Le continent africain sur la voie de l’abolition de la peine de mort

09/10/2015
Tribune

Tribune écrite par Elizabeth Zitrin, présidente de la Coalition mondiale contre la peine de mort, Sylvie Bukhari Pontual, présidente de la FIACAT et Karim Lahidji, président de la FIDH, et publiée sur le site de Jeune Afrique le 9 octobre 2015.

Ces dernières années, plusieurs États africains ont accompli des avancées notables sur le chemin vers l’abolition de la peine de mort. Depuis 2009, le Burundi, le Togo, le Gabon, le Bénin et Madagascar ont franchi le pas. À Madagascar, le Parlement a voté à l’unanimité l’abolition le 10 décembre 2014 à l’occasion de la Journée internationale des droits de l’Homme.

Aujourd’hui, sur les 54 États que compte l’Union africaine, 18 ont aboli la peine de mort en droit [1], 19 n’exécutent plus de condamnés : 37 pays sont donc abolitionnistes en droit ou en fait. 17 États maintiennent la peine de mort [2]. Ces récents changements montrent que l’Afrique s’inscrit dans la tendance mondiale en faveur de l’abolition de la peine de mort, puisqu’aujourd’hui deux États sur trois ont aboli la peine de mort [3]. Il n’est plus rare aujourd’hui de voir certains États africains prendre des positions fortes sur la scène internationale en s’opposant à la peine capitale. Ainsi, 27 États membres de l’Union africaine ont voté en faveur de la Résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies appelant à un moratoire sur la peine de mort le 18 décembre 2014.

Des blocages persistants

De nombreux États africains continuent néanmoins à prononcer des condamnations à mort et à exécuter des condamnés et une majorité d’États africains n’intègrent pas l’abolition de la peine de mort dans leur droit interne et se contentent du maintien d’un fragile moratoire de fait. La Gambie a ainsi repris les exécutions en août 2012 après 27 années de moratoire.

Le principal obstacle à l’abolition de la peine capitale réside dans le manque de volonté politique des décideurs qui se cachent derrière une opinion publique supposément majoritairement favorable à son maintien. Dans des pays en reconstruction suite à des conflits meurtriers ou qui font face une instabilité politique latente, l’abolition de la peine de mort reste un sujet de société sensible qui engendre de nombreux débats. En raison du manque de confiance dans l’appareil judiciaire des États, ou encore de la persistance d’un droit coutumier qui ne favorise pas le combat abolitionniste, les populations, pour autant qu’on puisse connaître avec fiabilité leur opinion sur la question, semblent spontanément hostiles à l’abolition de la peine capitale. De leur côté, les autorités publiques fuient leurs responsabilités qui permettraient de favoriser l’abolition de la peine de mort dans de nombreux pays. Pourtant, jusqu’à ce jour, aucun État ayant pris une décision aussi forte n’a connu d’opposition farouche à l’abolition.

Nous voulons accompagner la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) sur un projet de traité africain visant l’abolition de la peine de mort.

Le travail de sensibilisation de la population et des pouvoirs publics doit donc être quotidien, même dans les pays où la peine de mort est abolie. Ce travail revient à des organisations nationales et internationales telles que la Coalition mondiale contre la peine de mort (WCADP), la Fédération internationale de l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (FIACAT) et la FIDH qui, depuis des années, s’engagent avec leurs nombreux membres présents en Afrique dans le combat abolitionniste, notamment à l’occasion de la Journée mondiale contre la peine de mort que nous célébrons aujourd’hui. Ensemble, ces organisations ont décidé d’allier leurs forces en accompagnant la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) sur un projet de traité africain visant l’abolition de la peine de mort.

Un engagement africain

La CADHP, l’organe de l’Union africaine en charge de surveiller la mise en œuvre de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples, a décidé de se saisir de la question de la peine de mort dès 1999 en adoptant à Kigali, Rwanda, une résolution « appelant les États à envisager un moratoire sur la peine capitale ».

Depuis, la CADHP s’est dotée d’un Groupe de travail sur la peine de mort en Afrique, créé en 2005 à l’initiative de la FIDH. Le Groupe de travail a travaillé sur les termes d’un protocole solide qui prévoit l’interdiction de la peine de mort en toute circonstance, même en temps de guerre.

L’adoption d’un tel Protocole devrait permettre de fédérer le mouvement abolitionniste en Afrique pour qu’il s’approprie cet instrument pour mener son combat. D’un point de vue juridique, ce protocole n’obligera que les États qui le ratifieront. Il renforcera les dispositions de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples relatives au droit à la vie. Il empêchera surtout les États qui se sont engagés courageusement sur le chemin de l’abolition de revenir en arrière.

Il permettra également de mobiliser l’ensemble des acteurs abolitionnistes, (organisations de la société civile mais aussi avocats, magistrats, institutions nationales de droits humains, médias, artistes, enseignants, leaders religieux, chefs traditionnels) autour d’une cause commune sur le continent : l’adoption puis la ratification d’un texte africain prévoyant l’abolition de la peine de mort en Afrique.

L’abolition de la peine de mort en Afrique viendra donc d’un double mouvement : de l’engagement politique des Etats et de la mise en place d’une véritable politique de sensibilisation des populations. L’obtention de l’abolition de la peine de mort est une œuvre exaltante qui suppose de relever le défi de convaincre la population d’avoir confiance en sa justice.

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