Point 5 : Prévention des discriminations et protection des minorités

05/08/2005
Communiqué

57ème session de la Sous Commission pour la protection et la promotion des droits de l’Homme

Juillet-Août 2005

Point 5c) de l’ordre du jour - Prévention des discriminations et protection des minorités

INTERVENTION ORALE

Monsieur le président

La Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme salue la récente création, par la 61ème Commission des Droits de l’Homme, du mandat d’expert indépendant sur les questions relatives aux minorités, chargé de promouvoir l’application de la Déclaration sur les droits des personnes appartenant à des minorités nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques.
La FIDH appelle le nouveau mandat à tenir des consultations avec les ONG et à ouvrir un véritable dialogue avec les gouvernements. Elle appelle également les Etats à adresser une invitation permanente à l’expert indépendant sur les questions relatives aux minorités, de même qu’à l’ensemble des procédures spéciales concernées par la question des discriminations à l’égard des minorités.

Dans le cadre de son intervention orale devant cette 57ème sous-commission, la FIDH souhaite faire part de sa préoccupation au sujet de trois situations.

Au Laos, la FIDH et sa ligue correspondante, le Mouvement Lao pour les Droits de l’Homme, déplore que le gouvernement de la République Démocratique Populaire Lao (RDPL) n’ait pas adopté jusqu’à ce jour des mesures concrètes dans le domaine de la prévention et l’élimination des discriminations à l’encontre des minorités ethniques et religieuses.

La FIDH et le MLDH sont vivement préoccupés par des allégations persistantes sur le sort des minorités ethniques, en particulier les populations Hmongs, traquées depuis trente ans par les soldats de l’armée populaire de la RDPL dans la jungle de Bolikhamsay et la Zone Spéciale de Saysomboune.

Les très graves violations perpétrées à l’encontre des Hmong -cibles d’une répression violente depuis la prise de pouvoir du parti communiste en 1975, en raison notamment de l’engagement de leurs parents ou grands-parents aux côtés des Etats-Unis durant la guerre du Vietnam— ont été portées à la connaissance de la communauté internationale notamment grâce aux médias étrangers. Des photos, des films documentaires, des reportages écrits et audiovisuels, diffusés au cours des deux dernières années, indiquent que des milliers de civils —enfants, femmes, personnes âgées pour la plupart— survivant de feuilles et de racines dans la forêt, ne pouvant ni pratiquer d’agriculture, ni construire d’habitations permanentes, de peur d’être repérés et tués par l’armée populaire.

Selon ces journalistes australiens, britanniques, canadiens et français, plusieurs centaines de Hmongs qui se sont rendus au gouvernement en espérant retrouver une vie normale, ont été arrêtés ou ont disparu, rendant quasi impossible une relation de confiance avec les dirigeants de la RDPL.

Ainsi le 4 juin 2005, pour ne pas mourir de faim, environ 170 Laotiens d’origine Hmong de zone spéciale de Saysomboune sont sortis de la jungle pour se rendre aux autorités. En dépit de la présence sur place de témoins oculaires américains, les représentants de la RDPL ont nié les faits, parlant de "villageois en déplacement dans le cadre du programme de relocation des villages". Par contre, les autorités de la RDPL ne permettent à aucune ONG internationale humanitaire indépendante d’avoir accès à ce groupe d’enfants, de femmes et de vieillards pour leur apporter de l’assistance. Personne ne sait où se trouve ces civils lao-hmongs, ni dans quelles conditions ils vivent. Le refus des autorités de reconnaître la réalité des faits et l’absence de transparence ont dissuadé d’autres groupes de sortir de la jungle.

Selon les dernières informations dont on dispose, 18 personnes auraient été tuées par l’armée dans a région de Bolikhamsay, alors qu’un groupe était encerclé par l’armée dans la Zone Spéciale de Saysomboune.

Au mois d’août 2003, le rapporteur du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale (CERD) a lancé un cri d’alarme sur "la situation particulièrement préoccupante des Hmongs" du Laos, soulignant que "20. 000 d’entre eux vivent cachés dans la jungle". "Les Hmongs souffrent d’une discrimination sociale et sont l’objet d’une politique de déplacement systématique qui contribue à leur extinction (...) Quel que soit l’article de la Convention que l’on considère, la République démocratique populaire lao ne respecte aucune de ses obligations", a souligné le rapporteur (UN Press Release - CERD-63ème session, 11 août 2003).

En février 2005, lors de l’examen de la situation en RDPL par le comité CERD, le rapporteur du comité a regretté que le rapport de la RDPL ne fournisse aucune information sur les mesures prises pour garantir les droits culturels, linguistiques et religieux des minorités. Il a pointé l’absence de "dispositions légales incriminant les actes de violence et d’incitation à la violence motivées par des considérations raciales", se déclarant "préoccupé par des informations selon lesquelles des exactions seraient commises contre des membres de la minorité hmong". Il a aussi demandé l’accès "des régions dans lesquelles des membres de la minorité hmong ont trouvé refuge" pour les "organes des Nations unies de promotion et de protection des droits de l’Homme".

La FIDH et le MLDH sont aussi vivement préoccupés par les violentes répressions dont font l’objet les chrétiens laotiens qui appartiennent très souvent aux minorités ethniques. Les Chrétiens qui ne font pas partie des Eglises reconnues par l’Etat, sont menacés, harcelés, arrêtés, emprisonnés, ou chassés de leur village s’ils refusent de renoncer à leur foi, comme l’exigent les autorités. Ceux qui sont libérés après avoir signé un acte de renonciation à leur foi, continuent d’être surveillés et ne sont pas libres de leurs mouvements et activités.

A ce jour au moins 26 chrétiens laotiens, arrêtés en 2004 pour la pratique de leur foi, sont toujours en prison. Au mois de juin-juillet 2005, des chrétiens continuent de faire l’objet de menaces et de harcèlements, notamment à Muong Phine (Savannakhet), Muong Nga (Oudomxai), à Bokèo, à Muong Phiang (Sayabouri), à Ban Nam Thouam, district de NamBark, à Muong Chomphet (Luangprabang), ou encore à Ban Phou Dindeng, district de Muong Samphanh (Phongsaly).

La FIDH et le MLDH prient la Sous-Commission d’attirer l’attention des autorités compétentes des Nations Unies sur ces questions, afin d’exiger du gouvernement de la RDPL :

L’arrêt immédiat de toute répression à l’encontre des minorités ethniques au Laos, en particulier la "chasse" aux populations Lao-Hmongs dans la jungle de Saysomboun, de Bolikamsay et de Luangprabang ;
L’arrêt immédiat de la répression contre les minorités religieuses, dont sont souvent victimes les membres des minorités ethniques ;
La libération immédiate des personnes emprisonnées arbitrairement en raison de leur origine ethnique ou de leur croyance ;
L’ application des recommandations du CERD, notamment celle de veiller à ce que toutes les personnes jouissent de leur droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion, sans discrimination, conformément à l’article 5d) de la Convention et celle d’autoriser les institutions des Nations Unies à fournir une assistance humanitaire d’urgence à la minorité Hmong réfugiée dans la foret laotienne.
L’accès du territoire de la RDPL aux observateurs et experts internationaux, en vue de juger sur place de la situation des minorités ethniques et de pouvoir mieux évaluer leurs besoins. La RDPL devrait en particulier adresser une invitation permanente aux procédures thématiques spéciales de la Commission des droits de l’Homme des Nations unies, et autoriser les visites des ONG internationales de protection des droits de l’Homme ;
Le plein respect des droits fondamentaux, le plein respect des libertés d’expression, d’association et de réunion pour les minorités ethniques et religieuses, mais aussi de manière plus générale dans le pays.

Monsieur le Président

En Géorgie, la FIDH suit avec attention la situation des minorités nationales, en particulier arménienne, azéries, kurdes yézides, tchétchènes-kisty et roms, ainsi que des minorités religieuses.

Elle rappelle que dans le contexte de difficultés économiques auxquelles fait face la majorité de la population géorgienne, les minorités nationales sont particulièrement vulnérables. Leur sous-représentation politique au Parlement, dont s’est inquiété le CERD en 2001, ainsi que dans les différentes instances représentatives et gouvernementales, ne peut qu’accroître encore cette vulnérabilité. Les minorités nationales doivent pouvoir bénéficier d’un enseignement dans leur langue nationale, mais cette possibilité ne doit pas entrainer une méconnaissance de la langue d’Etat et par là contribuer à leur exclusion des sphères économiques, politiques et sociales, comme c’est le cas actuellement.

La FIDH est particulièrement soucieuse des discriminations dont sont victimes les réfugiés tchétchènes de Russie, mais aussi les Kisty, minorité tchétchénophone de Géorgie ; et tient à rappeller les risques auxquels les Tchétchènes sont exposés en cas de refoulement vers la Russie.

La FIDH rappelle que la Géorgie n’a toujours pas ratifié la Convention-cadre européeenne pour la protection des minorités nationales, ni adopté la charte du Conseil de l’Europe sur les minorités nationales et religieuses. Elle n’a pas non plus engagé de politique satisfaisante pour permettre le rapatriement des Turcs Meskhètes, déportés de Géorgie en 1944.

La FIDH souhaite aussi rappeler les violences dont sont toujours victimes certaines minorités religieuses, ainsi que les discriminations dans l’aménagement des lieux de culte. Elle constate que les relations privilégiées entre Etat géorgien et l’Eglise orthodoxe géorgienne, symbolisée par l’accord constitutionnel d’octobre 2002, aboutit à une différence de statut entre les religions et contribue à une marginalisation des religions minoritaires.

Monsieur le Président / Madame la Présidente

En Fédération de Russie, la FIDH est préoccupée par les discriminations auxquels font face les représentants de la minorité Rom. Deux enquêtes réalisées conjointement par la FIDH et l’association russe Mémorial en septembre 2004 et juin 2005 ont permis de constater une situation de discriminations multiples.

Dans le contexte de la montée du nationalisme et de la xénophobie en Russie, les Roms, ou Tsiganes, font face à une stigmatisation tant de la part de la population que des autorités. Aux préjugés séculaires contre les Roms s’ajoute un nouveau racisme contre tous ceux englobés sous le terme de « Noirs », Roms, mais aussi ressortissants du Caucase et de l’Asie central qui se voient distingués par leur couleur de peau et/ou leur apparence physique et vestimentaire.

De plus, les Roms sont victimes de violences de la part de groupes racistes et ultra-nationalistes, violences qui peuvent aller jusqu’au meurtre. En mars 2005, sept skin-heads accusés d’avoir tué un enfant de la minorité Lyula (Tsiganes d’Asie centrale) ont été condamnés pour meurtre racial. Néanmoins, la plupart du temps les Roms ne reçoivent pas la protection nécessaire de la part de la police, qui se rend elle même responsable de violences.

Défaut de protection, harcèlement policier, destruction de papiers d’identité, corruption, violence, torture, fabrication de preuves par la police sont des comportements dont souffre au quotidien la minorité Roms. La FIDH et Mémorial ont constaté la situation particulièrement vulnérable des femmes face à la violence. Il est à noter également que discriminations et violences sont emblématiques des violences exercées contre d’autres minorités, qu’il s’agisse de ressortissants de l’Asie centrale et du Caucase, mais aussi de représentants de peuples autochtones vivant en Russie.

La répression à l’égard des Roms est une pratique généralisée. Il est important de souligner que ces discriminations ne relèvent pas d’excès de la part d’individus mais d’une politique émanant des autorités publiques.
Ainsi, en 2001-2002 dans toute la Russie ont été menées des opérations pour lutter contre le trafic de drogue intitulées « Opération Tabor ». « Tabor », étant un mot russe désignant les campements tsiganes, l’opération anti-narcotique visait donc explicitement les Roms comme étant trafiquants de drogue, ce qui constitue une pratique ouvertement discriminatoire.

Ces discriminations se manifestent également par des atteintes aux droits économiques et sociaux, Malgré la diversité des situations sociales, la FIDH tient à souligner les difficultés dans l’obtention de documents d’état-civil auxquels se heurtent les Roms, difficultés qui entraînent à leur tour des difficultés d’accès aux services comme l’école et les soins médicaux réguliers (l’accès à la santé est le plus souvent limité aux soins d’urgence)
Il convient de rappeler qu’en décembre 2003, le Comité pour les droits économiques, sociaux et culturels dans ses conclusions finales s’est dit préoccupé par les informations selon lesquelles « l’absence d’enregistrement du lieu de résidence et d’autres documents d’identification limitent dans la pratique l’exercice de droits concernant notamment le travail, la sécurité sociale, la santé et l’éducation » en Russie. Le Comité a également fait part de ses inquiétudes sur « les difficultés de certains groupes de personnes, notamment les sans-abris et les Roms, d’obtenir des documents d’identifications personnels, y compris sur l’enregistrement de leur lieu de résidence ».1

En ce qui concerne le logement, les minorités Roms (en particulier les Madiary venant des Carpathes et les Lyula d’Asie centrale) sont reléguées aux abords des villes sur des terrains défavorisés, voire totalement insalubres. Par ailleurs, il n’est pas rare de trouver des petites annonces de location portant la mention « réservé aux russes » ou « pas pour les noirs ».

Enfin, les discriminations existant dans l’accès à l’emploi sont aggravées par les difficultés d’accès à l’éducation. Effectivement, très peu d’enfants Roms ont accès à l’éducation. Certaines écoles, accueillant des enfants Roms pratiquent un véritable d’apartheid, séparant les Roms des autres enfants ; il est à noter également que les enfants Roms sont souvent placés dans les cours réservés aux enfants en situation de handicap mental.
D’autre part ; de nombreux enfants Roms sont privés de leur milieu familial et placés dans des institutions (sous prétexte de les sortir des conditions insalubres dans lesquelles vivent leur famille), ce qui ne répond pas toujours au meilleur intérêt de l’enfant.
La FIDH souhaite rappeler que selon la résolution 2005/79 de la 61ème commission des DH, les Etats sont incités à « accorder une attention particulière à la promotion et à la protection des droits fondamentaux des enfants appartenant à des minorités »

La FIDH invite la Sous-Commission à se pencher sur cette question dans le cadre de son groupe de travail sur les minorités, et notamment dans le cadre de la conférence sur les Roms, conjointe avec le conseil de l’Europe qu’il a proposé.

La FIDH demande à la Sous-Commission d’attirer l’attention des autorités compétentes des Nations Unies sur ces questions, afin qu’il soit exigé des autorités russes :
de mener une politique active de sensibilisation destinée à l’ensemble des fonctionnaires de l’Etat pour mettre un terme à la discrimination et promouvoir la diversité culturelle du pays.
d’élaborer une loi érigeant en infraction pénale les agressions racistes et encouragent l’adoption d’une loi anti-discrimination pour faciliter l’accès à l’emploi, la santé et les services au niveau fédéral.
de mettre en application immédiatement les recommandations du CERD, et en particulier celle appelant « l’État partie de prendre immédiatement des mesures pour mettre fin à la pratique des contrôles d’identité arbitraires par les forces de l’ordre. » (13) , lui recommandant de « suivre de près » « les informations selon lesquelles des documents racistes visant des groupes minoritaires et perpétuant des stéréotypes sont diffusés dans les médias nationaux. » (25) et surtout recommandant « à l’État partie de redoubler d’efforts pour prévenir la violence raciste et protéger les minorités ethniques et les étrangers, y compris les réfugiés et les demandeurs d’asile. »

Je vous remercie Monsieur le Président

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