Point 17 : Promotion et protection des droits de l’Homme :(b) Défenseurs des droits de l’Homme au Rwanda

La Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) et l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT), dans le cadre de leur programme conjoint, l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme, souhaitent faire part de leurs plus vives préoccupations quant à la situation des défenseurs des droits de l’Homme au Rwanda.

Au cours de l’année 2004, les autorités rwandaises ont poursuivi une stratégie de neutralisation et de paralysie de la société civile, visant à entraver l’action des organisations indépendantes de défense des droits de l’Homme, et plus généralement la liberté d’association et, par voie de conséquence, l’existence même d’une société civile indépendante. Parallèlement, les défenseurs des droits de l’Homme restent fréquemment victimes de menaces et de harcèlements du fait de leurs activités.

Fin 2003, une commission parlementaire chargée d’enquêter sur l’éventuelle propagation de l’idéologie génocidaire, interdite par la loi rwandaise, avait été établie à la suite des meurtres de plusieurs survivants du génocide de 1994 dans la province de Gikongoro. Le 30 juin 2004, conformément aux conclusions de cette commission dans lesquelles elle recommandait la dissolution de quatre organisations - le Forum des organisations rurales, Souvenirs des parents, SDA-Iriba et 11.11.11 - et de la Ligue rwandaise pour la promotion et la défense des droits de l’Homme (LIPRODHOR), les accusant de "divisionnisme", le Parlement a adopté une résolution demandant au gouvernement de mettre en œuvre cette recommandation. Certains députés ont par ailleurs demandé aux forces de l’ordre et à la justice nationale de poursuivre et de punir sévèrement les dirigeants, cadres et membres de la LIPRODHOR, nommément cités dans le rapport de la commission parlementaire. Compte tenu de la gravité de cette mesure et des menaces pesant sur leur sécurité et leur intégrité, ces derniers ont été contraints de s’exiler, notamment en Ouganda et au Burundi. En septembre 2004, même en exil, ils ont fait l’objet d’actes de harcèlement et d’arrestations arbitraires. Pour mettre fin au danger qu’elles couraient, l’ensemble de ces personnes ont été prises en charge par le Haut Commissariat aux Réfugiés (HCR), puis ont été installées en Europe à la fin de l’année 2004. Dans le même temps, le 11 septembre 2004, une assemblée générale extraordinaire de la LIPRODHOR a été convoquée à Kigali, en l’absence des dirigeants élus de l’organisation et sans aucune consultation préalable, afin de procéder à l’élection d’un nouveau Conseil d’administration approuvé par le gouvernement et dont les membres seraient visiblement proches du pouvoir.

Enfin, les membres de la LIPRODHOR qui n’ont pas pu quitter le Rwanda sont soumis à de nombreuses pressions. Ainsi, M. Pasteur Nsabimana, chargé de la sensibilisation aux droits de l’Homme des responsables politiques, et M. Mérari Muhumba, secrétaire, n’étant pas en possession d’un passeport, n’avaient pas pu quitter le pays en juillet 2004. Ils ont été notifiés par une lettre du "nouveau" conseil d’administration de la LIPRODHOR, en date du 8 décembre 2004, de leur renvoi de la ligue pour "divisionnisme". Cette lettre ayant été rendue publique, les autorités se sont saisies de l’affaire et ont assigné MM. Nsabimana et Muhumba à résidence. Fin décembre 2004, cette mesure n’était toujours pas levée.

Par ailleurs, la Communauté des Autochtones Rwandais (CAURWA), une organisation de défense des droits des Batwas du Rwanda, s’est vue refuser à plusieurs reprises l’octroi de la personnalité juridique au motif que « l’objectif et le nom de l’organisation [étaient] contraires aux principes constitutionnels de la République rwandaise » et qu’elle promouvait le "divisionnisme". En novembre 2004, estimant que l’organisation ne s’était toujours pas conformée à la Constitution, le ministre de la Justice a exigé la suspension de ses activités. Tout porte à croire que cette décision s’inscrit en représailles des activités de la CAURWA, et notamment lors de la 36ème session de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples (Dakar, 23 novembre - 7 décembre 2004). En effet, le gouvernement rwandais n’a pas hésité à dénigrer publiquement à cette occasion, devant les instances internationales, la CAURWA : le président de cette dernière a été directement menacé par les représentants de son pays après avoir présenté un rapport alternatif au rapport périodique du Rwanda.

Enfin, la FIDH et l’OMCT sont préoccupées par un projet de loi sur la réglementation des activités des ONG internationales œuvrant dans le pays. Selon l’article 3 de ce projet, les ONG internationales devront s’enregistrer tous les ans auprès du ministère de l’Administration locale, qui pourra bénéficier d’un droit de regard sur la nature et les lieux d’opération des activités des organisations. Celles-ci devront par ailleurs soumettre annuellement aux ministères concernés un bilan détaillé des activités de l’organisation, le gouvernement pouvant procéder, « chaque fois que s’avère nécessaire » (article 21) « à une évaluation/audit de ses activités ». En novembre 2004, ce projet, qui s’inscrit dans la lignée de la loi sur les ONG nationales adoptée en 2001, a été approuvé par le gouvernement, et doit être examiné par le Parlement en 2005.

La FIDH et l’OMCT, dans le cadre de l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme, demandent à la Commission des droits de l’Homme d’exprimer ses vives préoccupations quant à la situation des défenseurs des droits de l’Homme au Rwanda et demandent aux autorités rwandaises :

1. De garantir la sécurité et l’intégrité physique et morale des défenseurs des droits de l’Homme au Rwanda et mettre un terme à toute forme de harcèlement et de menace à leur encontre ;
2. De procéder à l’enregistrement des organisations indépendantes de défense des droits de l’Homme encore non reconnues ;
3. D’inviter la Représentante Spéciale du Secrétaire général des Nations unies sur les défenseurs des droits de l’Homme à se rendre au Rwanda ;
4. De se conformer aux dispositions de la Déclaration sur les défenseurs des droits de l’Homme, adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 9 décembre 1998 ;
5. De se conformer aux dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ainsi qu’à celles de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples, qui lient le Rwanda, notamment concernant les libertés d’expression et de réunion ;
6. De faire la déclaration au titre de l’article 34.6 du Protocole additionnel à la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples portant création de la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples (CADHP), permettant aux victimes et aux ONG de saisir directement la CADHP.

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