Intervention écrite sous le point 9 : Burundi

28/02/2005
Communiqué

Commission des Droits de l’Homme
61ème session 14 Mars-22 Avril 2005

Intervention écrite de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH), une organisation non-gouvernementale dotée du statut consultatif spécial.

Point 9 de l’ordre du jour

Burundi

Le Burundi est le théâtre depuis 1993 d’une guerre civile qui a entraîné la mort d’environ 400.000 personnes et causé des traumatismes physiques et psychologiques irréversibles parmi la population civile.

Cette année, la cycle de la violence a repris avec le massacre de plus de 160 réfugiés congolais Banyamulengé à Gatumba, dans la nuit du 13 au 14 août 2004, dans des conditions controversées. Ces crimes rappellent combien la lutte contre l’impunité est une exigence au Burundi.

Pour tenter de mettre fin à cette crise, un processus de négociation a été amorcé en 1998 entre les différents acteurs politiques et militaires au terme duquel un accord de paix a été signé le 28 août 2000 à Arusha (Tanzanie) sous la supervision des pays de la région, de la communauté internationale et du médiateur Nelson Mandela. Un autre accord a été signé entre le gouvernement de transition et le principal mouvement armé le CNDD FDD en décembre 2003 à Dar Es Salaam (Tanzanie).

Ces accords ont permis la réalisation d’un certain nombre d’avancées vers la construction d’un Etat de droit et le respect des droits de l’Homme : l’accalmie des combats est une réalité sur une grande partie du territoire excepté la province de Bujumbura rurale où le mouvement rebelle FNL n’a pas encore déposé les armes ; le mouvement de démobilisation des ex combattants tant loyalistes que rebelles a démarré, sans toutefois la remise des armes ; de nombreux réfugiés, principalement de Tanzanie et un nombre important de personnes déplacées retournent dans leurs localités d’origines ; une période de transition démocratique de 36 mois a été mise en place sur la base d’un partage ethnique et politique du pouvoir.

Malgré ces avancées, la période de transition semble à présent s’essouffler, hypothéquant un retour rapide aux principes démocratiques. La transition a été rallongée de 6 mois, certaines questions fondamentales relatives à la construction de l’Etat de droit n’ayant pu être réglées dans le temps imparti. Les élections présidentielles sont prévues pour le mois d’avril 2005. Mais le report de celles-ci se profile déjà en dépit des attentes de la population. La Commission électorale nationale indépendante a retardé trois fois la tenue du référendum portant sur la nouvelle constitution. La loi électorale n’a toujours pas été adoptée par le Parlement. Cette situation de « gel » de la transition emporte l’impatience des acteurs politiques et militaires du pays engendrant une dégradation sensible de la situation sécuritaire.

Tout aussi inquiétante que le volet politique, l’impunité des crimes commis pendant la guerre civile et l’absence d’indemnisation des victimes ajoutent aux interrogations sur la viabilité d’une paix durable au Burundi.

Pourtant, les accords de paix, notamment ceux d’Arusha, prenaient en compte cette dimension en prévoyant la mise en place d’une Commission vérité réconciliation (CVR) et une Commission internationale d’enquête judiciaire chargée de faire la lumière sur les crimes commis et d’établir les responsabilités. Mais si la loi sur la CVR a été adoptée, rien dans celle-ci ne garantie l’indépendance de ses membres. Quant à la Commission d’enquête, devant être mise en place par l’ONU, elle n’a toujours pas vu le jour.

La FIDH considère que l’impunité des crimes les plus graves commis au Burundi, au prétexte de trouver une issue politique à la guerre civile, est une prime politique aux bourreaux qui ne permet pas la cicatrisation des plaies et ouvre bien souvent vers d’autres violences inspirées par la vengeance. D’ailleurs la libération récente des rares personnes appréhendées pour des crimes commis pendant la guerre civile aux motifs qu’ils seraient des prisonniers politiques décourage les victimes et augmente la méfiance entre les populations.

Kofi Annan, Secrétaire général des Nations unies, soulignait [1] pourtant devant le Conseil de sécurité en 2003 que « si nous fermons les yeux sur la quête de la justice uniquement pour parvenir à un accord, les bases de cet accord s’en trouveront fragilisées et nous créerons ainsi des précédents regrettables. » Il ajoute, « il ne saurait y avoir de véritable paix sans justice. » Même si ce paradigme peut poser certains obstacles aux négociations, Kofi Annan conclu : « parfois nous devons faire courir, à court terme, un certain nombre de risques à la paix dans l’espoir qu’elle sera mieux garantie à long terme ».

Enfin, la présence massive d’armes légères détenues par les rebelles et la population au Burundi pèse sur la situation sécuritaire. On assiste à la recrudescence du banditisme, des tueries et assassinats ciblés, des embuscades mortelles sur les axes routiers principalement localisés dans la province de Bujumbura rurale et des violences sexuelles. Cette situation naît des conditions économiques et sociales dramatiques dans lesquelles vivent les burundais du fait de la guerre et de l’embargo, des poches de famines étant même apparues dans le nord du pays.

En conséquence, la FIDH demande à la Commission des droits de l’Homme

  • la mise en place immédiate de la commission d’enquête internationale conformément aux Accords d’Arusha ;
  • l’adoption d’une résolution sur le Burundi

1.condamnant les violations des droits de l’Homme, et en particulier le massacre de Gatumba
2.demandant aux autorités nationales
 l’adoption immédiate du cadre légale des élections présidentielles à savoir la Constitution, la loi électorale et communale conformément aux Accords de paix d’Arusha ;
 l’accélération du processus de démobilisation, désarmement et réinsertion des ex combattants ;
 d’engager des poursuites contre tout auteur de violations des droits de l’Homme et du droit international humanitaire, conformément aux dispositions régionales et internationales de protection des droits de l’Homme ;
 la mise en place d’une Commission vérité réconciliation indépendante ;
 l’adoption en droit interne de la loi d’adaptation du Statut de la Cour pénale internationale, y inclus la définition des crimes internationaux, les principes généraux du droit pénal international et les principes de coopération entre la Cour et les autorités nationales ;
 de faire la déclaration au titre de l’article 34.6 du Protocole portant création de la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples permettant aux individus et ONG de saisir directement la Cour.

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