Les organisations de la société civile soussignées écrivent pour exprimer notre grave préoccupation face aux mauvais traitements généralisés, illégaux et même parfois graves infligés aux migrants aux frontières internationales et autour de celles-ci, et pour appeler le Conseil des droits de l’homme à prendre les mesures adaptées en établissant un mécanisme de surveillance indépendant sur les refoulements ainsi que les expulsions collectives, et les violations qui les accompagnent utilisées pour les décréter.
Le rapport du Rapporteur spécial sur les droits de l’homme des migrants sur l’impact sur les droits de l’homme des refoulements de migrants sur terre et en mer (A/CDH/47/30) documente un schéma mondial profondément préoccupant de violations systématiques des droits de l’homme aux frontières internationales concluant :
La pratique des « refoulements » est répandue et existe le long de la plupart des itinéraires
migratoires. Les refoulements manifestent un préjugé enraciné contre les migrants et
démontrent un déni des obligations internationales des États de protéger les droits humains des migrants aux frontières internationales.
Ce rapport fait écho au schéma des violations des droits de l’homme aux frontières internationales sur lesquelles le Haut-Commissaire a attiré à plusieurs reprises l’attention du Conseil des droits de l’homme. En septembre 2019, la Haut-Commissaire a utilisé l’expression « mépris mortel » pour décrire avec précision l’utilisation de politiques et de pratiques mettant à plusieurs reprises la vie et le bien-être des personnes en danger, y compris des enfants. En septembre 2020, elle a appelé à un contrôle indépendant des frontières extérieures de l’Union européenne.
Le Rapporteur spécial souligne que « dans de nombreux contextes [les refoulements sont] devenus un élément routinier de la gouvernance des frontières, avec un impact négatif grave sur les droits humains des migrants ». Ces pratiques entraînent des violations de l’interdiction des expulsions collectives, du principe de non-refoulement et du droit de demander l’asile et, en outre, sont souvent menées avec une violence s’apparentant à des traitements inhumains ou dégradants et / ou à la torture, ainsi qu’exacerbant ou créant des vulnérabilités. Le Rapporteur spécial, le Haut-Commissaire et les rapports de bon nombre des organisations de la société civile soussignées montrent que ce schéma de violations et d’abus ne se limite pas à un seul corridor ni à une seule région.
La nature grave, systématique et généralisée des violations des droits de l’homme et des abus aux frontières internationales a été signalée au Conseil des droits de l’homme à plusieurs reprises dans les rapports du Rapporteur spécial et a incité plusieurs autres procédures spéciales à axer leurs rapports sur les migrations, notamment le Rapporteur sur la torture, le Rapporteur spécial sur les défenseurs des droits de l’homme, l’Expert indépendant sur les droits de l’homme et la solidarité internationale et le Groupe de travail sur l’utilisation de mercenaires. Malgré cela, les violations persistent sans relâche et en toute impunité.
Le Conseil des droits de l’homme a reconnu les orientations du Haut-Commissariat aux droits de l’homme, notamment les principes et les directives recommandés sur les droits de l’homme aux frontières internationales et les principes et directives sur les droits de l’homme des migrants en situation de vulnérabilité. Malgré cela, les violations persistent sans relâche et en toute impunité. Le Conseil des droits de l’homme a adopté une Déclaration Présidentielle sur la protection en mer (2014) et des résolutions sur les migrants en transit (2015), les migrants et les réfugiés en grands mouvements (2016). Malgré cela, les violations persistent sans relâche et en toute impunité. Une réponse nouvelle et plus forte s’inspirant et complétant le travail du Rapporteur spécial est nécessaire.
Le projet « Missing Migrants » enregistre 5652 décès dans le cadre de la migration depuis la dernière résolution thématique du Conseil des droits de l’homme sur les droits de l’homme des migrants, dont 1469 décès dans le cadre de la migration jusqu’à présent cette année (plus que ce qui a été enregistré pour l’ensemble de 2020).1 Compte tenu de l’ampleur, de la gravité et de la nature mondiale de ce manquement au respect et à la protection des droits humains de tous les migrants, nous vous appelons à garantir une réponse appropriée du Conseil des droits de l’homme, à travers une résolution qui appelle tous les États à mettre en œuvre pleinement toutes les recommandations du Rapporteur spécial, ce qui comprend notamment les actions suivantes :
• mettre fin aux pratiques de refoulement, en respectant pleinement l’interdiction des expulsions collectives et en respectant le principe de non-refoulement ;
• harmoniser la législation nationale avec le droit international des droits humains pour interdire
le refoulement et les expulsions collectives, et dépénaliser l’entrée irrégulière ;
• veiller à ce que des mesures administratives ou pénales ne soient pas appliquées pour dissuader voire immobiliser les capacités de recherche et de sauvetage et l’assistance humanitaire aux frontières ;
• lutter contre les préjugés dans l’application des lois, adopter et mettre en œuvre des procédures opérationnelles standard qui fournissent des orientations opérationnelles sur la gouvernance des frontières conforme aux droits humains ;
• assurer une procédure régulière pour tous les migrants sous la juridiction ou le contrôle effectif de l’État, quel que soit leur statut, en garantissant l’accès à un examen individuel, ainsi qu’à un recours effectif et à un recours devant une autorité judiciaire ; fournir un accès à des services juridiques et d’interprétation tenant compte du genre ; et suspendre le renvoi pendant qu’un appel est en instance ;
• enquêter rapidement et de manière approfondie sur les allégations de violations des droits
humains et d’abus aux frontières internationales ;
• établir des mécanismes de contrôle indépendants efficaces et garantir l’accès à toutes les
installations et procédures liées à la migration pour contrôler leur conformité aux lois et aux
normes internationales relatives aux droits humains.
1 Données au 15 juin 2021 issues de https://missingmigrants.iom.int. Notez que cela fait référence aux décès enregistrés et fournit une estimation minimale.
Par ailleurs, le CDH devrait s’appuyer davantage sur les recommandations du Rapporteur spécial et compléter le travail du mandat en établissant un mécanisme de surveillance indépendant pour entreprendre une enquête mondiale sur les refoulements, les expulsions collectives et les violations des droits humains qui permettent et résultent de ces pratiques, ce qui comprend :
• l’impact de la criminalisation de l’entrée irrégulière ;
• les actions qui nient ou portent atteinte au droit de demander l’asile, y compris la fermeture
absolue des frontières ;
• la criminalisation et la suppression de l’aide humanitaire et des défenseurs des droits humains, y compris l’utilisation abusive de la législation anti-contrebande pour les cibler ;
• la militarisation des frontières et l’usage excessif de la force
Ce mécanisme de surveillance indépendant devrait rendre compte de ses conclusions et formuler des recommandations sur des mesures de suivi solides aux niveaux national, régional et international pour garantir des réparations aux victimes et pour mettre fin à ces pratiques ainsi qu’au climat d’impunité entourant les refoulements, et pour prévenir de nouvelles violations des droits humains.