Coupe du monde de football au Qatar : protéger les droits humains, dédommager les victimes

Karim Jaafar / AFP

18 octobre 2022 - La Coupe du monde de la Fédération internationale de football association (Fifa), l’un des plus grands événements sportifs au monde, devrait être utilisée pour faire progresser les droits humains, et non pour les faire reculer. La Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) appelle la Fifa et les 14 sponsors de la Coupe du monde 2022 à s’engager concrètement en faveur des droits humains et à apporter de réels dédommagements aux victimes des chantiers de construction.

Le 20 novembre, le premier coup de sifflet marquera le coup d’envoi de la Coupe du monde de football de 2022 au Qatar. Afin d’accueillir un événement d’une telle ampleur, le pays a entrepris des projets de construction à grande échelle qui ont fait apparaître de nouveaux stades, hôtels, routes, aéroports, et autres. Cependant, derrière l’euphorie planétaire de l’un des événements sportifs les plus suivis au monde, se cachent des milliers de mort·es, des violations récurrentes des droits fondamentaux et un bilan écologique désastreux. Que le Qatar puisse être choisi comme pays hôte d’un tel événement est particulièrement aberrant, considérant le régime dictatorial héréditaire de l’émir ainsi que le sort des travailleur·ses migrant·es, des femmes, des personnes LGBTQIA+ et des dissident·es politiques, dont les droits les plus fondamentaux sont systématiquement violés.

La FIDH regrette que cette manifestation fédératrice ait lieu une fois de plus dans un pays où les droits humains sont systématiquement bafoués. Elle exhorte le Qatar à mettre un terme à ces violations des droits humains, et appelle la Fifa et les sponsors de la Coupe du Monde à lever le voile sur ces violations systématiques et à prendre la responsabilité de garantir la réparation des victimes de l’événement.

Le Qatar, compétiteur dans une Coupe du monde de violations des droits humains

Déjà en 2013, dans une lettre adressée à Joseph Sepp Blatter, ancien président de la Fifa, la FIDH dénonçait la mort de plus de 350 ouvrier·es impliqué·es dans la construction des infrastructures de la Coupe du monde depuis fin 2010. Près de dix ans plus tard, on estime que plus de 6 500 personnes sont mortes en lien avec les conditions de travail dans les chantiers de construction. En dépit de ce bilan vertigineux, le Qatar refuse toujours d’enquêter sur les causes du haut taux de mortalité de ces travailleur·ses, dont la plupart étaient jeunes et en bonne santé. 95 % de la main-d’œuvre est constituée de travailleur·ses migrant·es, principalement originaires d’Asie de l’Est et du Sud, soumis·es à des conditions de travail extrêmement précaires.

Des frais de recrutement élevés, des confiscations de passeports, des promesses de salaires désavouées à l’arrivée, des rythmes de travail insoutenables et des conditions d’hébergement délétères avec des camps de travail surpeuplés, sans eau ni électricité, ont été documentés. La loi qatarie interdisant aux travailleur·ses de former des syndicats, ils·elles ne sont pas protégé·es lorsqu’ils·elles dénoncent ou manifestent contre leurs conditions de travail et courent le risque d’être arrêté·es ou expulsé·es. En août 2022 par exemple, un nombre de 60 travailleur·ses qui se sont rassemblé·es pour réclamer le paiement de leurs salaires ont été expulsé·es ou placé·es en détention par le gouvernement du Qatar. Tandis que le pays a collaboré avec des organisations internationales de défense des droits du travail telles que l’Organisation internationale du travail (OIT), notamment pour réformer les aspects les plus durs du système de parrainage imposé aux travailleur⋅es étranger⋅ères, les changements ne sont pas encore appliqués efficacement (voir le rapport annuel de l’OIT sur le travail forcé).

« La Coupe du monde est censée être un moment de joie, de cohésion et de rassemblement pour tout le monde, nous ne pouvons pas accepter qu’elle soit construite sur la douleur, la pauvreté et les abus. »

Alice Mogwe, présidente de la FIDH

Le fait que le Qatar accueille la Coupe du monde ne peut être défendu puisqu’il confère au pays une aura internationale malgré la persistance de graves violations des droits humains. Outre le mépris des droits humains des travailleur·ses, les femmes au Qatar sont toujours soumises à de nombreuses formes de discrimination, notamment en ce qui concerne le système de tutelle qu’elles endurent. Elles doivent obtenir l’autorisation de leurs tuteurs masculins pour se marier, étudier à l’étranger avec des bourses d’État, occuper divers emplois publics, voyager à l’étranger et bénéficier de soins de santé reproductive. Les travailleuses domestiques sont particulièrement touchées par les mauvaises conditions de travail. Les personnes LGBTQIA+ sont victimes de répression. L’homosexualité est criminalisée, le Code pénal prévoyant une peine pouvant aller jusqu’à sept ans d’emprisonnement pour les relations entre personnes de même sexe. De même, les défenseur·es des droits humains font l’objet de mesures répressives puisqu’ils et elles risquent l’interdiction de voyager, la détention arbitraire, voire même la disparition forcée, de sorte qu’ils et elles deviennent des prisonnier·es d’opinion.

Par ailleurs, l’impact environnemental de la tenue d’un tel événement au milieu d’une région désertique est largement sous-estimé par les organisateur·ices. Des systèmes de climatisation gigantesques sont installés pour chacun des stades construits. Alors que les organisateur·ices se sont engagé·es à organiser la première Coupe du monde « neutre en carbone », ce qui signifie que toutes les émissions seraient contenues et compensées, les émissions prévues ont été déclarées comme ayant été clairement sous-estimées par rapport à l’empreinte générée par les infrastructures extrêmement énergivores. Il semble que le Conseil olympique d’Asie prenne exemple sur la Fifa, puisqu’il a approuvé à l’unanimitéla candidature de l’Arabie saoudite à l’organisation des prochains Jeux asiatiques d’hiver, qui se dérouleront également dans un désert.

Les partenaires et sponsors de la Fifa doivent agir conformément à leurs engagements

Les partenaires et sponsors de la Fifa ont une responsabilité évidente dans la mobilisation de leur influence afin d’améliorer la situation et d’inciter la Fifa et le gouvernement du Qatar à indemniser les travailleur·ses et les familles des victimes qui ont subi les violations perpétrées dans le cadre de la préparation de l’événement. C’est ainsi que la Fédération française de football (FFF) a suggéréla création d’un fonds de compensation pour toutes les victimes d’incidents liés au travail. Selon les principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits humains (UNGPs), les entreprises doivent mettre en œuvre un processus de diligence détaillé par lequel elles identifient les impacts sur les droits humains associés à leur chaîne de valeur et adopter des mesures pour mettre fin à ces derniers. Cette exigence deviendra bientôt une obligation légale pour les entreprises européenneset une partie des entreprises opérant en Europe, avec des conséquences légales en cas de manquement.

La Fifa, tout en prétendant être alignée avec les Principes directeurs depuis 2016, suite aux accusations de corruption généralisée fin 2015, a une responsabilité indéniable dans le respect des droits humains dans le cadre de ses opérations et aurait dû prévenir les violations des droits humains lors de la préparation de l’événement. Dans le contexte actuel où elle n’a pas réussi à le faire, il est désormais évident que la Fifa devrait contribuer à la réparation des violations des droits humains qui ont eu lieu. Non seulement la FIFA doit respecter les droits humains qui sont internationalement reconnus, mais elle doit également se conformer à son propre règlement et politique interne.

De plus, la Fifa, ses sponsors et partenaires devraient faire usage de leur influence pour pousser le Qatar à poursuivre les réformes législatives nécessaires pour protéger les travailleur·ses migrant·es, les femmes et les personnes LGBTQIA+, car les efforts déployés sont à ce jour insuffisants.

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