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Burundi : des défenseurs des droits humains dénoncent une « dynamique génocidaire »

Deux responsables de la FIDH et de l’ONG burundaise Iteka décryptent la situation du pays, miné par la dérive du régime de Pierre Nkurunziza.

Propos recueillis par  et

Publié le 15 novembre 2016 à 17h04, modifié le 15 novembre 2016 à 18h15

Temps de Lecture 6 min.

Des soldats de l’armée burundaise à Bujumbura, le 1er juillet 2016, jour de la fête nationale.

La Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) et la ligue burundaise des droits humains Iteka publient, mardi 15 novembre, un rapport sur la situation au Burundi intitulé « Répression aux dynamiques génocidaires ». La crise politique est née de la candidature de Pierre Nkurunziza en 2015 alors que la Constitution de 2005 lui interdisait de se représenter pour un troisième mandat présidentiel. Malgré la forte contestation d’une partie de la population, Pierre Nkurunziza est réélu en juillet de la même année. Florent Geel, responsable Afrique à la FIDH, et Anschaire Nikoyagize, président d’Iteka, analysent la dérive du régime du président burundais.

Le Burundi est-il au bord de l’explosion ?

Florent Geel Il est difficile d’affirmer la nature génocidaire du régime, mais tous les éléments sont en place pour cela : un Etat-parti [le Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces pour la défense de la démocratie ou CNDD-FDD], des unités de répression – notamment les Imbonerakure, ces milices de jeunes parfois intégrées dans les services de sécurité, présents dans tout le pays –, la volonté d’éliminer toute forme d’opposition, une idéologie largement diffusée par la propagande. La répression, concentrée à Bujumbura au début, s’est étendue aux régions. En bref, le Burundi est entré dans une phase de répression systématique.

Constate-t-on un ciblage de la minorité tutsi par le pouvoir hutu ?

Anschaire Nikoyagize Depuis un certain moment, dans les quartiers contestataires, les Tutsi sont particulièrement ciblés. Selon les témoignages que nous avons recueillis, les Imbonerakure s’encouragent entre eux quand ils violent les femmes tutsi avec ces mots : « Engrossez les adversaires pour qu’ils mettent au monde des Imbonerakure ! »

On assiste donc à un double mouvement : épuration politique des opposants hutu et ciblage plus large des Tutsi ?

FG Le pouvoir est rationnel. La menace la plus sérieuse pour lui est au sein de la communauté hutu parce qu’elle est la plus nombreuse, parce que son existence même montre, malgré ce que dit le pouvoir, que ce n’est pas un problème ethnique. L’opposition hutu dispose également des groupes armés les mieux organisés et structurés, principalement avec les FNL [Forces nationales de libération, rébellion hutu active depuis le début des années 1990]. Il fallait donc, pour le pouvoir, réprimer les Hutu, faire des exemples, pour leur dire : « Ne vous joignez pas aux Tutsi ! »

Le deuxième mouvement est idéologique, celui dans lequel ont été élevés les Imbonerakure. Il cible les Tutsi parce qu’ils sont tutsi, cela se réfère aux moments dramatiques de l’histoire du pays, en 1972 et en 1993.

Le point de rupture du régime remonte à la tentative de coup d’Etat militaire du 13 mai 2015 contre Pierre Nkurunziza. Le pouvoir prend alors conscience de l’existence d’une opposition armée, extrêmement dangereuse, issue de l’armée et donc du pouvoir. Celui-ci choisit alors délibérément la voie idéologique et d’ethniciser le conflit.

Des informations font état d’un recensement « ethnique » des fonctionnaires ?

FG Le président du Sénat, un thuriféraire du régime, a en effet ordonné un recensement des Hutu et des Tutsi au sein de l’administration, des entreprises publiques, des services publics officiellement pour se conformer aux accords de paix d’Arusha [signés en 2000 pour mettre un terme à la guerre civile burundaise]. Ce qui est un faux prétexte.

AN En 2013, le pouvoir avait déjà eu l’intention de dresser ce type de listes. Les syndicats d’enseignants s’y étaient alors opposés. La différence aujourd’hui, c’est que les organisations de la société civile ont été neutralisées, radiées. Il n’y a plus personne pour s’opposer à la volonté du régime, que ce soit à l’extérieur ou à l’intérieur du système. Les opposants au sein du CNDD-FDD ont été tués ou sont en exil.

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Un embryon d’opposition armée existe. Constitue-t-elle une menace sérieuse pour le régime ?

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AN Il y a trois principales forces armées. Il y a les FNL, mouvement historique, dans le maquis depuis longtemps. Ses membres sont ciblés en priorité par le pouvoir parce qu’ils sont hutu et dans l’opposition. Deux autres groupes ont été constitués pour lutter contre le régime Nkurunziza. Il s’agit des Forces républicaines du Burundi, ou Forebu, dans lesquelles on retrouve beaucoup d’anciens membres des Forces armées burundaises, hutu et tutsi. Et enfin la Résistance pour un Etat de droit, le Red Tabara, où l’on retrouve beaucoup de jeunes qui ont fui le pays. On dit, ces derniers jours, que des consultations sont en cours pour qu’ils se regroupent.

FG Les Red Tabara sont les plus nombreux, ils bénéficient d’un soutien populaire, mais ils ont très peu de capacités opérationnelles. Les Forebu sont plus professionnels, mais peu nombreux. Il y a là d’anciens officiers supérieurs qui ont quitté l’armée après le coup d’Etat raté de 2015. Leurs capacités opérationnelles sont limitées, notamment parce qu’ils disposent de peu de relais dans la population, d’autant moins que 310 000 Burundais ont dû quitter le pays. Restent les FNL, le groupe le plus structuré.

L’existence d’une opposition hutu ne constitue-t-elle pas un bouclier aux tentations génocidaires ?

AN N’eût été cette opposition, le génocide aurait déjà eu lieu. Mais le gouvernement continue à intoxiquer la population. La Commission nationale du dialogue interburundais [CNDI], notamment, est un instrument créé pour véhiculer davantage l’ethnicisation.

Quelle suite donner à votre rapport ?

FG Il va être déposé au bureau du procureur de la Cour pénale internationale (CPI), vraisemblablement vendredi. Il comprend des annexes confidentielles qui attribuent des crimes précis, mêmes limités, à certains acteurs de la répression au sein du régime. Tout ça va alimenter l’examen préliminaire de la procureure en espérant qu’elle [Fatou Bensouda] se décide à ouvrir une enquête.

Comment éviter les crimes de masse au Burundi ?

FG Une question politique se règle sur le terrain politique. Il faut certes protéger les civils, en urgence. Les missions de la paix sont alors nécessaires, mais la réponse politique ne peut venir que d’un dialogue politique. Dialogue imaginable seulement en mettant la pression sur le régime. Mais on a le sentiment que l’Union africaine et l’ONU ne réagiront vraiment qu’en cas de catastrophe majeure, sinon ils « laisseront filer ».

AN Quels crimes de masse ? Des gens sont tués quotidiennement. La catastrophe est déjà là. Le pouvoir fait tout pour que la communauté internationale ne soit pas informée.

FG Le régime a compris qu’il devait dorénavant dissimuler ses crimes tout en continuant à éliminer tous les témoins possibles. Les disparitions forcées se multiplient, des gens sont enterrés par petits groupes dans des tombes, et non plus dans des fosses communes trop visibles, de plus en plus de personnes disparaissent dans des centres de détention clandestins… C’est une répression à huis clos pour passer sous les radars de la communauté internationale. Mais on est clairement dans une séquence de radicalisation, voire d’une fuite en avant. Le gouvernement n’a plus la volonté de discuter.

Quelles solutions alors ?

AN Il faut étendre les sanctions ciblées aux membres du gouvernement, pas seulement aux services de sécurité. Il faut également adopter des sanctions économiques et impliquer davantage les Etats de la sous-région. En bref, il faut isoler complètement le Burundi. Ceci dit, le pouvoir de Pierre Nkurunziza s’est renforcé. Le président n’est pas seul, il y a un cercle cohérent autour de lui.

FG Le problème est que la solution s’éloigne avec un nouveau président américain élu pour lequel le Burundi ne sera sûrement pas une priorité. Un nouveau secrétaire général de l’ONU va entrer en fonction… Le plus crédible, malheureusement, est de voir les Européens rester sur leur ligne, un peu coincés, et les Américains relâcher la pression, ce qui permettrait à l’Union africaine de… ne rien faire. Tout ça au bénéfice du régime burundais.

Restent plusieurs interrogations. Quel va être le jeu des groupes armés et du pouvoir ? Surenchère, modération ? Par ailleurs, des dynamiques génocidaires ne signifient pas nécessairement génocide. Il est ainsi difficile d’évaluer la pénétration de l’idéologie au sein de la population. Mais le pouvoir dispose de suffisamment de forces avec les Imbonerakure, la police, l’armée, les services de renseignement pour commettre un génocide.

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