Quatrième session - février 2009 Djibouti

10/02/2009
Communiqué

1 – Déficit démocratique

En l’absence de réforme du code électoral après les élections législatives de 2003 qui avaient vu l’attribution de la totalité des sièges du Parlement au parti présidentiel alors que les partis d’opposition avaient obtenus 38% des voix, ceux-ci ont décidé de boycotter les élections législatives du 8 février 2008. Ils ont considéré à la fois que le scrutin majoritaire de liste à un tour assure de facto à la coalition présidentielle le gain des 65 sièges au Parlement au mépris de la pluralité politique, et que les conditions d’un scrutin libre, démocratique et transparent n’étaient pas réunies.
De plus, Ahmed Youssouf Ahmed, président de l’Alliance républicaine pour le développement (ARD), Ismaël Guedi Hared, président de l’Union pour la démocratie et la justice (UDJ) et Souleiman Farah Lodon, vice-président du Mouvement pour le renouveau démocratique et le développement (MRD), dirigeants des partis d’opposition, ont fait l’objet de multiples pressions de la part des autorités les jours précédents le scrutin. Ils ont notamment été assignés à résidence le 1er février 2008 afin d’empêcher le déroulement d’un rassemblement de l’opposition organisé dans le cadre de la campagne électorale. Le même jour, M. Jean-Paul Noel Abdi, Président de la LDDH, a également été empêché de sortir de son domicile par des membres des Forces Armées, caractérisant l’assimilation par le pouvoir des défenseurs des droits de l’Homme aux opposants politiques, en violation des droits garantis par la Déclaration sur les défenseurs des droits de l’Homme adoptées en 1998 par l’Assemblée générale des Nations unies.
Sans surprise, avec une seule et unique liste en lice, les élections ont abouti à la victoire totale de l’Union pour la Majorité Présidentielle (UMP), remportant ainsi les 65 sièges du Parlement.

La LDDH et la FIDH souhaiteraient que le Conseil recommande au gouvernement djiboutien de

 Réformer sans délai et en concertation avec tous les acteurs politiques à Djibouti, le code électoral afin de permettre l’organisation d’élections véritablement libres et pluralistes dans le pays, conformément aux dispositions des instruments internationaux de protection des droits de l’Homme ratifiés par Diibouti

2 – Atteintes à la liberté d’association

La loi n°1/AN/92/2e L relative aux partis politiques reconnaît le droit de constituer un parti politique mais certains articles contreviennent aux droits à la liberté d’association. Ainsi, pour la création et la reconnaissance d’un nouveau parti politique, l’article 6 de la loi précitée préconise le soutien de 30 personnalités politiques, administratives, coutumières et notables ou des personnalités qui sont décorées de la grande étoile de l’ordre national. Or, pour être haut placé ou décoré, on doit être membre ou de la même opinion que le parti au pouvoir. Par ailleurs, l’article 18 permet au ministère de l’Intérieur de soumettre à la justice une demande de dissolution d’un parti. Cette disposition est problématique considérant le manque d’indépendance de l’appareil judiciaire.

En droit, les partis politiques ont la possibilité de tenir des réunions, en tout lieu et à tout moment, sur autorisation du ministère de l’Intérieur. Pourtant, les réunions du 20/12/1992 du Parti du renouveau démocratique (PRD) et du 8 avril 2005 de l’Union pour l’alternance démocratique (UAD) se sont soldés par des atteintes graves à l’intégrité physique de certains opposants politiques et l’arrestation des dizaines de militants. Ibrahim Ahmed God, membre de la direction du parti d’opposition, l’Alliance Républicaine pour le Développement (ARD), est l’une des victimes de la répression du 8 avril 2005 contre l’UAD. Il a eu le bassin fracturé. Il vit aujourd’hui en exil en Europe.

La LDDH et la FIDH souhaiteraient que le Conseil recommande au gouvernement djiboutien de :

 Réformer la loi n°1/AN/92/2e L relative aux partis politiques pour se conformer aux dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques relatives à la liberté d’association

3 - Atteintes aux libertés syndicales1

L’article 41 alinea 8 qui prévoit la suspension du contrat du travail pendant la période de l’exercice par le travailleur d’un mandat régulier politique ou syndical, est confirmé par les dispositions des articles 42 et 43 selon lesquels il n’a pas droit à son salaire et à la détermination de ses anciennetés au travail. D’après ces 3 articles du nouveau code du travail, l’exercice d’une responsabilité syndicale et politique est une faute lourde ouvrant droit pour l’employeur à des modifications substantielles du contrat de travail et au licenciement.

L’article 214 alinea 4 et 5 interdisent la direction d’un syndicat à toute personne condamnée à 3 mois de prison avec sursis par quelques juridictions que ce soit. Dans la mesure où de nombreux responsables syndicaux ont été inquiétés, arrêtés et condamnés arbitrairement en raison de leur engagement syndical2, cette disposition interdit mécaniquement à de nombreux syndicalistes d’assumer ou de briguer une fonction dirigeante syndicale.

Par ailleurs, l’usurpation de l’identité syndicale au profit d’une organisation syndicale non-représentative et dépendante des autorités djiboutiennes est une pratique qui a fait l’objet de plaintes répétées et régulières auprès de la Commission de vérification des pouvoirs de la Conférence internationale du travail (CIT) depuis de nombreuses années.

La LDDH et la FIDH souhaiteraient que le Conseil recommande au gouvernement djiboutien de :

 Réformer le nouveau code du travail pour respecter les libertés syndicales, conformément aux conventions internationales de réglementation du travail de l’OIT, en particulier les conventions n° 87, 98 et 135 dont Djibouti est signataire depuis 1978, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ainsi que la Déclaration universelle des droits de l’Homme
 Réintégrer sans condition les syndicalistes abusivement licenciés depuis septembre 1995 et payer leurs arriérés de salaires

4 – Atteintes aux droits des défenseurs des droits de l’Homme3

Jean Paul Noël Abdi a été arrêté et condamné par le Tribunal Correctionnel de Djibouti pour « divulgation de fausses nouvelles » et « diffamation » à la peine de 6 mois d’emprisonnement. Était en cause la publication d’une note d’information intitulée « Le Day, zone de non droit » où il faisait état de la découverte d’un charnier dans le village du Day (district de Tadjourah) comprenant les corps de sept civils qui auraient été tués par les forces gouvernementales en 1994, ainsi que du viol dans ce même village en février 2007 d’une jeune fille sourde et muette par un sergent de la garde républicaine. Sa libération est intervenue le 11 avril 2007 à la suite d’une décision de la Cour d’appel de Djibouti le condamnant à 1 an de prison dont 11 mois avec sursis. Ces faits sont contraires aux dispositions de la Déclaration des Nations unies sur la protection des défenseurs adoptée par l’Assemblée Générale en 1998.

La LDDH et la FIDH souhaiteraient que le Conseil recommande au gouvernement djiboutien de :

 Cesser les intimidations, harcèlements, arrestations et détentions arbitraires des opposants politiques, syndicalistes et défenseurs des droits de l’Homme

5 - Atteintes aux libertés d’information et d’expression

L’article 14 de la loi n°2/AN/92/2e L relative à la liberté de communication promulguée le 15/09/1992 recommande que « les propriétaires, associés, actionnaires, commanditaires, bailleurs de fonds ou autres participants à la vie financière d’un organe de presse doivent être de nationalité djiboutienne ». Cette disposition est discriminatoire dans le but d’écarter les investisseurs étrangers et tenir les medias sous le contrôle des autorités.
L’article 17 exige par ailleurs que le directeur et le co-directeur d’un media résident à Djibouti, sous peine d’illégalité
L’article 47 exige quant à lui que le directeur d’une publication audiovisuelle soit obligatoirement âgé de plus de 40 ans. C’est un article discriminatoire qui limite le droit à la liberté d’opinion et d’expression.

En conséquence de ces restrictions légales à la liberté d’information, il n’existe dans le pays qu’une chaîne de télévision et une radio (Radio et Télévision de Djibouti) qui sont des medias dit publics. Il n’existe, par ailleurs, qu’une seule société privée audiovisuelle qui exploite un bouquet de chaînes étrangères en location. Cette société privée est la propriété de dignitaires du régime. De ce fait, quand une émission touchant à la gestion économique, sociale, financière ou politique du pays est programmée sur une des chaînes du bouquet, celle-ci est censurée. Enfin, l’émetteur local de Radio France Internationale qui émettait sur FM est fermé depuis janvier 2005 sur décision politique du régime djiboutien.

Une association de journalistes djiboutiens indépendants présidé par le directeur de publication du Renouveau, Daher Ahmed Farah, a soumis en octobre 2001 une demande d’ouverture d’une radio libre au gouvernement. En vain. La demande de licence a eu pour seule réponse un article hostile du journal La Nation.

Par ailleurs, Le Renouveau, le journal du parti de l’opposition « Mouvement pour le Renouveau démocratique et le Développement » était le dernier journal indépendant et libre qui paraissait à Djibouti mais il est interdit depuis mai 2007. Comme les plaintes pour diffamation et fausses nouvelles portées par le régime depuis février 2007 se sont révélées infondées, le président Ismaël Omar Guelleh a mis en avant l’article 17 de la loi n°2/AN/92/2e L relative à la liberté de communication qui impose au directeur de publication de résider à Djibouti.

Enfin le seul opérateur d’Internet du pays Djibouti-Telecom est sous le contrôle de l’Etat djiboutien. Le parti au pouvoir ayant constaté l’audience croissante auprès de la population de ces nouvelles sources d’informations a censuré de nombreux sites, tels que ceux des organisations de défense des droits de l’Homme et des partis politiques de l’opposition.

La LDDH et la FIDH souhaiteraient que le Conseil recommande au gouvernement djiboutien de :
 Réformer la loi n°2/AN/92/2e L relative à la liberté de communication pour respecter les libertés d’expression, d’opinion et d’information ;
 Lever immédiatement la censure imposée aux différents supports médiatiques

Enfin, la LDDH et la FIDH souhaiteraient que le Conseil recommande au gouvernement djiboutien de :
 Garantir le droit à un procès équitable respectant les droits de la défense et l’indépendance effective de la justice à tous les djiboutiens et notamment aux syndicalistes, journalistes, militants et défenseurs des droits de l’Homme poursuivis en justice
 Soumettre les rapports périodiques aux mécanismes onusiens de protection des droits de l’Homme

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