FIDH ::: : XXXV ::: : CONGRESO | CONGRESS | CONGRES - QUITO- 2-6 March, 2004-

Rapport moral de Sidiki Kaba, Président de la FIDH

Vous comprenez aisément le sentiment de fierté que j’éprouve aujourd’hui en m’adressant à vous, qui plus est sous la coprésidence de mon prédécesseur notre grand ami Patrick Baudouin, et de la lauréate du Prix Nobel de la paix 2003, notre chère Shirin Ebadi. Je tiens très sincèrement à la remercier de son exceptionnelle mobilisation à nos côtés, à Paris, Bruxelles, à Mumbaï, et encore voilà quelques jours, à Bogota puis ici, à Quito. Shirin, je veux te dire notre immense fierté de te compter dans nos rangs ; ton combat est le nôtre, et ton Prix nous assure que notre combat n’est pas vain. A nouveau, en notre nom à tous, je t’en remercie chaleureusement.

Il y a trois ans, à Casablanca (Maroc), lors de notre 34ème congrès, vous m’avez fait l’honneur de me porter à la présidence de la FIDH par un vote unanime. C’était une première dans la longue histoire de notre organisation de porter son choix sur un militant du Sud, en l’occurrence un Africain. J’ai encore en mémoire l’immense émotion qui m’avait saisi, doublée d’un sentiment de crainte lié à l’exercice de cette lourde responsabilité.

Vous avez, au même moment, élu à mes côtés une équipe d’hommes et de femmes de qualité représentant toutes les aires géographiques et culturelles pour traduire en actes les ambitions que j’avais déclinées devant vous à travers mon programme d’actions. Je voudrais remercier très sincèrement chacune et chacun pour le soutien sans faille que vous m’avez apporté.

C’est aujourd’hui l’heure du bilan.

Auparavant, je voudrais remercier très chaleureusement nos trois ligues colombiennes, le Colectivo de Abogados, le Comité Permanente et l’ILSA, dont les responsables, Alirio Uribe, Camilo Castellano, Jairo Ramirez, n’ont ménagé aucun effort pour la réussite de ce congrès.

Mes remerciements s’adressent également à l’INREDH, son Président Patricio Benálcazar et son équipe, au CEDHU et sa Présidente, Elsie Monge, au CDES, et à tous nos amis équatoriens sans la mobilisation exceptionnelle desquels le Congrès ne se serait pas tenu.

Qu’avons-nous fait ?

Je crois pouvoir affirmer que, durant ces trois années, la FIDH a renforcé sa capacité de protection des victimes : n’est-ce pas là le plus essentiel de ce qui nous réunit ? La FIDH a étendu sa sphère d’influence et augmenté sa crédibilité. Son identité d’ONG internationale s’est affermie. Sa visibilité est devenue plus grande. Son impact public et politique, au service de son mandat général de protection des victimes, de soutien aux ligues et de défense des droits, de tous les droits, est plus visible.
Elle a accompli un nombre de plus en plus croissant de missions dans les domaines les plus divers et dans toutes les régions, tentant d’adapter ses actions au plus près des besoins exprimés par ses membres et partenaires.
Elle a innové dans son organisation interne en créant en mars 2001, des équipes géographiques et thématiques regroupant membres du Bureau international, responsables de ligues et chargés de mission travaillant en synergie avec l’appui du secrétariat.
L’efficacité de celui-ci a largement contribué aux résultats que nous avons obtenus. Je veux aussi en profiter pour rendre hommage aux chargés de mission qui mettent bénévolement leurs compétences au service des actions de la FIDH.
Elle a revigoré sa démocratie interne et son fonctionnement quotidien fondé sur la collégialité et la conjugaison des compétences entre membres du Bureau, du Secrétariat, des ligues, et chargés de mission. L’expérience nous a confirmé l’immense valeur ajoutée
Elle a accru sa proximité avec les ligues dans le choix quotidien des stratégies et des actions à mener.
Elle a augmenté son budget sur la période traduisant une hausse du volume d’activités.

Voici quelques indicateurs quantitatifs pour illustrer mes propos.

Les opérations sur le terrain

162 opérations, soit en moyenne sur trois ans plus d’une activité par semaine dans un pays différent.
Ces opérations incluent : 110 missions d’enquête ou d’observation judiciaire, et 52 activités dans le cadre des programmes de coopération juridique (séminaires, missions de suivi etc).

Les publications, outils d’alerte, d’analyse et d’information

La FIDH a diffusé sur trois ans un total de 1889 publications, allant du rapport annuel de l’Observatoire, dont l’élaboration requiert trois mois de travail, au simple communiqué de presse en passant par le rapport de mission. Soit une moyenne de plus de douze publications par semaine.

Ce chiffre inclut :
 1050 communiqués de presse
 426 appels urgents concernant des défenseurs en danger
 299 rapports (rapports de mission ou de situation, y compris les rapports alternatifs pour les Nations Unies),
 70 numéros de La Lettre versions papier et des Newsletters informatiques.

L’évolution sur plusieurs années est parlante. Pour prendre l’exemple des communiqués de presse, la FIDH est passée de la diffusion de 130 communiqués en 2000 à 165 en 2001, 382 en 2002, 503 en 2003 !

Les saisines des instances internationales et régionales et les saisines d’instances judiciaires

Ces indicateurs sont importants car les actions concernées requièrent le plus souvent un suivi auprès de l’instance sollicitée.

En trois ans, le FIDH a saisi les organisations intergouvernementales ou s’est impliquée sur environ 500 dossiers - allant de l’intervention écrite à la Commission des droits de l’Homme de l’ONU au suivi de Conférences mondiales : environ 140 en 2001, 160 en 2002, 200 en 2003. La période traduit une implication croissante de la FIDH auprès des organisations régionales (de 40% des dossiers en 2001 et 2002 à 50% en 2003) : les interventions auprès des organisations régionales non-européennes passent de 30% en 2001 à 54% en 2003, malgré une augmentation constante des interventions auprès des instances européennes sur la période.

La FIDH a également accru son activisme judiciaire : en trois ans, la FIDH a ainsi multiplié par deux le nombre de dossiers dans lesquels elle est impliquée devant les tribunaux, en vue de la répression des auteurs de crimes internationaux. Il s’agit aussi de la Cour pénale internationale, depuis que la FIDH l’a saisie de sa première plainte publique, le 13 février 2003.

L’impact auprès de l’opinion publique et des médias : quelques indicateurs

Fréquentation du site internet de la FIDH : en 2001, 10000 connections (requêtes de pages vues) par jour en moyenne, avec des pointes à 30000 ; depuis début 2002, 18000 requêtes par jour en moyenne, des pointes à 30000. Les requêtes quotidiennes proviennent de plus de 100 pays. Le site est en cours de réfection totale pour améliorer encore cette progression.

Citations dans les médias en augmentation et diversification constantes : depuis trois ans, les publications et actions de la FIDH donnent lieu systématiquement à des dépêches d’agence internationale de presse ; le nombre de citations dans le Monde se situait autour de 50 citations en 2001, autour de 70 en 2003 ; le nombre de médias répercutant nos actions s’est considérablement élargi, incluant régulièrement des médias anglophones américains (citations dans le New York Times, un article dans le Financial Times).

L’évaluation de l’action de la FIDH

L’audit de l’action de la FIDH sur la période 2001/2002 a conclu à une évaluation très positive des choix stratégiques, de l’impact, de l’organisation interne et de la gestion.

Incontestablement, pendant les trois dernières années, la FIDH s’est trouvée au cœur de l’action. Mais l’on peut ne se satisfaire de ce seul bilan. Tant reste à faire qui requiert de notre part imagination, audace et exigence permanente d’adaptation de nos méthodes d’action, d’organisation, de financement pour faire face aux défis majeurs et complexes qui restent à relever.

Car, chers amis, quel est ce monde où nous vivons ?

Notre monde est marqué par une rupture profonde avec une ère porteuse d’espoir pour la démocratie et les droits de l’Homme qu’inaugurait la chute du Mur de Berlin en 1989 et la disparition de l’ex-URSS. La survenance d’un événement majeur en ce début de millénaire va porter un coup d’arrêt brutal aux processus de consolidation de l’Etat de droit garant des libertés individuelles et collectives, pour céder petit à petit la place à un état policier producteur de violences et d’arbitraire.

« Guerre préventive », « anti-terrorisme », sécuritarisme

Les attentats du 11 septembre 2001 perpétrés par un avion-suicide contre les principaux symboles de l’hyperpuissance américaine (le World Trade Center et le Pentagone) ont provoqué dans le monde une onde de choc dont les conséquences bouleversent l’ordre international et ouvrent à l’échelle planétaire une période de recul du droit international, de régression de libertés aggravé par l’instrumentalisation de la lutte antiterroriste, de criminalisation, d’aggravation des inégalités dans un contexte de mondialisation néolibérale dévastatrice en particulier pour les plus vulnérables.

L’ordre international issu de la seconde guerre mondiale est fondé sur le respect universel des valeurs de la démocratie et des droits de l’homme. C’est cet ordre-là qui est mis en cause par l’administration américaine qui, dans sa « croisade » contre le « mal » va mettre en avant la théorie de la guerre préventive qu’elle va expérimenter en Afghanistan et en Irak. Dans les deux cas, le Droit de la Force va l’emporter sur la Force du Droit.

Nous avons été tous témoins voire acteurs, sollicités que nous fûmes par leur retransmission en quasi-direct, par toutes les télévisions du monde des images des conflits. La guerre livrée le 7 octobre 2001 par les Etats-Unis contre l’Afghanistan, identifié comme le sanctuaire d’Oussama Ben Laden et du réseau Al Qaida, présumés responsables des attentats incriminés, va se dérouler comme un acte de vengeance. L’exécution de cette guerre avec un arsenal militaire impressionnant a été perçu dans le monde, comme un terrifiant avertissement à tous les États notamment ceux expressément désignés comme constituant « l’Axe du Mal », à savoir : l’Irak, l’Iran, la Syrie , la Libye, le Yemen, la Corée du Nord, la Somalie.

La violence du massacre de plus de 400 prisonniers lors de leur soulèvement au port de Qalae Jhangi reste encore un souvenir vivace dans nos mémoires. De même que la mort de centaines de victimes lors de la prise de Tora-Bora.

Quant aux 660 prisonniers de 42 nationalités transférés à la Baie de Guantanamo, ils sont détenus dans cette base militaire dans des conditions inhumaines et indignes.
Ils n’ont aucun statut juridique, aucun droit, les Etats-Unis leur refusant le statut de prisonniers de guerre les plaçant sous la protection des conventions de Genève du 12 août 1949. Après deux ans de détention, ils n’ont été ni inculpés ni jugés. Ils sont encore dans l’ignorance des charges qui pèsent sur eux. Et ils n’ont accès ni à un avocat ni à leurs proches parents. Cette situation est inacceptable.
Elle est d’autant plus inacceptable que s’ils devaient être jugés, ils le seraient devant des tribunaux militaires régis par des procédures spéciales au cours de procès secrets se déroulant à huis-clos sur des navires militaires ou des bases militaires avec des juges militaires rendant des décisions sans appel en violation flagrante du droit à un procès juste et équitable avec les garanties procédurales y afférentes reconnues à tous justiciable quelque soit l’ampleur des charges qui pèsent sur lui. Nous sommes fiers de compter au sein de la FIDH le Centre des droits constitutionnels, l’ONG américaine qui mène la bataille judiciaire jusque devant la Cour suprême fédérale américaine, pour le droit de chacun aux droits.

La guerre illégale et illégitime que les Etats-Unis ont déclenché contre l’Irak en mars 2003 est une illustration parfaite du primat du Droit de la Force sur la Force du Droit. En l’absence de l’aval des Nations Unies dont le conseil de Sécurité est compétente en la matière, les Etats-Unis ont mené contre l’Irak une guerre effroyable (« le choc et l’effroi », disent-ils) risquent d’être désastreuses pour ce pays et la région.

Il est désormais avéré que les raisons officielles invoquées pour justifier cette guerre à savoir la détention par le régime irakien d’armes de destruction massive (armes biologiques, chimiques et bactériologiques) et son lien présumé avec Al Qaida étaient fausses !
Si la Coalition anglo-américaine a gagné la guerre , sans surprise, elle peine à gagner la paix. Celle-ci s’éloigne chaque jour davantage depuis la fin officielle de la guerre. L’Irak s’enfonce dans la violence qui fait de plus en plus de morts tandis que la Coalition, en tant que puissance occupante, se montre incapable d’assurer la stabilité, et les besoins de base des populations en nourriture, eau potable, électricité... en violation flagrante de leurs obligations humanitaires internationales découlant des conventions de Genève.

Nous ne pouvons que nous réjouir de la chute de Saddam Hussein, dictateur génocidaire dont nous étions bien seuls à dénoncer les crimes lorsque les pays occidentaux (les Etats Unis, la France...) lui apportaient leur plein soutien.

Mais la chute de Saddam Hussein ne saurait légitimer à posteriori cette guerre qui est malheureusement en train d’accentuer jour après jour les lignes de fracture ethnique identitaire et religieuse au sein des populations irakiennes.

L’exhibition universelle de Saddam Hussein après sa capture, sur les écrans de télévision du monde entier, avec l’air hagard et perdu d’un « clochard », est indigne et contraire au droit international humanitaire.
L’homme, fût-il un tyran pour n’avoir pas hésité à utiliser les gaz chimiques contre les Kurdes en mars 1988 à Halabja, à exposer son peuple à trois guerres meurtrières et à une dictature implacable a néanmoins le droit d’être traité avec humanité et dignité et de bénéficier du droit à un procès juste et équitable devant une juridiction compétente et indépendante.
L’exemplarité du procès de Saddam Hussein n’aura de vertu pédagogique pour le peuple irakien et le monde que s’il se déroule sur le sol irakien avec les garanties internationales les plus sérieuses, que n’offre pas le tribunal créé par le Conseil de gouvernement irakien le 10 décembre dernier..

Ce monde où nous vivons est bien celui de la régression des libertés dans un contexte international de lutte anti-terroriste.

Nous devons ici l’affirmer avec force : le droit à la sécurité est une liberté fondamentale de tout être humain. Et si l’on ne sait pas en droit international ce qu’est le « terrorisme », on sait en revanche ce que sont les attaques délibérées contre les populations civiles, infractions graves au droit international humanitaire et, hélas, trop souvent, crimes internationaux tels que définis dans le statut de la Cour Pénale internationale. Répétons-le avec force ici : la FIDH condamne ces actes avec la plus grande vigueur.

Mais nous récusons les amalgames et les manichéïsmes ! La responsabilité pénale individuelle, pleine et entière, des criminels ne saurait éluder la responsabilité internationale de l’Etat au regard de l’obligation qui lui incombe, et à lui seul, de garantir le respect de tous les droits pour tous !

Pourtant, le choix désormais offert au citoyen est l’abandon de pans entiers de sa liberté en contrepartie, largement hypothétique, de sa sécurité. Or on constate que, dans de nombreux Etats depuis trente mois, le citoyen, sans avoir gagné l’une, sa sécurité, est entrain de perdre l’autre, sa liberté !

La quasi-totalité des Etats occidentaux se sont dotés de législations restrictives de libertés. Les « lois Sarkozy » du nom du ministre français de l’Intérieur constituent un bel exemple de cette dérive sécuritaire. Ces lois octroient des pouvoirs généraux plus étendus à la police habituée à fouiller les coffres des voitures, un quartier en entier... avec des mandats de perquisition plus élargie, une surveillance électronique étendue, une réactivation possible à tout moment du plan vigipirate créé en 1986. On peut citer également l’exemple de la Grande-Bretagne qui dispose de la législation anti-terroriste la plus large d’Europe qui autorise les écoutes téléphoniques, la surveillance des communications électroniques, l’enfermement dans des camps fermés en Ecosse des demandeurs d’asile et des enfants.

La lutte contre le terrorisme a bon dos. L’Europe se barricade et ferme ses frontières. Elle adopte, dans le cadre communautaire, des lois qui portent atteinte aux droits des migrants, demandeurs d’asile et des étrangers. Leur expulsion hors des frontières européennes s’est déroulée dans certains cas dans des vols charter, dans des conditions de brutalité, de maltraitance et d’inhumanité indignes d’un Etat de droit. Je pense à ce jeune congolais décédé dans le train d’atterrissage d’un avion d’Air France voilà quelques mois. Je pense à cette jeune nigérienne, Adamu Semira, qui a été asphyxiée par la technique du coussin appliquée par les gendarmes belges et qui ont été condamnés à des peines scandaleuses de sursis cette année par la justice.

Quant aux Etats du Sud ou de l’Est, la lutte contre le terrorisme est le suprême alibi pour réduire au silence les opposants, les syndicalistes, les défenseurs des droits de l’Homme et les autres acteurs de la société civile qui osent user de leur liberté critique d’opinion ou d’expression. La grande majorité de ces Etats opportunistes n’ont pas hésité à renforcer leur arsenal répressif en adoptant la définition la plus large du terrorisme pour mieux réprimer toutes les velléités de contestation.

En Colombie, en Géorgie, en Azerbaïdjan, en République Démocratique du Congo, au Cameroun, en Algérie, en Egypte, en Tunisie, au Maroc, au Zimbabwe, en Iran, en Mauritanie, en Birmanie, en Indonésie, en Malaisie, en Turquie... tout individu se prévalant des droits universellement garantis, peut, au regard de la loi, être accusé d’être terroriste et risquer d’être arbitrairement arrêté, détenu, torturé ou condamné à des peines privatives de liberté. S’il n’est détenu, il peut être porté disparu, assassiné ou contraint à l’exil.

Et ces pratiques sont désormais ratifiées, légitimées, dans un large dispositif de conventions et accords régionaux qui, tous, consacrent une réduction du niveau de protection des droits fondamentaux, et privilégient la coopération policière au détriment de la coopération judiciaire. Tous les appels à la vigilance, jusqu’à ceux émis par le Secrétaire général de l’ONU au Conseil de sécurité et à son Comité contre le terrorisme, sont restés lettre morte.

Certains Etats ont profité de l’ambiance internationale qui leur confère une sorte de blanc seing pour recourir à la peine capitale, au nom du sécuritarisme. Des exécutions capitales ont eu lieu à Cuba, au Liban, au Tchad ces derniers mois. Les exécutions capitales sont massivement pratiquées aux Etats Unis, en Chine, en Arabie Saoudite ou encore en Iran. La peine de mort reste encore dans l’arsenal répressif de près de quatre vingt Etats qui y recourent au mépris du respect du droit à la vie.

Les défenseurs des droits de l’Homme désignés comme les nouveaux criminels sont plus que jamais dans l’œil du cyclone sécuritariste. Les rapports de l’Observatoire de chacune de ces trois années écoulées ont mis à nu les formes brutales ou subtiles de la répression qui s’abat sur eux dans leur quête légitime de justice et de droits pour tous. Le prochain rapport annuel sera publié le 14 avril, et nous envisageons qu’il sorte simultanément à Paris, Genève, Dakar, Kuala Lumpur, Tunis et Bogota.

Persistance des conflits, règne de l’impunité

Notre monde reste marqué par la persistance des conflits, que le recul du Droit ne peut qu’encourager.

Le constat est accablant. Des conflits internes et internationaux sont légion, provoquant des violations massives et graves des droits de l’Homme.

La tragédie colombienne, nous le savons se poursuit.

Les chiffres, pour la seule année 2002, sont terrifiants :
35 000 morts violentes
4 524 assassinats pour raisons politiques
2 451 personnes tuées lors de massacres
2 931 enlèvements soit le taux le plus élevé au monde
1995 personnes menacés pour raisons politiques
17 défenseurs des droits de l’Homme et 251 syndicalistes tués et disparus.
plus de 350 000 personnes déplacées, ce qui porte le chiffre de personnes déplacées à près de 3 millions depuis 1985

Les excellents rapports de nos trois organisations membres en Colombie, démontrent l’aggravation de la situation avec la politique de « sécurité démocratique » du président Alavaro Uribe Velez à qui j’ai remis en mains propres les dits rapports lors de l’audience qu’il a accordée à la délégation de la FIDH dimanche dernier.

Sa solution ne peut être militaire. Il faut rejeter la confrontation armée préconisée par le président Uribe. Celle-ci ne fera qu’allonger la longue liste des victimes de cette tragédie. Seul un règlement global fondé sur un dialogue politique réunissant toutes les composantes du conflit et fondé sur l’impératif de justice pour toutes les victimes des crimes les plus graves, pourra résoudre ce conflit, . Il est donc temps de convoquer ce dialogue. Le peuple colombien a trop souffert.

Israël/Palestine.

Le conflit qui nous préoccupe le plus est aussi l’un des plus vieux au monde : celui qui oppose israéliens et palestiniens, et qui s’empêtre dans une violence inouïe depuis le déclenchement de la « seconde Intifada », suite à la visite controversée du général Ariel Sharon sur l’esplanade des mosquées, le 28 septembre 2000.

Evoquer le conflit israélo-palestinien, c’est évoquer les dérèglements révoltants de la communauté internationale, l’injustice sans cesse renouvelée et le sang comme couleur rémanente. C’est évoquer la violation permanente des Conventions de Genève de 1949. C’est aussi évoquer, parce que c’est une victoire de l’intelligence sur la mort, le lien fort, parfois entamé, mais jamais rompu et toujours salvateur entre ceux qui en ISRAEL et en Palestine maintiennent une définition de l’Humanité qui refuse la haine et s’appuie sur des principes communs. Ils sont présents au sein de la FIDH : le PCHR, l’ACRI, BET·SELEM et vont être renforcés par l’arrivée, je l’espère, d’autres organisations israéliennes et palestiniennes dont l’affiliation sera décidée par ce congrès.

Depuis 1948 et la décision de la communauté internationale de mettre en œuvre un plan de partage, la guerre n’a pas cessé.

Si l’on avait besoin de s’assurer que ce conflit n’a aucune solution militaire, il suffirait de rappeler les trois guerres successives et celle qui, sans dire ouvertement son nom est menée contre le peuple palestinien.

Après l’échec d’OSLO, le déclenchement de la seconde INTIFADA voit se manifester l’assignation à résidence dans des morceaux de territoire à un niveau jamais connu jusqu’alors, la réduction de la vie quotidienne en une sorte de jonglerie inhumaine ou travailler, se soigner, se déplacer, se marier requiert des préparatifs infinis dont la réalisation n’est jamais certaine. Les exécutions extra judiciaires, les destructions de maison, l’usage de la force dans le total mépris des victimes dites « collatérales », l’appropriation de terres et leur dévastation, l’enfermement arbitraire de milliers de prisonniers sont autant de crimes de guerre qu’il convient de qualifier et de traiter comme tels.

Disons le aussi sans détours et la brièveté du propos n’enlève rien, au contraire, à sa force : l’usage d’une violence aveugle à l’égard de la société israélienne constitue autant de crimes à considérer de la même manière.

Dire cela, ce n’est pas mettre sur un pied d’égalité ceux qui occupent et ceux qui souffrent de cette occupation, ce n’est pas ignorer le droit du peuple palestinien de résister, y compris les armes à la main contre cette occupation, c’est dire que toute cause est comptable des moyens qu’elle utilise et que, pour reprendre ce qui n’est pas qu’une formule, la fin ne justifie pas les moyens. C’est, enfin, rappeler que toute vie a le même prix et que c’est au nom de ce principe que nous revendiquons le droit de chaque citoyen palestinien à vivre dans un Etat de plein exercice, aux frontières aussi sûres et reconnues que celles de l’Etat d’ISRAEL.

Permettez moi de dire ici ma profonde admiration à tous ceux, palestiniens et israéliens, qui mènent ce combat là. Je pense, bien entendu, aux organisations membres de la FIDH mais aussi à tous ceux et à toutes celles qui concrètement mènent ce combat parfois au péril de leur vie ou de leur liberté.

C’est un hommage chaleureux que je veux rendre à ces palestiniens qui accueillent tous les volontaires du monde qui viennent dire, malgré les brimades des autorités israéliennes, leur refus de l’injustice. A tous ces palestiniens qui conservent, au milieu des tombes et des gravats, suffisamment de force pour y faire survivre les droits de l’Homme. Je veux rendre le même hommage aux israéliens qui, minoritaires dans une société en proie à la peur et à d’autres folies, refusent de perdre leur âme en servant dans les territoires occupés, tentent d’empêcher la destruction des maisons, en reconstruisent d’autres ou mettent ISRAEL en face de ses contradictions en multipliant les recours devant la Cour Suprême. Je veux saluer ces familles, israéliennes et palestiniennes, qui pleurent ensemble leurs morts.

Ce sont les mêmes qui, ensemble, se battent pour que cesse cette insulte à l’avenir qu’est l’édification d’un mur qui devient le symbole du refus du vivre ensemble dans l’avenir et l’emblème d’une folle solution militaire.

Oui ce mur est contraire à la lettre et à l’esprit de l’ordre juridique international. Pas seulement parce qu’il empiète sur les territoires palestiniens et enferment ceux ci dans des ghettos, peut - être surtout parce qu’il signe une vision de l’avenir mortifère et désespérante. Ce mur empêchera-t-il des attentats ? Peut-être. Mais est ce que la victoire militaire française de la guerre d’Algérie a-t-elle fait autre chose que retarder, de manière sanglante, la solution qui s’imposait dès 1954 ?

Et en l’espèce, la solution nous la connaissons, elle a été parfaitement définie par les diverses résolutions du Conseil de Sécurité et a été approchée dans certaines négociations. Le récent document signé à Genève fait discussion. Sans doute n’est-il pas parfait, sans doute est-il critiquable. Mais, cela n’enlève rien aux deux leçons que l’on peut en tirer. D’une part, cette violence, cette injustice ne sont pas inéluctables et des palestiniens et des israéliens le disent avec force. D’autre part, quelle leçon infligée à une communauté internationale qui, de la pusillanimité européenne au déni permanent de droit auquel se livrent les Etats-unis, voit quelques individus, certes sans pouvoir politique, mais non sans légitimité, faire mieux qu’elle. On me dira qu’en l’état du fossé entre les résolutions de la communauté internationale et sa pratique, ce n’est pas très difficile. Il reste que les opinions publiques, notamment européennes, voient dans ce document, malgré et avec toutes ses imperfections, non la lettre d’un accord définitif mais l’esprit de la paix.

En attendant, nous ne baisserons pas les bras. Nous devons poursuivre inlassablement notre action pour les droits du peuple palestinien soient, enfin, respectés et que l’indispensable reconnaissance du droit au retour des réfugiés s’applique dans des conditions négociées entre les parties elles-mêmes. Une force de protection doit être decidée et mise en œuvre sans delai. Et que s’arrête, sur ces terres dans lesquelles l’Humanité, sans distinction d’aucune sorte, s’ancre profondément, l’infernale violence, celle qu’engendre, pour reprendre une formule de la révolution française, l’oubli et le mépris des droits de l’Homme.

La Tchétchénie

Il est un autre conflit qui nous mobilise tout autant, et qui reste désespérément ignoré par la communauté internationale, voire largement encouragé par l’action ou l’omission des Etats Unis, de l’Union Européenne et d’autres grandes puissances. En Tchétchénie, ce sont des crimes contre l’humanité qui sont perpétrés contre un peuple menacé de disparition. L’horreur quotidienne des crimes commis sous la responsabilité directe du Président russe ne rencontre qu’encouragements internationaux, à l’exception d’atermoiements ponctuels. Je souhaite exprimer une nouvelle fois mon admiration et notre soutien à nos amis militants des droits de l’Homme russes qui tentent de maintenir le fil de l’information, le fil de la vie, en reliant par leur action le peuple tchétchène martyrisé à la communauté des humains. Sans eux, sans leur courage, sans leur talent,lachapede plomb serait totale, la mascarade politique de la pseudo-normalisation imposée par Poutine ne rencontrerait qu’encouragements cyniques et intéressés des Etats, ou ignorance de l’opinion publique internationale victime de la désinformation. La FIDH et les autres membres du jury du Prix Martin Ennals remettront le 7 avril prochain le Prix 2004 à Lida Yusupova, avocate de Mémorial Grozny. Face à pareille situation, notre soutien doit être total et de chaque instant.

Le conflit qui se déroule en République démocratique du Congo (RDC) nous préoccupe tout autant. Les bourreaux sont actuellement aux affaires alors qu’ils sont présumés responsables de massacres, de viols, d’anthropophagie, d’autres crimes de guerre et contre l’Humanité dans l’Est de ce pays, où l’on a dénombré plus de 3 millions de morts depuis le déclenchement de la guerre civile en 1998.
C’est au cours de cette même année 1998, qu’un groupe de rebelle conduit par Laurent-Désiré Kabila et soutenu par l’Ouganda et le Rwanda, a pris les armes pour renverser le président Mobutu qui exercait depuis 33 ans une dictature implacable sur son peuple.
Il est inacceptable de mettre passer par pertes et profits le droit des victimes à la vérité, à la justice et à la réparation sous prétexte de nécessité de paix.
S’agissant de ce conflit comme d’autres, la FIDH est engagée, forte de son expérience selon laquelle ni la paix ni la démocratie ne peuvent émerger lorsque prévalent l’impunité des bourreaux, l’arbitraire, les injustices.
Bien d’autres conflits qui se déroulent ailleurs nous interpellent. C’est le cas de la Côte d’Ivoire divisée en deux parties depuis la tentative de putsch manqué du 19 mars 2002 lié à la crise de l’ivoirité, du foncier et du statut des étrangers ; c’est aussi le cas de la Somalie devenue à cause de l’extrême violence un Etat fantôme. C’est encore le cas du Soudan où le Nord et le Sud s’affrontent dans une guerre civile meurtrière de plus de 20 ans, au Liberia où diverses factions rebelles continuent de semer la mort et la désolation dans les populations civiles malgré l’accord de paix signé et qui a ouvert la voie au départ salutaire de Charles Taylor en exil au Nigeria. Les crimes commis par ce dictateur sanguinaire ne doivent pas non plus rester impunis.
Et la FIDH n’a pas assez dit combien les enfants figurent parmi les premières victimes de ces conflits armés. Ils sont en effet victimes d’enlèvements, d’incorporation forcée au sein des groupes armés rebelles ou des armées nationales. Et de victimes ils deviennent bien souvent des combattants. L’UNICEF dénombre près de 300 000 de ces enfants-soldats que l’on retrouve en Ouganda, au Liberia, en RDC, en Birmanie... A ces enfants, on leur vole leur enfance en même temps qu’on les prive du droit à un avenir. Et cela est inacceptable.

Nous ne sommes pas dupes. Derrière tous ces conflits, il y a d’énormes enjeux financiers. Partout où il y a des guerres, il y a l’odeur du pétrole, du diamant, du bois et de toutes ces matières précieuses. Ce sont ces richesses qui aiguisent les appétits des sociétés transnationales, et qui font le malheur des peuples.

Avec l’avènement de la Cour pénale internationale, le juge international fait son apparition dans des situations dont le règlement restait monopolisé par les Etats, au sacrifice, le plus souvent, du droit des victimes à la vérité, à la justice et à réparation. Le système de justice pénale internationale en cours de consolidation représente pour nous un outil potentiel extraordinaire, de répression et de prévention des crimes les plus graves.

Notre engagement en faveur de l’institution de la Cour ces dernières années a été total. Nous avons également développé nos activités contentieuses, devant des juridictions nationales et devant la CPI. Il s’est agi tant de recourir aux vertus protectrices de la justice, qu’à ses vertus préventives, dont la portée symbolique de son intervention pouvant être très forte

Ces deux raisons ont motivé notre décision de soumettre, le 13 février 2003, la première plainte publique de la FIDH à la CPI, alors que les belligérants menaçaient de perpétrer de nouveaux crimes de guerre. Et la soumission, voilà sept jours, d’une seconde plainte de la FIDH dans ce même dossier.

Cette juridiction pénale internationale permanente, la FIDH l’a appelée de ses vœux depuis sa création. Désormais en vigueur, la Cour permet d’abolir les frontières, s’affranchit des fonctions des bourreaux : le critère essentiel de son action est celui de la gravité des crimes commis, la finalité principale de son intervention est le rétablissement des victimes dans leurs droits, le fondement exclusif de son intervention est la responsabilité pénale individuelle du criminel.

Nous devons nous emparer de cette juridiction, nous approprier le système de justice internationale qu’elle instaure, soutenir l’institution de la CPI dans son développement et contre les attaques igniominieuses dont elle est l’objet de la part de l’administration Bush. Je fonde beaucoup d’espoirs dans notre nouveau programme et dans la Délégation permanente auprès de la CPI à La Haye, que la FIDH a ouverte voilà 15 jours..

La mondialisation des injustices et des inégalités

Quel est ce monde où nous vivons ?

C’est un monde où nous assistons jour après jour, à l’aggravation des inégalités et à la mondialisation des injustices. Le fossé entre le nord et le sud s’accroît à grande vitesse dans un contexte de mondialisation néo-libérale qui a un impact négatif sur la jouissance effective des droits économiques, sociaux et culturels des populations du sud. L’écart de développement entre les deux sphères s’accentue d’année en année. Les riches deviennent plus riches tandis que les pauvres s’enfoncent de plus en plus dans la pauvreté. Sur 6 milliards d’habitants de la planète près de deux milliards de personnes vivent avec moins de deux euros par jour. Près de 30 millions de personnes meurent chaque année de faim dans les pays du sud. 80% de la richesse du monde sont détenus par 20% de la population vivant au nord de la planète et qui dispose d’un niveau de vie suffisant alors que le reste, l’immense majorité, vit dans le dénuement. Ces personnes n’ont pas accès aux besoins de base auxquels elles ont droit : eau potable, nourriture, instruction, santé... Elles manquent de tout ce qui constitue l’essentiel de la sécurité humaine, pour reprendre une formule du PNUD. Ce rapport rappelle que cette sécurité humaine est constituée de la sécurité économique, alimentaire, personnelle, communautaire, politique, éducative et sanitaire.

Le fossé des inégalités devant la santé, la maladie, la mort se creuse inexorablement chaque jour. L’accès aux médicaments essentiels dans les pays du sud est de plus en plus difficile. Dans le cas du sida, l’inégalité devant la mort entre les individus est manifeste. Les chances de survie face à la terrible pandémie ne sont pas les mêmes selon que l’on réside au sud ou au nord. On relève un net calcul de la maladie dans les pays développés avec l’arrivée des trithérapies alors qu’elle se propage à une vitesse vertigineuse en Afrique où elle a déjà fait plus de 14 millions de victimes. Avec cette triste conséquence d’une baisse spectaculaire de 7 à 10 ans l’espérance de vie dans les pays les plus touchés.

Les inégalités entre hommes et femmes qui sont les plus anciennes dans les cultures humaines persistent. Elles n’ont point disparu en dépit de quelques progrès. Dans beaucoup de pays, les droits les plus élémentaires des femmes sont encore bafoués en raison de leur statut qui les place dans certaines régions africaines, au mariage précoce, à la polygamie, dans plusieurs régions elles sont musulmanes, elles sont souvent victimes de violences de toutes sortes, d’abus et d’exploitation sexuelle.
Les inégalités de revenus avec les hommes en font les plus pauvres d’entre les pauvres en ayant moins d’accès à l’éducation, à la santé, à l’emploi.... Et dans les situations de conflits, elles deviennent des cibles de guerre et sont réduites à l’état d’esclavage sexuel lorsqu’elles tombent entre les mains des belligérants. Les horreurs des guerres du Kosovo, du Sierra Leone, du Liberia sont encore dans nos mémoires.
Les femmes restent trop souvent contraintes au statut de sous-être humain. Notre mobilisation dans ce domaine doit redoubler.

Notre activité concernant les conséquences de la mondialisation économique sur les droits de l’Homme ont considérablement augmenté ces trois dernières années. Notre doctrine est on ne peut plus claire : garantir la primauté des droits de l’Homme sur le droit du commerce international ! Renforcer la justiciabilité des droits économiques, sociaux et culturels ! Questionner, jusque devant les tribunaux, la responsabilité des acteurs économiques, y compris les entreprises multinationales ! La FIDH peut être fière d’être reconnue comme pionnière dans ces domaines.

Nous avons été dans l’action : enquêtes sur les droits économiques et sociaux, séminaires et programmes, lobby au sein des instances intergouvernementales pour renforcer les instruments internationaux, participation aux sessions de l’OMC, aux réunions annuelles de la Banque Mondiale et du FMI, suivi du G8...

Les sociétés transnationales sont encore davantage la cible de nos actions, car elles portent une part essentielle de responsabilité dans la perpétration de violations des droits de l’Homme ou dans le soutien qu’elles apportent aux régimes avec lesquelles elles contractent ; car de leurs décisions stratégiques et de leurs investissement dépendent la situation de milliards d’être humains ; car elles supplantent par leur capacité financière celle de nombreux Etats, réduisant d’autant la capacité de ceux-ci à garantir les droits de l’Homme ; car les multinationales bénéficient encore largement d’une irresponsabilité totale pour leurs actes, etcette situation est aussi choquante que parfaitement inacceptable.

Notre réflexion et notre action concernant la responsabilité des entreprises multinationales au regard des droits de l’Homme ont beaucoup avancé, enrichies de votre expérience - je pense par exemple au séminaire que nous avons tenus ici-même le week-end dernier.

Nous avons également confirmé un choix stratégique : renforcer notre présence au sein du mouvement altermondialiste régional et international pour à la fois en sensibiliser les composantes à notre approche, et pour renforcer la portée politique de celle-ci. La FIDH est membre du Conseil international du Forum social mondial, elle s’est investie considérablement dans les Forums mondiaux en alliance avec d’autres ONG internationales ; c’est par exemple la FIDH qui y a développé l’enjeu de la mondialisation de la justice. La FIDH a également contribué au Forum social européen, avec la Ligue française et la FIDH/AE. Nous considérons qu’il est essentiel de développer ou renforcer des dynamiques semblables dans toutes les régions.

Les droits culturels sont menacés. Le cercle infernal de la « westernisation » du monde et des réactions identitaires est une machine à produire violences, guerres et conflits, violations des droits des minorités et des peuples autochtones. Au contraire, pour nous, l’universalisme n’est pensable que dans le respect de la diversité culturelle, et en tant que garant de celle-ci. Les droits culturels constituent une composante essentielle de la démocratie, et non des droits de seconde zone ! Nous avons dans ce domaine renforcé notre action : ces droits représentent un enjeu stratégique majeur que nous avions sous-estimé. Il nous faudra investir ce champ davantage !

Réformer les institutions internationales

Dans quel monde vivons-nous ? Dans un monde marqué par le recul de la démocratie mondiale et un grave déficit de garantie de celle-ci par les institutions internationales.

L’ONU qui avait été créée au lendemain de la deuxième guerre mondiale pour être le centre d’impulsion et d’expression de cette démocratie est attaquée de toutes parts, et le garant principal du maintien de la paix et de la sécurité internationale. Son contournement par l’OTAN en 1999 lors de la guerre du Kosovo fut un précédent dangereux même si la raison officielle invoquée fut la défense des droits de l’Homme. Sa mise hors-jeu par les Etats-Unis au moment de la guerre en Irak a considérablement entamé sa crédibilité

Répétons-le : la réforme l’ONU s’impose plus que jamais. L’impuissance de l’ONU face aux crises mondiales réside dans ce déficit démocratique qui ruine ses initiatives, paralyse ses actions, neutralise les interventions de ses agences. L’ONU doit s’ouvrir davantage aux ONG et se protéger de l’instrumentalisation politique en cas de crise des droits de l’Homme, pour y remédier effectivement.

La FIDH a été associée aux réflexions initiées par le Secrétaire général de l’ONU concernant ses relations avec la société civile. Nous devons en faire de même avec le Panel d’experts indépendants désigné par Kofi Anan pour formuler des propositions sur l’action de l’ ONU dans les situations de crise

Quant à l’OMC, la Banque mondiale et le FMI, leur légitimité démocratique est en question alors qu’elles disposent de pouvoirs de contrainte énormes et que les conséquences néfastes de leurs politiques sur les droits de l’Homme, sont avérées.

Un autre monde est possible ? Mobilisons-nous davantage pour changer le monde !

Voici quelques pistes qui, sans être exhaustives, me semblent devoir constituer des priorités de l’action de la FIDH dans les trois prochaines années.

Agir pour changer le monde, c’est d’abord défendre et agir pour la réalisation effective et universelle des droits de femmes.

A Bogota, lors de notre mission spéciale de solidarité et de soutien aux défenseurs colombiens des droits de l’Homme, nous avons été édifiés par le degré de détermination et d’engagement des femmes colombiennes à prendre leur destin en mains. La visite que nous avons rendue dans le quartier Bolivar à l’Organizacion Femina Popular (OFP) a été un moment d’intense émotion lorsque ces femmes ont chanté leur hymne dont je me plaîs à vous lire les quatre premiers vers :

Companera despierta campanera
A la conquista de la libertad
si nos explotan porque no nos unimos
Si nos unimos nadie nos vencera !

Combien ont-elles raison, ces femmes !
Et j’ai une grande nouvelle à vous annoncer : Shirin Ebadi a accepté ma proposition d’assumer la fonction de déléguée permanente de la FIDH pour les droits des femmes, souhaitant également pouvoir s’investir, au nom de la FIDH, en faveur des droits des enfants. Je propose donc, chers amis, la création auprès du Bureau de la FIDH, d’un Groupe d’action pour les droits des femmes et qui s’attacherait à développer une convergence d’action avec d’autres ONG et associations qui mènent ce combat en vue d’élargir le mouvement mondial pour les droits des femmes en tant que droits humains fondamentaux.

La FIDH doit développer une offensive pour la garantie effective des droits de l’Homme dans le cadre de la lutte anti-terroriste. Déjà très impliquée aux côtés des mécanismes onusiens de protection, la FIDH doit investir le Comité anti-terroriste du Conseil de sécurité !

Nous devons aussi améliorer nos capacités de recherche et de réaction face à des pratiques arbitraires souvent clandestines, soit par leur nature même très difficile à détecter.
Nous devons lutter contre le sécuritarisme qui fonde tant de déviations, au Sud comme au Nord ! Et renforcer notre mobilisation contre la peine de mort, alors que les Etats rétentionnistes semblent encouragés par le tout-sécuritaire.

La FIDH doit poursuivre son combat contre l’impunité.
Nous devons mobiliser nos forces pour une plus large ratification du statut de Rome et atteindre l’objectif de l’universalité. 92 Etats ont déjà ratifié ce Statut. Il faut pousser plus loin. Nous devons approfondir notre campagne d’adaptation en droit interne du statut de la CPI pour que le principe de la complémentarité puisse s’exercer au niveau des juridictions nationales. Notre action doit s’orienter en priorité en Asie, en Afrique du Nord et dans le Moyen et le Proche Orient où le niveau de ratification est plus faible. Nous devons développer notre activisme judiciaire en mettant à l’épreuve le système de justice pénale internationale ; tant il est avéré que le contentieux judiciaire, au delà de l’intérêt des plaignants, contribue à mettre en cause la responsabilité politique des auteurs de violations visés.
Nous devons aussi pousser plus loin notre activisme en matière de justice transitionnelle. Tirons profit de l’expérience des commissions vérité et réconciliation sud africaine ou péruvienne pour faire reculer l’impunité. Notre combat est celui du droit des victimes à la vérité, à la justice, à réparation : ne craignons pas de faire preuve d’audace, dans la fidélité à nos principes !

Agir pour changer le monde, c’est aussi mener de front le combat pour une justiciabilité accrue des droits économiques, sociaux et culturels et la responsabilité effective des acteurs économiques.

Comment asseoir alors leur responsabilité pénale et civile ? C’est là un défi majeur et complexe auquel nous avons à faire face. Faut-il soutenir le projet d’institutions judiciaires adaptées à ce type de crimes économiques internationaux pour juger leurs auteurs ? Pourquoi pas une Cour économique internationale chargée de juger les crimes économiques internationaux ?

Nous devons en tout cas investir nos forces dans l’utilisation encore très insuffisante, de toutes les voies de recours utilisables à ces fins, y compris la CPI, dont le Procureur a annoncé qu’il entendait s’intéresser à la responsabilité des dirigeants des personnes morales impliquées.

De même devons-nous contribuer à l’élaboration d’instruments internationaux appropriés qui soient demain, utilement opposables à ces acteurs. Je pense par exemple au projet de Protocole additionnel au Pacte international sur les droits économiques, sociaux et culturels ; au projet de normes de l’ONU sur les multinationales et les droits de l’Homme.

Nous devons aussi à l’évidence renforcer notre offensive pour le respect de tous les droits pour tous au sein même de la Banque Mondiale et de l’Organisation mondiale du commerce.

Les migrants et leurs familles figurent parmi les laissés pour compte de la mondialisation économique. Ils sont doublement discriminés, dans l’épreuve de leur départ et dans les immenses difficultés de leur arrivée. La Convention sur les droits des travailleurs migrants est entrée en vigueur, son Comité tient sa première session il nous incombe d’investir ce nouvel organe tant attendu, en vous accompagnant dans son usage systématique.

Agir pour changer le monde, c’est s’investir dans le chantier de la défense de la diversité culturelle menacée d’homogénéisation par la mondialisation néolibérale qui œuvre pour le nivellement des cultures. Le respect des droits de tous, c’est aussi le respect des droits culturels de chaque individu et de chaque peuple. On constate que ceux des indigènes et des peuples autochtones sont massivement bafoués. La FIDH doit adopter un programme sur cette brûlante question et s’engager d‘ores et déjà dans l’élaboration de la convention de l’UNESCO sur la diversité culturelle. Je propose de constituer une équipe de négociateurs pour suivre ces travaux, équipe composée de juristes de différentes ligues mais aussi d’artistes et d’intellectuels de renom, de toutes origines, qui permettent de souligner l’importance de l’enjeu.

Agir pour changer le monde, c’est aussi, surtout, pouvoir agir !

Nous devons renforcer notre soutien aux défenseurs en danger en consolidant notre programme d’Observatoire initié en 1997 par la FIDH, et exécuté depuis quatre ans en partenariat efficace avec l’OMCT. Nous devons approfondir notre capacité de soutien d’urgence aux défenseurs fugitifs. Nous devons contrer les tendances profondes de restrictions arbitraires des libertés d’expression et d’association, et de criminalisation de la protestation sociale !

Que conclure ? L’adaptation de notre méthode d’intervention et de nos stratégies d’action face aux nouveaux défis, menaces et enjeux du monde actuel s’avère d’une impérieuse et constante nécessité. L’état chaotique du monde ne nous laisse guère le choix.

Alors, quel monde voulons nous ?
Nous voulons un autre monde, et un autre monde est possible ! Belle utopie, mais vérité concrète de demain ! A 2 800 m d’altitude, où nous sommes tous réunis aujourd’hui, je viens d’apercevoir, en levant les yeux, six lettres barrant le beau ciel de Quito : c’est le mot ESPOIR. ESPERANZA !

Muchas gracias,

Sidiki Kaba

Président de la FIDH

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