Contribution de l’Observatoire à la 96è session de la Conférence Internationale du Travail

Monsieur le Président,

La Fédération internationale des ligues de droits de l’Homme (FIDH), dans le cadre de son programme conjoint avec l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT), l’Observatoire pour la Protection des Défenseurs des Droits de l’Homme, exprime sa vive préoccupation quant aux violations par certains Etats de leurs obligations internationales découlant de la Constitution de l’Organisation internationale du travail (OIT) et des Conventions 87 et 98. Ces instruments imposent non seulement que soit reconnu le droit à la liberté syndicale et à la négociation collective dans les droits internes des Etats parties, mais aussi que soit garantie la jouissance effective de ces droits.

Cependant, dans un certain nombre d’Etats, les défenseurs des droits économiques, sociaux et culturels sont régulièrement victimes d’assassinats ou de tentatives d’assassinat, de menaces, de mauvais traitements, d’arrestations ou de détentions arbitraires. Les dirigeants syndicaux sont les premières victimes de cette répression, leur engagement pour un meilleur équilibre social et une meilleure répartition des richesses étant souvent considéré comme un obstacle à la croissance économique par de nombreux acteurs (Etats, entreprises transnationales, etc.). Le dernier rapport annuel de l’Observatoire recense ainsi la situation de 303 dirigeants syndicaux et syndicalistes réprimés en 2006.

En Afrique, les défenseurs de la liberté syndicale qui dénoncent les mauvaises conditions de travail, mais également la corruption, la mauvaise gestion et l’exploitation abusive des ressources naturelles, sont fréquemment confrontés à de sérieuses représailles de la part des autorités.
Monsieur le président, nous sommes ainsi particulièrement préoccupés par la situation à Djibouti, où de nombreux dirigeants syndicaux ont été licenciés, arrêtés et poursuivis judiciairement depuis plusieurs années. Par exemple, fin 2006, M. Hassan Cher Hared, secrétaire aux relations internationales de l’Union djiboutienne du travail (UDT) et secrétaire général du Syndicat des postiers, a été contraint à l’exil après avoir été informé de son licenciement abusif et subi plusieurs menaces d’arrestation. M. Hared est poursuivi pour "intelligence avec une puissance étrangère" et "outrage envers le Président de la République" en raison de ses activités syndicales. D’autres membres de l’UDT restés à Djibouti sont également inculpés1.
En Guinée-Conakry, la garde rapprochée du Président de la République a passé à tabac de nombreux syndicalistes et détruit du matériel informatique dans un contexte de grève générale, au cours des mois de janvier et février 2007. Une vingtaine de dirigeants syndicaux, parmi lesquels le Dr. Ibrahima Fofana, secrétaire général de l’Union syndicale des travailleurs de Guinée (USTG), Mme Hadja Rabiatou Diallo, secrétaire générale de la Confédération nationale des travailleurs guinéens (CNTG), M. Yamodou Touré, secrétaire général de l’Organisation des syndicats libres de Guinée (ONSLG), et M. Abdoulaye Baldé, secrétaire général de l’Union démocratique des travailleurs de Guinée (UDPG) ont été arbitrairement détenus pendant ces évènements2.
Au Zimbabwe, les autorités continuent de réprimer tout mouvement social visant à dénoncer la déterioration du niveau de vie et les atteintes aux droits sociaux. Au cours des 18 derniers mois, des centaines de dirigeants et militants syndicaux ont ainsi été détenus, interrogés, maltraités et intimidés par la police à travers le pays. Les bureaux du Congrès des syndicats du Zimbabwe (ZCTU) ont été bloqués et/ou fermés par l’armée ou les forces de police. Par ailleurs, le 13 septembre 2006, M. Lovemore Matombo, président du ZCTU, Mme Lucia Matibenga, première vice-présidente du ZCTU, et M. Wellington Chibebe, secrétaire général, ont été arrêtés et victimes de mauvais traitements3. Début avril 2007, nous avons en outre été informés de l’existence d’une liste, élaborée par l’Organisation centrale des services secrets zimbabwéens, appelant à l’exécution de plusieurs défenseurs des droits de l’Homme, parmi lesquels M. Raymond Majongwe, Secrétaire général de l’Union progressiste des professeurs du Zimbabwe (PTUZ). Cette liste indique que "ces personnes représentent un risque pour la sécurité" et que leurs exécutions "relèvent de la compétence du Corps des services secrets zimbabwéens (ZIC) et de la Brigade de sécurité de [l’Union nationale africaine du Zimbabwe - Front patriotique] - Zanu-PF"4.

En Amérique Latine, de nombreux syndicalistes continuent de faire l’objet de harcèlement, de poursuites judiciaires, de mauvais traitements, de torture voire d’assassinats.
En Colombie, la situation des dirigeants syndicaux reste extrêmement préoccupante, leurs activités continuant d’être stigmatisées et considérées comme subversives. L’Ecole nationale syndicale de Colombie (ENS) estime ainsi que 71 syndicalistes ont été assassinés de janvier à novembre 2006, dont 13 dirigeants syndicaux. A titre d’exemple, le 11 octobre 2006, M. Jesus Marino Mosquera, président du Syndicat des travailleurs de l’industrie agricole et d’élevage (SINTRAINAGRO) et membre de la Commission ouvrière et patronale à Urabá, a été assassiné par balles alors qu’il se rendait à son travail5. Le 7 février 2007, Mme Carmen Cecilia Santana Romaña, épouse du premier vice-président de la Centrale unitaire des Travailleurs (CUT) et membre de la Commission des réclamations du Syndicat national des travailleurs du secteur agricole, a été assassinée à son domicile6. Enfin, les 7, 14 et 16 mars 2007, M. Ivan Montenegro, dirigeant de la CUT, a reçu de graves menaces à Cali et à Bogota7.
Au Costa Rica, le 15 janvier 2007, une plainte a été déposée par M. Marco Nuñez Arias, député et membre du groupe parlementaire du Mouvement libertaire, auprès du procureur général de la République contre les dirigeants des principales organisations syndicales du pays, et a demandé à ce qu’elles soient sanctionnées pour avoir déposé plainte devant l’OIT contre le Costa Rica pour non-respect des instruments nationaux et internationaux en matière de droits du travail8.
Au Guatemala, les dirigeants syndicaux ne sont pas non plus épargnés. Ainsi, le 15 janvier 2007, M. Pedro Zamora, secrétaire général du Syndicat des travailleurs de l’entreprise portuaire de Puerto Quetzal, a été assassiné lors d’une attaque armée contre son véhicule. Son corps a été retrouvé criblé d’une vingtaine de balles. Le syndicaliste avait été très actif lors des négociations sur le Pacte collectif des conditions de travail au sein de l’entreprise portuaire et dans la lutte pour la réembauche d’un groupe de travailleurs licenciés abusivement9.
Au Mexique, le 9 avril 2007, le corps sans vie de M. Santiago Rafael Cruz, organisateur du "Forum du travail de l’ouvrier rural" (FLOC), une organisation de défense des droits des travailleurs expatriée aux Etats-Unis, a été retrouvé dans les bureaux du Forum à Monterrey (Etat de Nuevo León), pieds et mains liés, et portant des traces de violents coups. Au moment de la mort de M. Santiago Rafael Cruz, le Forum enquêtait sur des cas de corruption en lien avec le recrutement de main d’œuvre pour l’industrie agraire américaine10.

En Asie, le nombre de cas d’agressions, de menaces, de harcèlement et de détentions arbitraires à l’encontre des syndicalistes et dirigeants syndicaux est en constante augmentation.
Au Cambodge, la plupart des mouvements de grève ont été réprimés en 2006 et plusieurs dirigeants syndicaux ont été détenus arbitrairement11, victimes de violences et harcelés, à l’instar de membres du Syndicat libre des travailleurs (FTU) et de la Coalition de l’union démocratique des travailleurs cambodgiens du textile (CCAWDU)12. Par ailleurs, le 24 février 2007, M. Hy Vuthy, président du Syndicat libre des travailleurs du Cambodge à l’usine Suntex, a été tué alors qu’il quittait son travail, à Phnom Penh13.
En Chine, les autorités répriment de façon quasi-systématique et parfois très violemment toute tentative d’établir des syndicats libres. Les militants sont régulièrement arrêtés, et condamnés à des peines de prison ou de rééducation par le travail (RTL). Par exemple, M. Yao Fuxin, militant de la cause ouvrière de la province de Liaoning, reste en détention depuis mars 2002 pour "atteinte à la sûreté de l’État", après avoir dirigé une manifestation d’ouvriers dans le nord est de la Chine, afin de protester contre la corruption et le non-paiement d’arriérés de salaire. Il ne devrait être libéré qu’en mars 2009. Ses conditions de détention restent extrêmement précaires et son état de santé ne cesse de se détériorer14.
En Corée du Sud, depuis la promulgation, le 22 mars 2006, de la "Directive relative à la transformation des organisations illégales en syndicats légaux", le ministère de l’Administration gouvernementale et de l’Intérieur (MOGAHA) a durci ses mesures de répression à l’égard du Syndicat des fonctionnaires coréens (KGEU). Le ministère a en particulier demandé de "fermer tous les bureaux du syndicat dans les bâtiments officiels avant le 31 août 2006", "d’exclure les membres du syndicat des réunions du personnel". Entre le 22 septembre et le 10 octobre 2006, 103 sections du KGEU, sur un total de 251, ont été fermées, provoquant l’évacuation de force de leurs membres. En outre, 101 membres du syndicat et d’autres organisations de solidarité ont été arrêtés, et certains auraient été violemment battus et hospitalisés15.
En Iran, dans un contexte de répression croissante envers les syndicats, M. Mansoor Osanloo, président de l’Union des chauffeurs de la compagnie de bus de Téhéran et de sa banlieue, a de nouveau été arrêté le 19 novembre 2006, avant d’être libéré un mois plus tard en échange d’une caution s’élevant à 125 000 euros. Il avait été précédemment détenu pendant près de neuf mois à la suite d’une manifestation des membres de son syndicat protestant notamment contre le non-paiement des salaires et la non-reconnaissance du syndicat par la compagnie16.
Aux Philippines, les exécutions extrajudiciaires, les arrestations arbitraires et les menaces à l’encontre des dirigeants syndicaux continuent. Ainsi, le 6 juillet 2006, M. Paquito Diaz, président de la Confédération pour l’unité, la reconnaissance et l’avancement des fonctionnaires (COURAGE), a été tué par balles. M. Sanito Bargamento, membre et dirigeant de la Fédération nationale de l’industrie du sucre (NFSW), a subi le même sort le 2 septembre 200617.

Dans la région Euro-méditarréenne et au Moyen Orient, plusieurs Etats poursuivent la mise en œuvre de stratégies répressives visant à limiter les libertés d’association, de rassemblement et d’expression, en premier lieu desquelles celles des militants syndicaux.
En Egypte, plusieurs sections du Centre des services des syndicats et des travailleurs (CTUWS) ont été fermées arbitrairement par les autorités égyptiennes en mars 2007. Le 22 avril, le siège de l’organisation a à son tour été fermé. Ces fermetures sont intervenues après que le CTUWS eut publié un rapport dénonçant les irrégularités qui ont eu lieu lors du référendum du 26 mars proposant un certain nombre d’amendements à la constitution18.
En Irak, le 27 mars 2007, M. Najim Abd-Jasem, secrétaire général du Syndicat des mécaniciens, des peintres et des métallurgistes, et fondateur de la Fédération générale des ouvriers irakiens (GFIW), a été enlevé à Bagdad. Son corps sans vie a été retrouvé trois jours plus tard19.
Au Maroc, M. Abderrahim Karrad, ouvrier agricole et membre du Syndicat national des ouvriers agricoles, a été interpellé le 1er mai 2007 à la fin du défilé de l’Union marocaine des travailleurs (UMT) pour "atteinte au sacré". M. Karrad a été présenté devant la cour d’assise d’Agadir le 12 juin 2007. La date de la prochaine audience a été fixée au 19 juin prochain.
En Tunisie, les 8 et 9 septembre 2006, la tenue d’une conférence organisée par le syndicat espagnol CC.OO, la Fondation Friedrich Ebert (Allemagne), le Réseau euro-méditérranéen des droits de l’Homme (REMDH) et le forum social EUROMED portant sur l’emploi et le droit au travail a été interdite par les autorités20.
En Turquie, le 4 avril 2007, onze membres du Comité exécutif de plusieurs syndicats, qui appartiennent tous à la Confédération des syndicats de fonctionnaires (KESK), ont été condamnés à un an et trois mois de prison, ainsi qu’à une amende de 407 YTL (environ 223 euros) chacun, pour "violation de la loi sur les réunions et les manifestations". Ces onze dirigeants syndicaux étaient poursuivis en justice depuis l’organisation par le syndicat Egitim Sen d’une manifestation pacifique d’enseignants le 26 novembre 2005 qui avait été violemment réprimée par la police21.

Face à ce grand nombre de violations des instruments internationaux en matière de droits économiques et sociaux, nous appelons la communauté internationale à œuvrer afin que la liberté syndicale soit pleinement respectée.

Monsieur le Président, Merci de votre attention.

Lire la suite