Bamako + 5 : enjeux et perspectives

Discours d’ouverture de Me Sidiki Kaba, Président de la FIDH.

La FIDH souhaite vivement profiter de ce cinquième anniversaire de la Déclaration de Bamako pour réaffirmer son exemplarité et son importance en matière de promotion et de protection des droits de l’Homme au sein mais également au delà de l’espace francophone.

La FIDH souhaite vivement profiter de ce cinquième anniversaire de la Déclaration de Bamako pour réaffirmer son exemplarité et son importance en matière de promotion et de protection des droits de l’Homme au sein mais également au delà de l’espace francophone.

Ce texte fondateur adopté en 2000, pour lequel la FIDH s’était mobilisée depuis de nombreuses années, a christalisé les ojectifs de la Charte de la Francophonie en engageant les Etats membres sur des principes fondamentaux, tels que la consolidation de l’Etat de droit, la tenue d’élections libres, fiables et transparentes, la promotion d’une culture démocratique intériorisée et le plein respect des droits de l’Homme.
Mieux encore, la Déclaration a établi un mécanisme d’évaluation de la mise en oeuvre de ces engagements dans l’espace francophone et rendu possible la prise de sanctions en cas de graves ruptures des principes fondamentaux par un Etat membre.

L’adoption de la Déclaration de Bamako avait ainsi été saluée à juste titre par l’ensemble des organisations de défense des droits de l’Homme. Cinq années plus tard, il est important de rendre compte de la pertinence de ce texte, de la résonnance que son message devrait avoir au sein de la communauté internationale, mais aussi des améliorations à apporter pour favoriser sa mise en oeuvre effective parmi les Etats qui ont le français en partage.

Il faut préserver l’intégrité de la Déclaration de Bamako.

Dans un premier temps, la FIDH souhaite insister sur le fait que les Etats de la communauté francophone doivent préserver l’intégrité de la Déclaration de Bamako.
En effet, à lire attentivement les dispositions de la Déclaration de Bamako, on comprend leur pertinence au regard des graves violations des droits de l’Homme qui perdurent au sein des Etats membres de l’OIF : coups d’Etats, élections tronquées, musèlement de la presse, harcèlement des défenseurs des droits de l’Homme, violations des libertés fondamentales au prétexte de la lutte contre le terrorisme. De graves situations de conflits ont également éclaté comme en Côte d’Ivoire et au Togo. La culture de l’impunité est toujours de mise.
A regard de la sombre actualité des droits de l’Homme dans l’espace francophone, la FIDH considère que les engagements pris par les Etats en 2000 n’ont pas a être modifiés mais bien réaffirmés, et que le 5ème anniversaire de la Déclaration de Bamako doit en être l’occasion.
L’intégrité de la Déclaration de Bamako doit également être préservée compte tenu de l’importance de ses dispositions relatives à l’évaluation de la situation des droits de l’Homme dans l’espace francophone et de l’existence de mécanismes d’interpellation de l’OIF en cas de grave rupture des engagements pris les Etats membres.
Depuis 2000, les ONG, notamment la FIDH, se sont appropriés ces mécanismes de suivi des engagements des Etats membres. La FIDH a ainsi en permanence informé le Secrétaire général de l’OIF de la situation des droits de l’Homme dans l’espace francophone, en lui adressant systématiquement ses rapports d’enquête, appels urgents, communiqués et autres articles. Cet exercice permet au Secrétaire général et à son équipe de compléter voir de confronter les informations qu’il reçoit des Etats membres, et se conformer ainsi en toute objectivité à son mandat défini au Chapitre 5.1 de la Déclaration de Bamako.
La FIDH a également à maintes reprises interpellé les instances de l’OIF en cas de rupture de la démocratie ou de graves violations des droits de l’Hommme au sein de ses pays membres pour demander la mise en oeuvre de sanctions, conformément au Chapitre 5.2 de Bamako. Ces interpellations ont indéniablement contribué à des prises de position importantes de l’OIF - notamment la suspension provisoire de certains pays de ses instances de décision - qui ont eu une résonnance considérable en son sein et qui ont pu être moteurs de réactions équivalentes de la part de la communauté internationale.
Le crédit acquis par l’OIF ces cinq dernières années sur le thème des droits de l’Homme est donc sans conteste le fruit d’une coopération fertile entre ses instances dirigeantes et les représentants de la société civile nationale et internationale. La FIDH ne manque pas ici de rappeler l’acuité de l’action du Sécrétaire général de l’OIF qui a su intégrer les organisations de défense des droits de l’Homme parmi ses interlocuteurs. A cet égard, la FIDH s’est félicitée de l’obtention en 2005 du Statut d’observateur au sein de votre organisation, permettant d’inscrire sa coopération, qu’elle entend critique et constructive, dans la continuité. Elle s’est également félicité d’avoir contribué à la mise en place du premier Forum des ONG qui s’est tenu en marge du Xème sommet de la Francophonie.
La FIDH est ainsi convaincue que la vigilence des ONG quant au respect des droits de l’Homme entretient une dynamique au sein de l’OIF qui lui est profitable.

Il faut renforcer l’effectivité les mécanismes de mise en oeuvre de Bamako

Cela dit, la FIDH est néanmoins persuadée que l’action de l’OIF et sa résonnance nouvelle sur la scène internatonale en matière des droits de l’Homme pourraient être bien plus importantes si les mécanismes de surveillance de la mise en oeuvre des engagements de Bamako étaient utilisés de manières plus transparente et efficace.

En effet, si les ONG ont la possibilité désormais d’informer en permanence le Sécrétaire Général de l’OIF de la situation de la démocratie, des droits et des libertés dans l’espace francophone, il est indispensable que l’OIF relaye au mieux les préoccupations des organisations de défense des droits fondamentaux en interpellant plus systématiquement les Etats membres sur d’éventuelles violations des droits de l’Homme ; en rendant plus visible l’activité des ONG au sein de la Communauté francophone ; et en renforçant la capacité d’action des défenseurs des droits de l’Homme.

Par ailleurs, le mécanisme d’urgence prévu par le Chapitre 5 de Bamako doit également trouver meilleure application pour plus d’efficacité. Il faut tout d’abord systématiser les accusés receptions des saisines de l’OIF par les ONG sur un cas de rupture de la démocratie ou en cas de violations graves des droits de l’Homme et maintenir une information constante avec ses interlocuteurs tout au long du processus d’examen de la situation. Plusieurs alertes de la FIDH à l’OIF sur des situations de crise au sein de la zone francophone sont encore aujourd’hui sans réponse.

Il est essentiel également que les membres du Conseil Permanent de la Francophonie, chargés d’établir l’existence d’une situation de crise, utilisent de façon plus systématique leur droit de sanctions, et ce sur un plus long terme. Si par exemple les récentes suspensions de la Mauritanie et du Togo des instances de décision de l’OIF étaient parfaitement justifiées au regard des situation de rupture de la démocratie, la levée quasi-immédiate de ces mesures l’étaient beaucoup moins et amenuisait la portée de l’avertissement.

Enfin, toutes les actions de médiations, les missions d’information et de contacts menées par l’OIF au titre du Chapitre 5 de la Déclaration de Bamako aux fins de prévention des violations des droits de l’Homme et de règlement des conflits doivent pouvoir faire l’objet de rapports publics. La crédibilité de ses mesures méritent leur transparence.

Il faut porter le message de Bamako auprès d’autres instances internationales

La réflexion qui - comme l’espère la FIDH - doit mener les Etats de la Francophonie lors de ce symposium à considérer la pertinence de la Déclaration de Bamako et le renforcement de ses mécanismes de mise en oeuvre, doit également pouvoir trouver écho au niveau international.
Au moment où la communauté internationale se penche sur la réforme de l’ONU et dessine les contours du nouveau Conseil des droits de l’Homme qui doit remplacer la Commission, la FIDH considère que les Etats de l’OIF doivent faire entendre d’une même voix les valeurs qu’ils ont en partage, à commencer par celles visées dans la Déclaration de Bamako.
Ainsi, la FIDH considère essentiel que les Etats qui composent l’OIF et qui ont soutenu à Bamako la mise en place d’un système d’évaluation constante de la situation des droits de l’Homme dans l’espace francophone interviennent de concert pour soutenir la proposition d’un Conseil des droits de l’Homme qui puisse se réunir de manière permanente, afin de créer l’espace suffisant pour répondre aux nombreux enjeux d son mandat, que ce soit l’examen de situations dans des pays et le traitement adéquat de celles-ci, l’élaboration de nouvelles normes, la supervision de leur mise en oeuvre par tous en étroite coopération avec les ONG indépendantes de défense des droits de l’Homme. Ceci permettait au Conseil de se saisir des situations d’urgence avec la plus grande flexibilité requise.
Par ailleurs, l’idée acceptée par les Etats francophones en 2000 qu’un pays ne pouvait valablement se poser en critique ou en évaluateur des autres Etats que s’il acceptait lui-même d’être évalué et s’il montrait sa volonté de travailler à améliorer la situation des droits de l’homme sur son territoire, doit être relayée au sein des instance de l’ONU. La FIDH invite ainsi les Etats membres de l’OIF à confirmer cette exigence en s’assurant que les membres du Conseil de l’ONU respectent un certain nombre d’engagements en matière de promotion et de protection des droits de l’Homme : invitation permanente des procédures speciales des Nations Unies ; démonstration de leur volonté de mettre en oeuvre les droits de l’Homme en ratifiant les principaux instruments de protection des droits de l’Homme internationaux et régionaux, en les mettant en oeuvre et en faisant rapport de manière régulière sur leur mise en oeuvre devant les organes conventionnels. La FIDH appelle les Etats membres de l’OIF à l’exemplarité.

La FIDH considère également que l’OIF doit avoir son mot à dire dans la réflexion actuelle sur la mise en place au sein du Conseil d’un mécanisme d’évaluation par les pairs, à l’image du Conseil Permanent de la Francophonie. A cet égard, la FIDH souhaiterait que les Etats francophones, par leur expérience, insistent pour que l’évaluation de la situation des droits de l’Homme et sa qualification reste du mandat des experts indépendants et autres procédures spéciales de l’ONU, et que le Conseil des droit de l’Homme concentre ses activités sur les modes de réaction efficaces aux violations constatées par ceux-ci.

Enfin, comme nous l’avons souligné précédement, le suivi de la mise en oeuvre des engagements de Bamako a permis d’affirmer l’importance du travail des ONG indépendante dans l’évaluation de la situation des droits de l’Homme au sein de la communauté des Etats francophones. La participation de la société civile aux mécanismes de protection des droits de l’Homme des Nations unies ne semble pas être remis en cause par l’actuelle réforme, en particulier au sein d’un futur Conseil des droits de l’Homme. Néanmoins, la FIDH considère que les Etats francophones doivent plaider pour la dépolitisation du mécanisme d’accréditation des ONG au sein du Conseil prônée par le rapport Cardoso, en se rapprochant du modèle adopté par l’UNESCO, qui pourrait être réalisée en confiant l’accréditation à un comité d’experts (au lieu d’un comité composé d’Etats), ce qui permettrait d’éliminer les Gongos (fausses ONG liées de fait aux Etats) et de dépasser le blocage actuel de certains Etats à la participation d’organisations indépendantes de défense des droits de l’Homme de leur pays aux travaux des Nations unies.

Pour conclure, la FIDH souhaite réaffirmer que la Déclaration de Bamako adoptée il ya 5 ans par les Etats membres de l’OIF constitue un texte de référence. Les engagements pris par les Etats en matière de protection des droits de l’Homme dans l’espace francophone sont exemplaires. Mais un engagement n’a de valeur que s’il est suivi d’actes et de faits. Un engagement, c’est un objectif, un comportement, une ambition. Cette ambition, les Etats francophones doivent se l’approprier et en faire profiter la communauté internationale dans son ensemble, notamment à l’aune des grandes réformes des institutions de l’ONU.

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