Quelques observations de la CIJ et de la FIDH sur les arguments de procédure invoqués contre l’adoption de la Convention Internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées

22/03/2006
Communiqué

La Commission Internationale de Juristes (CIJ) et la Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme (FIDH) ont pris connaissance des différents arguments de procédure qui empêcheraient ou rendraient difficile l’adoption du projet de Convention Internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées par la Commission des Droits de l’Homme, lors de sa soixante-deuxième session.

A cet égard, la CIJ souhaite faire les remarques suivantes :

1.- A la lumière de la résolution A/60/L.48 de l’Assemblée générale du 15 mars 2006, par laquelle a été créé le Conseil des droits de l’Homme, et au vu du caractère subsidiaire de la Commission des Droits de l’Homme par rapport au Conseil Economique et Social (ECOSOC), il n’existe aucun obstacle à l’adoption de la Convention par la Commission des Droits de l’Homme et à sa transmission à l’Assemblée Générale par le biais de l’ECOSOC.

2.- En vertu du paragraphe 13 de la Résolution A/60/L.48, l’Assemblée Générale a demandé à l’ECOSOC d’abolir la Commission des Droits de l’Homme à la date du 16 juin 2006 et de demander à la Commission des Droits de l’Homme de conclure ses travaux à sa soixante-deuxième session. Dans cette logique, la Commission des Droits de l’Homme conserve ses attributions et pouvoirs jusqu’à cette date.

3.- La CIJ et la FIDH ne partagent pas l’interprétation sur la portée de la résolution A/60/L.48, selon laquelle celle-ci empêcherait la Commission de Droits de l’Homme d’agir et d’adopter la Convention.
• En effet, le paragraphe opérationnel 6 de la résolution A/60/L.48 qui se réfère à la faculté du nouveau Conseil des Droits de l’Homme de maintenir, d’améliorer et de rationaliser "tous les mandats, mécanismes, fonctions et responsabilités de la Commission de Droits de l’Homme de façon à entretenir le régime des procédures spéciales, des avis spécialisés et des plaintes". En d’autres termes, la résolution A/60/L.48 donne mandat au Conseil des Droits de l’Homme en vue de maintenir un système de procédures spéciales, d’avis, et de plaintes, mais de rien plus.

• D’après la CIJ et la FIDH, le Groupe de Travail inter-sessionnel chargé d’élaborer la Convention, mis en place par résolution 2001/46 de la Commission de Droits de l’Homme, ne rentre pas dans la catégorie des procédures à laquelle il est fait référence au paragraphe opérationnel 6 de la résolution A/60/L.48. Ces procédures spéciales, avis spécialisés et procédure de plaintes correspondent à des catégories bien déterminées dans la pratique des Nations Unies, que sont : les mandats de surveillance des experts, à la fois thématiques (comme le Rapporteur Spécial sur la Torture et le Groupe de travail sur la Détention Arbitraire) ou géographiques (comme l’Expert Indépendant sur le Burundi) ainsi que la procédure 1503 et plusieurs autres fonctions assumées par le bureau du Haut Commissariat des Droits de l’Homme sur le terrain qui transmettent des informations à la Commission de Droits de l’Homme.

• Le Groupe de Travail inter-sessionnel n’a pas pour mandat ni vocation d’être une procédure spéciale, ni une procédure d’expert spécialisé ni une procédure de plainte. Il s’agit d’une procédure ayant un mandat normatif, à caractère limité dans le temps et avec une mission précise qui s’épuise dans le temps (décision 2000/109 de la Commission de Droits de l’Homme), à savoir : rédiger un nouvel instrument juridique de droits de l’homme.

• Dans la pratique des Nations Unies, la documentation et sur le site Internet du Haut Commissariat des Droits de l’Homme, les Groupes de Travail inter-sessionnels à caractère normatif n’ont jamais été inclus dans la liste des procédures spéciales, des procédures d’experts spécialisés et de plaintes, ni considérés comme tels.

• Dans cette logique, le Groupe de Travail inter-sessionnel chargé d’élaborer un instrument juridiquement contraignant pour la protection de toutes les personnes contre la disparition forcée ne peut pas être assimilé aux mandats et procédures auxquelles le paragraphe opérationnel 6 de la résolution A/60/L.48 fait référence.

4.- La CIJ et la FIDH ne partagent pas l’interprétation selon laquelle, en adoptant une résolution qui adopte la Convention, la Commission de Droits de l’Homme risque de mettre en danger les procédures spéciales, les procédures d’experts spécialisés et de plaintes, et en particulier leur transfert au futur Conseil des Droits de l’Homme. L’intégrité de ces procédures et leur transfert au futur Conseil des Droits de l’Homme est déjà garantie par le paragraphe opérationnel 6 de la résolution A/60/L.48. Il est évident que dans ce domaine, la Commission de Droits de l’Homme ne peut prendre aucune action qui nuirait aux travaux du futur Conseil des Droits de l’Homme et qui affecterait l’intégrité de la résolution A/60/L.48.

5.- La CIJ et la FIDH considèrent que la résolution A/60/L.48 ne garantit pas que le Conseil des Droits de l’Homme considérera le projet de Convention, même si la Commission de Droits de l’Homme le lui demande, étant donné qu’une telle demande n’est pas contraignante à l’égard du Conseil des Droits de l’Homme. D’autre part, le danger existe que, même si le Conseil des Droits de l’Homme décidait d’examiner le projet de Convention, le projet pourrait risquer de se voir soumis à un nouveau processus d’élaboration de normes et son adoption pourrait être encore retardée de plusieurs années ou sine die.

6.- Le paragraphe opérationnel 13 de la résolution A/60/L.48 recommande à l’ECOSOC de demander à la Commission de Droits de l’Homme de conclure ses travaux à sa soixante-deuxième session. D’autre part, il est clair que la Commission de Droits de l’Homme, par sa résolution 2005/27 du 19 avril 2005 (des paragraphes 13 et 14), a décidé de terminer ses travaux sur le projet de Convention à sa soixante-deuxième session en demandant au Groupe de Travail inter-sessionnel de tenir une session de travail et plusieurs consultations informelles "en vue d’achever ses travaux" et à présenter un rapport à la Commission à sa soixante-deuxième session. Le 23 septembre 2005, le Groupe de Travail inter-sessionnel a en effet achevé ses travaux en adoptant le projet de Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées (E/CN.4/2006/57). C’est ainsi que la Commission des Droits de l’Homme dispose aujourd’hui d’un projet de Convention, adopté par le Groupe de travail, et il n’existe aucun obstacle de procédure à ce que la Commission adopte la Convention et la transmette à l’Assemblée Générale par le biais de l’ECOSOC.

Reporter sine die l’adoption de la Convention ou opter pour un transfert d’une efficacité incertaine au Conseil des Droits de l’Homme, basés sur des arguments de procédure inexistants, aurait pour le moins des résultats imprévisibles, si ce n’est des effets contraires à ceux escomptés. La CIJ et la FIDH considèrent finalement que renoncer ou retarder l’adoption de cet important traité, serait un mauvais signe qui affectera l’image et la crédibilité du futur Conseil des Droits de l’Homme.

Les organes internationaux, comme la Commission et le Conseil des Droits de l’Homme, ne sont pas des organes abstraits : ils sont composés d’États membres qui, en tant que tels, doivent assumer leurs responsabilités. Il serait incompréhensible pour les associations de familles de victimes de disparition forcée, et pour les ONGs qui ont travaillé pendant de longues années pour l’adoption de cette Convention, qu’une fois les travaux de rédaction terminés, elle ne soit pas adoptée, alors que les conditions de procédure sont réunies pour cela et qu’aucune ne l’en empêche.

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