Genève, 16 octobre 2025. Alors que le Conseil des droits de l’homme a adopté sa résolution semestrielle sur la coopération avec les Nations unies en septembre, une réalité profondément préoccupante s’est une nouvelle fois imposée : les défenseur·es des droits humains engagé·es auprès des Nations unies sont toujours victimes de représailles. Celles-ci peuvent aller de manœuvres d’intimidation et de surveillance à des interdictions de séjour et au refus d’autoriser leur retour dans leur propre pays. La FIDH se réjouit de l’adoption de la résolution 2025, qui réaffirme l’engagement des Nations unies en faveur d’une coopération sûre et sans entrave. Pourtant la poursuite et l’évolution des actes de représailles révèlent qu’il est urgent de mettre en place des dispositifs de protection renforcés.
Malgré les engagements, les actes de représailles subsistent
Le problème est bien connu. Le rapport 2025 du Secrétariat général des Nations unies révèle que les actes de représailles sont largement répandus et de plus en plus élaborés. Les défenseur·es des droits humains sont victimes d’intimidation, de surveillance, de harcèlement judiciaire et leurs proches subissent des pressions, simplement pour avoir collaboré avec des mécanismes onusiens. Le rapport note également une augmentation des communications anonymes, conséquence d’une auto-censure de plus en plus fréquente par crainte de représailles. Les défenseur·es sont souvent pris·es pour cible, même en dehors des frontières de leur pays, preuve que les mesures de représailles peuvent dépasserr les frontières. Ces pratiques non seulement réduisent au silence celles et ceux qui souhaitent faire entendre leurs voix, mais compromettent l’efficacité du système onusien de protection des droits humains dans son ensemble.
C’est dans ce contexte que le Conseil des droits de l’homme a négocié sa résolution semestrielle sur la coopération avec les Nations unies, l’une des rares occasions officielles de réaffirmer les obligations des pays en matière de lutte contre les représailles au sein des Nations unies. La FIDH se félicite que la résolution 2025 ait été adoptée par consensus, et qu’elle ait conservé des formulations fermes sur l’auto-censure et l’utilisation abusive des lois sur la sécurité, tout en apportant des clarifications utiles, notamment une référence plus explicite aux actes commis au-delà des frontières nationales et à la nécessité d’une coordination renforcée au sein des Nations unies.
Cependant, les États membres auraient dû aller plus loin. La résolution ne prévoit pas la mise en place de procédures de suivi renforcées, ce qui laisse entendre que les représailles non résolues sont tolérées au lieu d’être véritablement traitées. Par ailleurs, le texte n’a pas pris totalement en considération l’intensification des pratiques de répression transfrontalière et ne prévoit pas non plus de mesures concrètes de protection, telles que la délivrance de visas en urgence ou la relocalisation temporaire des défenseur·es en danger. Enfin, le texte ne reconnaît pas expressément le droit de revenir dans son pays, qui est un élément essentiel de la liberté de déplacement. Cette lacune laisse un vide en matière de protection, qui s’est tristement illustré dans de récentes affaires, notamment celle de Nassera Dutour.
L’affaire de Nassera Dutour
Nassera Dutour est la présidente du Collectif des familles de disparu·e·s en Algérie (CFDA), qui a consacré sa vie à rechercher la vérité et obtenir justice pour les sien·nes et pour des milliers de familles affectés par des disparitions forcées en Algérie. Pendant près de 30 ans, elle a constamment coopéré avec les mécanismes onusiens de défense des droits humains. Le 30 juillet 2025, peu après avoir effectué une mission au Conseil, elle n’a pas été autorisée à rentrer en Algérie et a été expulsée de force en France, en violation de l’article 12 du PIDCP et de la Constitution algérienne. Tandis que le personnel à la douane refusait de lui fournir une explication, l’un·e des agent·es lui aurait rétorqué : « Mais Madame, vous travaillez pour une ONG ». Après avoir collaboré avec les Nations unies pendant des décennies, il est clair qu’elle a fait les frais d’un acte de représailles. Au lieu de garder le silence, elle est retournée à Genève le mois dernier, pour porter son cas à l’attention des mécanismes des Nations unies et des États membres.
Lorsqu’un·e défenseur·e coopérant avec les Nations unies depuis près de 30 ans n’est pas autorisé·e à rentrer dans son propre pays après une intervention au Conseil des droits de l’homme, le système onusien doit clairement réagir. Ce comportement est encore plus grave, si l’on considère que l’Algérie siège au Conseil. Ses membres doivent appliquer les normes les plus strictes en matière de droits humains, s’abstenir d’exercer des représailles et veiller à ce que toute coopération avec les Nations unies soit protégée par la loi comme dans la pratique. Pour que le Conseil conserve sa crédibilité, il ne doit pas simplement condamner les actes de représailles, mais également veiller à ce qu’ils donnent lieu à des mesures concrètes.
La FIDH appelle à agir
La FIDH invite instamment les États membres, les mécanismes et les organismes onusiens à dépasser le consensus politique et à prendre des mesures concrètes en vue de garantir la sécurité de celles et ceux qui collaborent avec les Nations unies. Cela inclut notamment un suivi régulier et public des cas de représailles non résolus jusqu’à ce que les victimes obtiennent réparation, une reconnaissance explicite des formes de répression transfrontalières, l’adoption de mesures de protection comme la délivrance de visas d’urgence ou la relocalisation temporaire sûre et l’obligation ferme de rendre des comptes pour les membres du Conseil qui ne respectent pas les normes les plus strictes en matière de droits humains.
Lorsque des défenseur·es sont sanctionné·es pour avoir coopéré avec les Nations unies, comme ce fut le cas en Algérie, Égypte, Chine et dans bien d’autres contextes, c’est la crédibilité du système dans son ensemble qui est mise à mal. La FIDH continuera d’apporter son soutien aux défenseur·es des droits humains victimes de représailles et de plaider en faveur de cadres de protection renforcés au sein des Nations unies.
La participation concrète, inclusive et sûre de la société civile n’est pas seulement un droit fondamental, elle est essentielle à la légitimité et l’efficacité du système international des droits humains.