Point 9 - Vietnam - Intervention écrite

11/02/2005
Communiqué

Commission des Droits de l’Homme
61ème session 14 Mars-22 Avril 2005

Intervention écrite de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH), une organisation non-gouvernementale dotée du statut consultatif spécial.

Point 9 de l’ordre du jour

  Vietnam

La Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme (FIDH) et son affiliée, le Comité Vietnam pour la Défense des Droits de l’Homme (Comité Vietnam), s’inquiètent de la multitude d’obstacles, tant institutionnels que légaux, à une protection adéquate des droits fondamentaux en République Socialiste du Vietnam (RSV).
Cette inquiétude est d’autant plus grande que la RSV s’est engagée dans une réforme légale d’ampleur de dix ans (« Stratégie de Développement du Système Légal ») financé par les donateurs et les gouvernements occidentaux et visant prétendument à établir un Etat de droit. Or, le maintien, malgré les recommandations formulées par les mécanismes de protection des droits de l’Homme des Nations Unies, d’instruments de répression et la mise en place de nouveaux textes répressifs ne présagent nullement de l’instauration d’un Etat de droit.
La FIDH et le Comité Vietnam ont depuis longtemps dénoncé le décret 31/CP de 1997 sur la « détention administrative », qui permet à la police d’incarcérer sans procès, jusqu’à deux ans, toute personne soupçonnée de pouvoir ou de vouloir menacer la « sécurité nationale ». Dans ses Observations finales concernant le Vietnam (réf. CCPR/CO/75/VNM, 26 juillet 2002), le Comité des Droits de l’Homme de l’ONU a également condamné le décret 31/CP. Depuis son adoption, le recours à ce texte a surtout servi à réprimer les dissidents non-violents qui exercent légitimement leur droit à la liberté d’expression, de conscience et de religion.
De nombreux citoyens vietnamiens sont aujourd’hui en « détention administrative », sous un régime plus ou moins strict, pour leur attachement à leurs convictions et leur engagement pour les réformes, la démocratie ou les droits de l’Homme, et contre la corruption. Hoang Minh Chinh, Nguyen Thanh Giang, Pham Que Duong, Tran Khue sont en résidence surveillée. Onze dignitaires de l’Eglise Bouddhique Unifiée du Vietnam (EBUV, Eglise historique, indépendante, interdite arbitrairement en 1981) sont assignés à résidence sans procès depuis l’intensification de la répression à leur égard en octobre 2003, en particulier, le Patriarche Thich Huyen Quang et le Très Vénérable Thich Quang Do sont enfermés dans leurs pagodes (respectivement à Binh Dinh, et à Ho Chi Minh Ville).
Le décret 31/CP n’est qu’un des exemples les plus marquants d’une législation vague et fourre-tout employée pour couvrir d’une légalité purement formelle l’arbitraire et les violations des libertés protégées par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP). Cette législation, condamnée à plusieurs reprises par le Comité des Droits de l’Homme, le Groupe de travail sur la détention arbitraire (voir Visite au Vietnam, réf. E/CN.4/1995/31/Add.4, 18 janvier 1995) ou le Rapporteur Spécial sur l’intolérance religieuse (voir Visite au Vietnam, réf. E/CN.4/1999/58/Add.2, 29 décembre 1998), comprend en particulier les atteintes à la « sécurité nationale » (article 78 et suivants du Code pénal) ou « l’abus des libertés démocratiques pour nuire aux intérêts de l’Etat » (article 258). Sous ces motifs en apparence légitimes, la RSV réprime les dissidents et fait taire toute opposition.
Etayant une première dénonciation par le général Vo Nguyen Giap (vainqueur de Dien Bien Phu) du 3 janvier 2004, le major-général à la retraite Nguyen Nam Khanh, ancien membre du Comité Central du PCV, se plaignait, dans une lettre de 13 pages aux autorités (17 juin 2004), des crimes et abus de pouvoir des services d’intelligence militaire du PCV connus sous l’appellation « Département Général n°2 » (DG2) et dotés « de pouvoirs exorbitants et [exerçant] des contrôles sans limites ». « Le DG2 peut diffamer ou sanctionner qui il veut, infiltrer ses agents partout ».
Véritable Etat dans l’Etat, tout puissant et à l’abri de tout contrôle, le DG2 protège ses membres et destabilise, voire fait disparaître, ses adversaires. Sont cités plusieurs exemples de campagnes de déstabilisation à l’encontre de hauts cadres du PCV et de l’Etat, ainsi que les assassinats, et les tortures physiques et psychologiques à l’encontre des cadres communistes cambodgiens (Affaire Seam Reap, en 1983).
Or, malgré ce passif, le DG2 a reçu un vernis de légalité avec l’Ordonnance sur les Services de Renseignement (14 décembre 1996, signé par le Président de l’Assemblée Nationale) et le Décret 96/CP sur les Services Secrets Militaires (11 septembre 1997, signé par le Premier Ministre). Ces textes font sans doute du DG2 l’organisme le plus puissant du pays, avec un champ d’activité tous azimuts et des pouvoirs illimités.
Alarmés par l’action du DG2 au sein même du PCV, la FIDH et le Comité Vietnam condamnent les exactions commises à l’encontre des citoyens vietnamiens qui ne font qu’exercer légitimement leur droit aux libertés fondamentales, en particulier les défenseurs des droits de l’Homme et ceux qui, soucieux de l’avenir du pays, s’engagent en faveur des réformes démocratiques, comme les membres de l’EBUV, des autres religions non-reconnues, ou les cyberdissidents : Nguyen Dan Que, Pham Hong Son, Nguyen Khac Toan, Nguyen Vu Binh, le Révérend Nguyen Hong Quang et 5 de ses assistants sont ainsi en prison. Le DG2 est une menace réelle pour le débat lancé au sein du PCV au pouvoir, ces dernières années, par les vétérans communistes et les anciens hauts-cadres du Parti partisans des réformes.
La FIDH et le Comité Vietnam rappellent qu’un Etat de droit ne peut tolérer l’existence en son sein d’une telle entité, véritable puissance occulte responsable d’abus de pouvoirs, et qui recourt à la torture et aux assassinats politiques.
La FIDH et le Comité Vietnam rappellent également que les Montagnards des Hauts-Plateaux du Centre, souffrant chaque jour depuis 2001 d’arrestations et de tortures massives, fuient au Cambodge par milliers. Face à ces graves violations, la RSV oppose démentis et accusations contre ces Montagnards qui veulent « fomenter des troubles dans le pays, téléguidés dans leur mission clandestine par quelques agents de l’UNHCR basés à Phnom Penh » (Le Courrier du Vietnam, 4 janvier 2005).
La RSV ne peut prétendre aller vers l’Etat de droit en adoptant des textes comme l’Ordonnance sur les Religions (réf. 21/2004/PL-UBTVQH11 du 18 juin 2004), entrée en vigueur le 15 novembre 2004, qui n’a pas pris en compte les recommandations formulées par les Nations Unies et reste incompatible avec le PIDCP : enseignements religieux subordonnées aux considérations « patriotiques » du PCV, pratique religieuse circonscrite aux seuls lieux de culte, interdiction de « l’utilisation » de la liberté religieuse pour violer les politiques du PCV (article 8§2).
Cette Ordonnance constitue en fait une version présentable d’un document secret de l’Institut des Sciences de la Police, de 602 pages, diffusé à 1 million d’exemplaires au sein de la Sécurité vietnamienne depuis 1996 et dont le Comité Vietnam détient un exemplaire. Véritable mode d’emploi des persécutions religieuses, ce document ordonne de manière crue le démantèlement des religions non-reconnues considérées comme rivales du PCV.
La peine capitale est prévue au Vietnam pour de nombreux crimes allant des infractions économiques comme la corruption ou le détournement de fonds (condamnation à la peine de mort d’un directeur de société en avril 2004) aux crimes liés à la drogue. Tout un chapitre du Code pénal porte sur les « atteintes à la sécurité nationale » dont beaucoup sont punies de mort, comme le fait de « rassembler ou livrer des informations et autres documents [qui ne sont pas des secrets d’Etat] afin de permettre aux pays étrangers de s’en servir contre la République Socialiste du Vietnam » (article 80). Les dissidents sont ainsi passibles de mort du simple fait d’envoyer leurs opinions à l’étranger. Depuis un décret de janvier 2004, les informations et statistiques sur la peine capitale sont secrets d’Etat. Malgré la proposition du Ministre de la Justice, en novembre 2004, d’abolir la peine de mort pour les infractions économiques, aucun progrès n’a été enregistré à ce jour (janvier 2005). Durant l’année 2004, plus de 100 personnes auraient été condamnées à mort et plus de 70 exécutions ont eu lieu.
La FIDH et le Comité Vietnam appellent donc la Commission des Droits de l’Homme à adopter une résolution sur la situation des droits de l’Homme au Vietnam appelant les autorités vietnamiennes à :
  libérer immédiatement et inconditionnellement les prisonniers d’opinion et de conscience
  mettre un terme à la répression contre les minorités ethniques, et en particulier les Montagnards
  démanteler les services illégaux comme le DG2
  rendre publiques les statistiques relatives aux condamnations et exécutions et réduire le nombre de crimes emportant la peine capitale en tant que premier pas vers l’adoption d’un moratoire, puis l’abolition de la peine de mort
  mettre en conformité la législation nationale avec ses engagements internationaux dans le domaine des droits de l’Homme, et en particulier avec le PIDCP
  mettre en oeuvre les recommandations des organes conventionnels et des mécanismes spéciaux des Nations Unies et remettre les rapports périodiques en retard (CDESC et CRC)
  adresser une invitation permanente aux procédures spéciales de la Commission des droits de l’Homme des Nations Unies
  ratifier et mettre en oeuvre le Statut de la Cour pénale internationale et la Convention des Nations unies contre la torture.

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