Répression, discrimination et nettoyage ethnique en Arakan.

Un nettoyage ethnique est perpétré en Birmanie à l’encontre de la minorité musulmane rohingya sous l’oeil du Haut commissariat aux réfugiés et dans l’indifférence générale. Nombre d’acteurs portent une part de responsabilité : parmi eux, les autorités birmanes, comme la communauté internationale. Les premières par implication directe ; la seconde par passivité.


Birmanie

Répression, discrimination et nettoyage ethnique en Arakan.


En 1991, 260 000 Rohingyas avaient fui l’Arakan et trouvé refuge au Bangladesh pour échapper aux exécutions sommaires, viols, mauvais traitements, travail forcé, confiscation de terres. Le caractère massif de ces départs avait contraint la communauté internationale à réagir et à impliquer le HCR dans le processus de rapatriement des réfugiés. Huit ans plus tard, une très grande majorité des réfugiés sont rentrés chez eux, le plus souvent forcés par les autorités bangladaises ou fortement incités par le HCR.
Pourtant en Arakan, la situation est loin d’avoir changé et l’on assiste à un nouvel exode, tout aussi profond mais plus lent et quasiment invisible. C’est pourtant un véritable nettoyage ethnique que le gouvernement birman a mis en oeuvre à l’encontre de la population rohingya, en la poussant peu à peu à s’exiler.

 Mensonges, ambiguïtés et contraintes du HCR

Malgré les restrictions sévères imposées par les autorités aux visites d’observateurs
internationaux dans l’Arakan, la FIDH a pu recueillir des informations de première main dans plusieurs dizaines de villages de l’Est et du Nord de cet État, ainsi que des
témoignages dans les camps de réfugiés au Bangladesh. Dans un rapport rendu public le 17 avril 2000, la nature et les mécanismes de la répression qui poussent les Rohingyas à un exil définitif sont précisément décrits. Par ailleurs, la FIDH déplore que le HCR se soit laissé prendre au piège d’une politique insensée en totale contradiction avec son mandat : organiser le retour et empêcher le départ d’une population en proie à la répression systématique d’un régime despotique.

Au regard des pratiques constatées et corroborées par de nombreux témoignages, la
FIDH estime que le HCR a dans une large mesure gravement failli à sa tache et contrevenu en de nombreux points à son mandat, en connaissance de cause. Dans les camps de réfugiés au Bangladesh, l’agence onusienne a délibérément trompé les
réfugiés, non seulement sur la situation en Arakan, mais aussi sur la protection qui leur serait offerte, pour les inciter à rentrer en Birmanie. Le Mémorandum of Understanding (MoU) signé en novembre 1993 par le HCR et le gouvernement birman afin de régir le rapatriement et la réintégration des Rohingyas, n’aborde à aucun moment la question des droits de l’Homme. Ceci est singulièrement injustifiable dans le contexte birman de violations graves et systématiques de ces droits. D’autant que dans le même temps, " le HCR nous [avait] promis que si les autorités birmanes nous causaient des problèmes comme en 1991, nous pourrions nous adresser à eux et qu’ils nous protégeraient. Enfin, le HCR [avait] dit : " nous ne quitterons pas la Birmanie tant que vous estimerez que vous avez besoin de nous " , explique un habitant de Maungdaw. La réalité est tout autre et les Rohingyas, une fois rentrés, doivent faire face aux mêmes exactions, aux mêmes violences, à la même discrimination qui les avaient poussés au départ. En fait, tout laisse à penser que le HCR a jugé nécessaire de parvenir à un accord coûte que coûte avec les autorités bangladaises comme avec les autorités birmanes, au prix d’une négation importante des principes du rapatriement de l’agence. Si la présence du HCR a permis d’éviter certains abus et d’aider la population rapatriée à être réinstallée en Arakan, et sans remettre en cause le travail que cette organisation peut mener par ailleurs dans d’autres régions du monde, on ne peut pas parler de " réintégration " réussie. Les nouveaux départs de Rohingyas par dizaines de milliers chaque année depuis 1996 le prouvent.

En fait, tout laisse à penser que le HCR a jugé nécessaire de parvenir à un accord coûte que coûte, au prix d’une négation importante des principes du rapatriement de l’agence.

 Un nouvel exode

L’attitude du HCR est d’autant plus condamnable que l’agence porte désormais une lourde part de responsabilité dans l’exode actuel des Rohingyas : de 1996 à 1999, entre 50 000 et 100 000 Rohingyas ont à nouveau passé la frontière pour trouver refuge au Bangladesh. Et alors que l’exode régulier et soutenu des Rohingyas n’a pas cessé, le HCR refuse toujours de reconnaître l’ampleur du phénomène et poursuit une collaboration étroite avec un gouvernement birman qui, par sa politique répressive, est à l’origine de ces départs. Cette collaboration vise à empêcher les Rohingyas de quitter leur pays, et soulève une question essentielle qui touche à la mission et aux fondements mêmes du Haut commissariat aux réfugiés. On peut douter de la légitimité de la politique du HCR lorsqu’il tente de dissuader, voire de retenir, une population de fuir quand celle-ci est victime d’une politique répressive avérée. Se pose également la question de l’ambiguïté d’une collaboration aussi étroite avec un pouvoir dictatorial - et en l’occurrence l’un des plus répressifs au monde - qui viole systématiquement et massivement les droits humains les plus élémentaires. Que le HCR, de par la nature de sa mission, soit obligé de coordonner son travail avec les autorités birmanes est compréhensible. Qu’il se laisse entraîner dans la mise en oeuvre d’une politique de dissuasion au départ impliquant de la part des militaires coercition et violence, est difficilement acceptable. Outre le problème de fond posé, la crédibilité de l’agence auprès de la population qu’elle est censée aider est gravement entachée.

En effet, cette collaboration brouille sérieusement l’image du HCR, qui n’est plus considéré par la population rohingya comme une organisation indépendante susceptible de lui venir en aide et de la protéger, mais comme un partenaire du pouvoir.

Mais si la responsabilité du HCR est pleinement engagée au regard du prix payé par les Rohingyas du fait de la politique répressive des autorités birmanes, elle n’est pas la seule.

C’est à la communauté internationale - c’est-à-dire aux États - qu’il incombe de faire suffisamment pression sur la junte birmane pour que cesse cette répression ; et/ou de soutenir le Bangladesh, y compris financièrement, pour qu’il offre un asile sûr aux réfugiés. Car une fois passés côté Bangladesh, les Rohingyas ne disposent d’aucun statut particulier et sont obligés de vivre clandestinement et leur présence n’est pas sans provoquer des remous au sein de la population qui voit dans cette main d’oeuvre au rabais une concurrence directe sur le marché de l’emploi.

Force est de constater l’échec, sinon l’absence, de toute tentative sérieuse de la communauté pour venir en aide, de quelque manière que ce soit, à la minorité rohingya.

 Nettoyage ethnique

Si certaines formes de répression violentes et trop visibles semblent avoir diminué en intensité - la présence d’agences des Nations unies et d’ONG internationales ne sont certainement pas étrangères à ce fait -, les autorités birmanes tentent par tous les moyens de précariser politiquement, socialement, économiquement et
culturellement, une population qui n’a d’autre alternative que de passer une nouvelle fois la frontière vers le Bangladesh. Tout est acceptable pour le gouvernement birman -sauf un départ massif qui alerterait la communauté internationale- pour atteindre son objectif ultime en Arakan : le vider de sa population Rohingya. Ainsi, il met en place et coordonne un véritable nettoyage ethnique dans l’indifférence la plus totale.

Les moyens de ce nettoyage sont multiples : tout en refusant aux Rohingyas la
citoyenneté, les autorités birmanes contrôlent de très près leurs mouvements, poursuivent une politique active de colonisation du Nord Arakan, et mènent parallèlement une politique de sous-développement forcée, contraignant lentement mais sûrement les Rohingyas au départ.

Parmi les raisons du départ, " il y a le facteur d’attraction bangladais. Bien
qu’ils ne soient pas les bienvenus, et bien que le Bangladesh soit l’un des
pays les plus pauvres et les plus surpeuplés de la planète, les Rohingyas y jouiront toujours d’une situation meilleure que celle subie en Arakan. L’image du Bangladesh reste, pour nombre de Rohingyas, positive. Et ce pour une raison essentielle :
même si les conditions de vie sont loin d’y être faciles, mêmes clandestins, ils ont le sentiment d’y être maîtres de leur vie. "
Extrait du Rapport de la FIDH

Tout est acceptable pour le gouvernement birman pour atteindre son objectif ultime en Arakan : le vider de sa population Rohingya.

La Loi sur la citoyenneté de 1982 fait des Rohingyas des étrangers en leur propre pays. Les conséquences de cette non-citoyenneté sont nombreuses : absence de liberté d’association, impossibilité d’avoir recours à l’appareil judiciaire, non-accès à la fonction publique, accès limité à l’éducation supérieure... Parmi ces conséquences, l’une des plus graves pour les Rohingyas est l’absence de liberté de circulation, qui, en les empêchant de trouver un emploi dans d’autres villages et de faire du
commerce, conduit à un appauvrissement accéléré de cette population. Parallèlement, Rangoun, outre une militarisation accrue de la région, mène une politique active de colonisation, par le biais d’implantation de villages modèles réservés aux Bouddhistes venus d’autres régions de l’Arakan, de Rangoun
ou d’ailleurs. Cette politique de colonisation va de pair avec des déplacements forcés de villages rohingyas ; des confiscations de terres à grande échelle ; une interdiction de permis de construire pour les Rohingyas ; une politique discriminatoire à l’égard des musulmans en matière de religion, d’éducation et de santé. Le travail forcé enfin, s’il est imposé par le pouvoir dans toute l’Union birmane, pèse de manière disproportionnée et spécifique sur les minorités, et plus particulièrement encore sur les Rohingyas.

 Une politique de sous-développement forcé

Par ailleurs, les autorités birmanes se livrent à une véritable économie de prédation en Arakan, notamment par le biais d’une multiplicité de " taxes " arbitraires et abusives. De la production à la vente en passant par le transport, tous les secteurs d’une activité économique centrée sur l’agriculture, et dans une moindre mesure la pêche, sont sévèrement taxés. Des taxes officielles, et, depuis 1992, de nombreuses taxes informelles, constituent de fait un véritable racket de la population. Ces taxes ont largement contribué à une précarisation accrue de la population rohingya, et correspondent à une politique délibérée de sous-développement de la part du gouvernement birman.

Par rapport au début de la décennie, l’objectif de Rangoun est resté le même ; seuls les moyens mis en oeuvre ont changé. Toutes les informations recueillies par la FIDH tendent à démontrer que le gouvernement birman cherche à vider l’Arakan de sa population, de façon insidieuse et progressive, de manière à ne pas attirer l’attention de la communauté internationale, comme cela avait été le cas en 1991-1992. Depuis 1996, les départs se font discrètement mais régulièrement. Chaque village du Nord Arakan a connu des départs, mais aucun village ne s’est entièrement vidé. Les départs sont progressifs, le travail forcé, pudiquement
nommé travail communautaire s’accompagne souvent de mauvais traitements qui peuvent conduire jusqu’au décès.

Les autorités birmanes, soutenues en cela par le HCR, ont fait échouer les tentatives de départ en nombre. Le HCR quant à lui s’obstine dans son refus de
reconnaître l’ampleur du phénomène, estime que les témoignages des réfugiés ne sont pas crédibles et prétend qu’il s’agit de " migrants économiques ". La FIDH considère au contraire qu’il y a bien une politique délibérée de précarisation des conditions de vie de la population rohingya, de discrimination et de répression à son égard.
Ce sont des raisons politiques qui sont à l’origine des exodes répétés des Rohingyas et la qualification de migrants économiques n’est pas acceptable. Elle ne peut que servir à tromper sur la situation réelle d’un peuple victime d’un nettoyage ethnique, à mettre en danger la vie de ces réfugiés tant au Bangladesh qu’en Birmanie et à donner un blanc-seing au gouvernement birman pour poursuivre sa politique.
C’est ainsi qu’une nouvelle fois, dans un assourdissant silence dicté par des intérêts
politiques et économiques de tous ordres, un peuple se trouve abandonné à son sort par la communauté internationale et encouragé à s’y soumettre par la seule instance censée le protéger.

Ce sont des raisons politiques qui sont à l’origine des exodes répétés des Rohingyas et la qualification de migrants économiques n’est pas acceptable.

Lire la suite