politiques et juridiques de la décision des chefs d’Etat et en faire rapport publiquement lors de la prochaine conférence des chefs d’Etat et de gouvernement.

Monsieur le Premier Ministre, en raison de la contribution exceptionnelle du Sénégal dans l’initiative, la rédaction et l’adoption de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples, nous demandons à votre gouvernement de prendre en charge ce dossier.

Madame la Présidente, le Forum vous adresse enfin une résolution sur la peine de mort pour son abolition car c’est une peine injuste et intentatoire au droit à la vie et une résolution sur la torture qui est toujours d’actualité dans plusieurs pays d’Afrique.

Le Forum tient à vous réaffirmer son engagement à vos côtés et à jouer son rôle dans le cadre des dispositions prévues à cet effet par la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples. Les ONG, vos principales sources d’information, le feront avec objectivité et impartialité, le gage de leur crédibilité pour qu’ensemble nous tracions le chemin du droit des victimes aux droits dans une Afrique libérée de la terreur, de la misère, et de l’arbitraire.

Je vous remercie.

Maître Sidiki KABA, Président de la FIDH
Le 23 novembre 2004, à Dakar, Sénégal

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