Premier bilan de la 60ème session de la Commission des droits de l’homme des Nations Unies : la confirmation de tendances inquiétantes assombrit les quelques avancées

22/04/2004
Communiqué

À la veille de la clôture de la 60ème session de la Commission des droits de l’homme des Nations Unies, la Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme (FIDH) exprime sa vive préoccupation face à la campagne menée par un groupe de pays contre le point 9 (Question de la violation des droits de l’homme et des libertés fondamentales, où qu’elle se produise dans le monde) et les attaques visant les procédures spéciales de la Commission. La FIDH déplore en conséquence le silence sur les graves violations des droits de l’homme dans certains pays, notamment en Iran, en Irak, en Tchétchénie, en Chine ou au Zimbabwe.

Ce constat est toutefois tempéré par des avancées telles que l’adoption par consensus de la résolution sur la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste, l’établissement de nouveaux mandats sur deux pays (République du Belarus et République Populaire Démocratique de Corée), ou encore, la nomination d’un expert indépendant chargé de mettre à jour les principes sur la lutte contre l’impunité.


Résolutions pays : la campagne contre le point 9 et des silences honteux

Une campagne contre le point 9 a été menée ouvertement par certains pays, notamment la Chine, Cuba ou le Zimbabwe, et derrière eux les groupes Africain et Asiatique. Ceux-ci utilisent de façon fallacieuse le prétexte de « la politisation et la sélectivité » des résolutions sur les pays pour tenter d’éliminer le point 9 de l’agenda de la Commission. Le point 9 a également été attaqué à l’occasion des débats qui ont précédé l’adoption de la résolution sur les mécanismes spéciaux, Cuba voulant supprimer toute mention des mécanismes spécifiques aux pays.

La FIDH réaffirme que la Commission est responsable au premier plan de la dénonciation des violations des droits de l’homme. Le point 9 est un instrument indispensable dans sa mise en oeuvre : « Face à la multiplication des violations flagrantes des droits de l’Homme dans certains pays, parfois les seuls espoirs des victimes, de leurs familles ou leurs défenseurs sont les condamnations et les pressions que peuvent formuler la communauté internationale. Nous soutenons les Etats qui réagissent à leurs appels », a déclaré Sidiki KABA, Président de la FIDH. « En revanche, nous sommes stupéfaits de voir un nombre croissant de démocraties rester sourdes à ces appels et s’allier aux dictatures. Je pense au Brésil, au Mexique ou encore à l’Inde, etc.", a-t-il continué.

La FIDH condamne à cet effet avec force les motions de non-action adoptées cette année dans le but d’écarter l’évaluation de la situation des droits de l’homme au Zimbabwe et en Chine, et la tentative non réussie en ce qui concerne la résolution sur la République du Belarus.

« Le silence de la Commission est une insulte aux victimes et aux défenseurs des droits de l’homme iraniens » a dénoncé Shirin Ebadi [1] en commentant le fait qu’une résolution sur l’Iran n’ait même pas été présentée. Cette remarque est valable pour les nombreuses autres situations sur lesquelles la Commission s’est tue, en particulier sur la Tchétchénie ou l’Irak.

Si la FIDH attribue beaucoup d’importance aux programmes des Nations Unies dans le domaine de la coopération technique, elle s’inquiète pourtant de la multiplication de résolutions présentées à ce titre (point 19), qui semblent parfois davantage découler d’un manque de volonté politique de dénoncer les situations sous le point 9 que d’une réflexion approfondie sur la possibilité et la nécessité d’établir ce type de programmes. Le plus préoccupant est quand ces résolutions n’exigent pas de la part des pays concernés un engagement sérieux à cesser les violations des droits de l’homme et à lutter contre l’impunité, ou encore, dans certains cas à permettre le simple déploiement d’enquêtes internationales sur les violations. La crédibilité de ces programmes est en ce sens fortement remise en question.

Les quelques avancées dans le cadre des résolutions pays proviennent de l’établissement de deux nouveaux Rapporteurs Spéciaux, l’un sur la Corée du Nord, l’autre sur la République du Belarus, et de l’inscription à l’agenda de la Commission de la situation des droits de l’Homme au Népal. La résolution sur Haiti avalise également les démarches entreprises par les Nations unies et les recommandations de l’expert indépendant Louis Joinet. La FIDH appelle aujourd’hui la Commission à adopter la résolution présentée par l’Union Européenne sur le Soudan, visant à l’établissement d’un mécanisme spécial sur ce pays, après que les Nations unies aient mis en évidence l’orchestration d’un nettoyage ethnique dans la région du Darfour. [2]

Résolutions Thématiques : quelques avancées

La FIDH accueille avec satisfaction l’adoption par consensus de la résolution présentée par le Mexique relative à la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste. La FIDH réitère la nécessité d’établir un mécanisme spécial de la Commission ayant pour mandat d’évaluer les violations des droits de l’homme commises dans le cadre de la lutte antiterroriste ou sous ce prétexte. La résolution adoptée par la Commission constitue un premier pas très important, en ce qu’elle donne mandat à un expert indépendant d’aider le Haut Commissaire à examiner cette question, à formuler des recommandations concernant les obligations des Etats dans ce contexte et d’évaluer dans quelle mesure les mécanismes onusiens existant ont la capacité d’évaluer la compatibilité des mesures nationales de lutte antiterroriste avec le droit international des droits de l’homme.

Au titre de la protection des droits de l’homme dans la lutte anti-terroriste, la FIDH regrette le retrait par Cuba du projet de résolution relatif aux détentions arbitraires sur la base navale de Guantanamo.

La FIDH se réjouit de la décision de nommer un expert indépendant chargé de mettre à jour les principes pour la protection et la promotion des droits de l’homme par la lutte contre l’impunité. Elle se réjouit aussi du fait que la Commission ait reconnu l’importance historique de l’entrée en vigueur de la Cour pénale internationale, malgré l’opposition de certains Etats, Etats Unis et Inde notamment.

La FIDH salue la décision de la commission de convoquer deux sessions formelles du Groupe de travail chargé de rédiger un projet d’instrument normatif pour la protection des personnes contre les disparitions forcées, avec le souhait qu’un texte final soit présenté à la 61ème session de la Commission.

La FIDH accueille aussi le renouvellement pour deux ans du mandat du groupe de travail chargé d’examiner les options concernant l’élaboration d’un Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. La FIDH souhaite néanmoins que le mandat de cet groupe de travail soit renforcé et que l’élaboration dudit Protocole débute dans les plus brefs délais.

La FIDH se félicite de la décision inédite de la Commission relative à la responsabilité en matière des droits de l’homme des sociétés transnationales et autre entreprises. Cette décision, présentée par 13 pays de régions différentes, demande au Haut-Commissariat aux droits de l’homme d’établir un rapport définissant la portée et le statut juridique des initiatives et des normes existantes dans ce domaine, ainsi que du projet de normes de la Sous-commission (Résolution 2003/16). La FIDH encourage en ce sens le Haut Commissariat à considérer prioritairement ce dernier document, en reconnaissant son importance fondamentale en la matière.

La FIDH déplore en revanche que le Brésil ait renoncé à présenter le projet de résolution relatif aux discriminations en raison de l’orientation sexuelle. Elle réaffirme que si la Commission continue à être silencieuse sur les discriminations en raison de l’orientation ou identité sexuelles, cela reviendrait à maintenir hors du champ de protection des droits de l’homme un segment de la population particulièrement exposé aux violations des droits de l’homme et cela serait un échec de l’organe principal des Nations Unies chargé de la protection des droits de l’homme [3]. La FIDH encourage le Brésil à présenter cette résolution lors de la prochaine session et les mécanismes spéciaux de la Commission à prendre systématiquement en considération cette question dans le cadre de leurs mandats.

La FIDH regrette également l’adoption d’une résolution présentée par la Chine (au nom du « linke-minded group » -littéralement « Groupe des Etats animés du même esprit »), portant sur les droits et responsabilités de l’homme. Cette résolution a pour seuls buts de détourner la responsabilité première des Etats de respecter, promouvoir et protéger les droits de l’Homme, d’affaiblir les mécanismes indépendants de défense des droits de l’homme ainsi que la liberté d’expression et d’association.

La FIDH dénonce également l’affaiblissement du mandat de la Sous-commission, puisque cet organe devra dorénavant obtenir l’aval de la Commission avant d’entreprendre une activité nouvelle et se voit exhortée de ne pas s’attribuer des fonctions de surveillance. La capacité de sortir certaines causes de l’oubli et du silence est désormais presque entièrement dévolue aux Etats de la Commission.

Les difficiles négociations qui ont précédé l’adoption de la résolution sur les droits de l’homme et les procédures spéciales (19 amendements avaient été présentes par Cuba) et les attaques visant certains Rapporteurs Spéciaux et leurs mandats sont aussi des signes fort préoccupants.

« Face aux graves violations des droits de l’Homme tues à cette session de la Commission, aux attaques dirigées contre les résolutions sur les pays et les mécanismes spéciaux, la FIDH s’engage à continuer à déployer « l’optimisme de la volonté malgré le pessimisme de la connaissance » (A. Gramsci). Nous continueront à alimenter la Commission, à dénoncer les violations, les attaques contre les défenseurs, à saisir les mécanismes spéciaux, à participer au développement de nouvelles normes. Les appels que nous y lançons sont parfois nos seules armes. Nous devons veiller à ce qu’ils ne soient pas étouffés » a conclu Sidiki KABA, Président de la FIDH.

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