La Croix : Que reprochez-vous à Ahmad Al Faqi Al Mahdi ?

Florent Geel : Viols, à l’occasion collectifs et esclavage sexuel : voilà ce dont on accuse Ahmad Al Faqi Al Mahdi, dit Abou Tourab, et sa bande.

Nous avons déposé une plainte devant la justice malienne le 6 mars 2015 après des enquêtes menées en février 2015. Nous démontrons qu’Abou Tourab, en tant que chef de la brigade des mœurs, puis brièvement, chef de la police islamique, a harcelé des femmes de Tombouctou et parfois emprisonnées celles-ci.

Parce qu’elles discutaient avec des hommes avec qui elles n’étaient pas mariées, pour leur tenue ou leurs cheveux détachés… Des moments de réclusions pendant lesquels il leur est arrivé de subir des agressions sexuelles, et, plus rarement, des viols collectifs dans l’enceinte même de la prison.

Nous avons recueilli une cinquantaine de témoignages – 33 personnes ont souhaité déposer plainte – et de nombreuses preuves, comme des certificats qui attestent de ces mariages forcés derrière lesquels il y a aussi eu des viols, par moments collectifs. Des combattants et des membres de la police islamique ont marié des femmes de force devant le juge islamique et certains témoignages rapportent des sévices sexuels qui ont duré 3 mois, pendant toute l’occupation.

En raison des caractères massif et presque systématique des actes, nous les qualifions de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, perpétrés par Abou Tourab et 14 autres personnes dont Ag Alfousseyni Houka Houka, l’ancien juge islamique de Tombouctou, et Abou Mohame, un des chefs d’Ansar Dine, dit Cheikh Ag Aoussa.

Contrairement à Abou Tourab, Abou Mohame et Ag Alfousseyni Houka Houka sont tous deux en liberté et représentaient Ansar Dine, aux accords de paix signés le 20 juin 2015 à Bamako. Leur liberté est une matérialisation concrète de cette impunité échangée contre la paix.

Regrettez-vous que, dans ses charges d’accusation, la CPI ne retienne de l’occupation de Tombouctou que la destruction du patrimoine ?

F.G. : Le dossier que nous avons monté n’enlève rien à l’importance de ce procès pour destruction de biens culturels et religieux. Et encore moins au symbolisme de cette attaque contre la diversité islamique en Afrique notamment ce patrimoine, cette culture et ces traditions de l’islam sahélien, reconnu partout dans le monde islamique !

Il n’en demeure pas moins que les crimes commis contre les personnes n’ont toujours pas été jugés et qu’à nos yeux, les crimes sexuels ont été commis le plus massivement au nord Mali. Il est important de les punir.

Y a-t-il, pour la CPI, une hiérarchisation de ces crimes commis au Mali ?

F.G. : Je ne pense pas. Il y a dans cette affaire un souci de praticité. La logique qui préside dans les procès de la CPI est avant tout celle d’un procès bien construit : il ne faut pas de problème juridique ou de procédures.

On aurait aimé que la CPI élargisse ses charges mais elle ne l’a pas fait car il a été arrêté dans le nord du Niger par les troupes françaises un peu par hasard… Il était alors plus simple de l’inculper pour destruction de mausolée, que de mener des enquêtes sur des crimes sexuels qui exigent de se rendre sur le terrain alors que la situation reste dangereuse.

Le dossier de la destruction des mausolées de Tombouctou a l’avantage d’être facilement prouvable. Mais je ne veux pas accabler la CPI : même si nous pouvons critiquer de nombreuses enquêtes, pour lutter contre l’impunité, nous avons besoin de cette institution qui est encore jeune.