Point 9 - Togo - Intervention écrite

11/02/2005
Communiqué

Commission des Droits de l’Homme
61ème session 14 Mars-22 Avril 2005

Point 9 de l’ordre du jour

Togo

Les ONG signataires, Agir Ensemble pour les Droits de l’Homme, la Fédération Internationale de l’Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture (FIACAT), la Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme (FIDH), Franciscans International, l’Organisation Mondiale contre la Torture (OMCT), en lien avec l’ACAT-France, le Secours Catholique - Caritas France et Survie regroupées dans la Coalition des ONG pour le Togo souhaite alerter la Commission des droits de l’Homme sur l’inquiétante situation des droits de l’Homme au Togo.
Le 5 février 2005, quelques heures après l’annonce du décès du Président Eyadéma, l’armée confie le pouvoir au fils du président défunt contrairement aux dispositions constitutionnelles. Afin de légitimer ce coup d’état, l’Assemblée Nationale a adopté le 6 février 2005, par un vote à main levée, une série d’amendements constitutionnels en contradiction avec l’article 144 de la constitution qui stipule que cette dernière ne peut être modifiée au cours de la période de transition. Ces amendements modifient l’article 65 qui organise la période de transition : l’organisation d’élections libres et pluralistes dans les 60 jours est supprimée tandis que la période d’intérim, au cours de laquelle le président de l’Assemblée Nationale assume les fonctions présidentielles, est étendue « jusqu’au terme du mandat de son prédécesseur », soit en juin 2008. Afin que ces dispositions bénéficient à Fauré Gnassingbé, les députés ont élu ce dernier à la présidence de l’Assemblée en lieu et place du président en fonction, Fambaré Natchaba Ouattara.

La Coalition condamne ce coup d’état et les modifications anti-constitutionnelles parfaitement contraires aux droits tels que garantis par la Déclaration universelle des droits de l’Homme, les Pactes internationaux de 1966, la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples, la Déclaration de Bamako et par les dispositions des Accords dits de Cotonou et notamment son article 96.

Par ailleurs, la Coalition est hautement préoccupée par les graves violations des droits de l’Homme observées depuis le coup d’état : interdiction de toute manifestation publique pendant deux mois , répression par des tirs à balles réelles d’une manifestation d’étudiant, suppression de toutes les émissions radio portant sur la situation politique et intimidation des journalistes.

Le coup d’état militaire et l’inquiétante situation des droits de l’Homme qui en résulte, vide de sens les engagements pris par les autorités nationales dans le cadre du dialogue politique entrepris avec l’Union européenne au titre de l’article 96 de l’Accord de Cotonou en vue de renforcer l’Etat de droit et d’établir, sans délai, un dialogue ouvert et crédible entre la classe politique et la société civile.

Dans ce cadre, bien que certaines initiatives des autorités togolaises aient été encourageantes (levée partielle des obstacles entravant habituellement la liberté de réunion des partis politiques de l’opposition ; adoption le 24 août 2004 du nouveau code de la presse qui dépénalise les délits de presse et abolit les peines de prisons pour diffamation et atteinte à l’honneur ; etc.), l’adoption, le 19 janvier 2005 d’un nouveau code électoral conférant principalement l’organisation des élections au ministère de l’Intérieur, laisse planer le doute sur la transparence des futurs élections.

La persistance des violations des droits de l’Homme demeure tout aussi préoccupante :

· Violation du droit à la vie

Le 20 novembre 2004, désinformée par les médias publics et manipulés par les autorités, une foule importante s’était massée devant la résidence du chef de l’Etat pour saluer la prétendue décision de l’Union européenne de rétablir la coopération économique avec le Togo.
Une bousculade dans la foule aurait fait de sources concordantes une soixantaine de morts et plus de 200 blessés, à cause de la négligence des services de sécurité de Lomé II pour prévenir cette tragédie.

· Tortures, détentions arbitraires et conditions carcérales déplorables

Comme le démontrent plusieurs rapports récents des organisations signataires de cette intervention, les actes de torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants sont fréquents au moment des arrestations, dans les centres de détentions, tels que les commissariats de police, les gendarmeries et les camps militaires.

Les détentions arbitraires sont également nombreuses. Nos organisations ont pu établir que si les autorités togolaises ont procédé sous la pression de l’UE à une libération de plusieurs prisonniers politiques, celle-ci s’est orchestrée de manière sélective laissant délibérément dans les geôles des centaines de personnes dont de nombreux militaires incarcérés uniquement en raison de leurs opinions.

Quant aux conditions carcérales, elle sont particulièrement préoccupantes : A la surpopulation dans les maisons d’arrêt, s’ajoute la vétusté des infrastructures pénitentiaires et des conditions sanitaires et d’hygiène déplorables. Des décès sont régulièrement signalés du fait des conditions de détentions extrêmement pénibles et des mauvais traitements infligés aux détenus

· Musellement des libertés d’expression, de réunion, d’information et d’opinion

Bien qu’un nouveau code sur la presse jugé plus respectueux des libertés d’expression et d’information ait été récemment adopté, les journalistes, les organisations syndicales et les partis politiques subissent encore des actes d’intimidations, des menaces de mort et de persécutions judiciaires du fait de leur activité.
Par ailleurs les médias d’Etat, en particulier la télévision togolaise, laissent peu de place aux partis d’opposition, et deviennent un moyen récurrent de dénigrement des personnalités politiques d’opposition et de la société civile, et ce sous la bienveillance de la haute autorité de l’audiovisuelle et de la communication (HAAC), réputée pour les sanctions abusives qu’elle inflige aux médias privés.

· Persécutions des membres de la société civile

De la surveillance policière quasi-permanente aux intimidations et persécutions en passant par des campagnes de dénigrement, d’arrestations arbitraires, et d’actes de harcèlement, les membres de la société civile subissent une pression quasi quotidienne qui entrave le bon déroulement de leurs activités. Leurs familles font également l’objet d’actes discriminatoires en ce qui concerne le traitement de dossiers scolaires, l’accès à l’emploi ou l’avancement dans la fonction publique...

· Violations des droits économiques sociaux et culturels

Beaucoup de togolais cumulent des arriérés de salaires, d’allocations familiales et de retraite. Pourtant, toute tentative de dénonciation et de demande d’amélioration des conditions de travail est assimilée à une manipulation politique et considérée comme attentatoire à la sécurité de l’Etat alors même que les articles 38 et 84 de la Constitution reconnaissent expressément le droit syndical.

La mise en œuvre du droit à l’éducation souffre d’un manque de stratégie cohérente de la part de l’Etat. Si le taux de scolarisation en milieu urbain est élevé, il reste, par contre, très faible dans les zones rurales, surtout dans la région des savanes au nord du pays. Les autorités devraient également s’efforcer d’améliorer les conditions d’études à l’université au lieu de considérer les étudiants qui dénoncent ses disfonctionnement comme des ennemis du pouvoir. La liberté d’enseignement est toujours mise à rude épreuve à cause de l’ingérence et de la présence quasi permanente des forces de l’ordre sur le campus universitaire de Lomé pour empêcher toute manifestation des étudiants.

Ainsi, la Coalition des ONG demande à la Commission des droits de l’Homme d’adopter une résolution :

  Condamnant le coup d’état et les modifications arbitraires de la Constitution et demandant le retour à la légalité constitutionnelle ;
  Demandant la reprise du processus de transition conformément à la Constitution togolaise et l’organisation d’élections libres, transparentes et pluralistes dans les délais les plus brefs ;
  Nommant un Rapporteur spécial chargé d’enquêter sur la situation des droits de l’Homme au Togo et faisant rapport à la prochaine session de la Commission des droits de l’Homme ;

demandant aux autorités togolaises de :

  D’inviter le Groupe de travail sur la détention arbitraire, le Rapporteur Spécial sur la torture et la Représentante Spéciale du Secrétaire général sur les défenseurs des droits de l’Homme ;
  Ratifier les instruments internationaux et régionaux relatifs à la protection des droits humains et la lutte contre l’impunité ;
  Créer un organe indépendant qui s’occupe d’élaborer des projets d’harmonisation effective des instruments internationaux de protection des droits de l’Homme ratifiés par le Togo avec la législation nationale, et des projets de rapports initiaux / périodiques pour soumission aux organes de surveillance des traités et de la mise en œuvre des recommandations et conclusions faites par ces derniers à l’endroit du Togo ;
  Faire la déclaration au titre de l’article 34.6 du Protocole additionnel portant création de la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples pour permettre à ses nationaux et aux organisations non gouvernementales de saisir directement ce nouvel instrument de lutte contre l’impunité ;
  De respecter dans l’intégralité les engagements pris le 14 avril 2004 à l’ouverture des consultations avec l’Union européenne dans le cadre de l’article 96 de l’Accord de Cotonou ;
  Procéder immédiatement à des enquêtes impartiales dans tous les cas de décès suspects des détenus et d’allégations d’actes de torture ;
  Engager des poursuites judiciaires à l’encontre des auteurs d’actes de torture devant les tribunaux et se conformer aux dispositions de la Convention contre la torture à laquelle le Togo est partie ;
  Procéder à une indemnisation adéquate des victimes d’actes de torture et de leurs familles et établir des programmes officiels de réparation, réhabilitation et de réadaptation des victimes ;
  Considérant que les conditions de détention dans les prisons peuvent être qualifiées de traitements cruels, inhumains ou dégradants, procéder incessamment aux réformes nécessaires pour améliorer les conditions de vie ;
  Respecter pleinement les principes contenus dans la Déclaration des Nations Unies de 1998 sur les défenseurs des droits de l’homme ;
  Garantir les libertés fondamentales d’expression et d’information conformément aux dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

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