Mwatana : La vie civile au Yémen se meurt

16/07/2019
Communiqué
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Les pratiques des belligérants ont miné la vie civile au Yémen pour la cinquième année consécutive, tandis que les mesures pour dissuader les auteurs de violations et lutter contre l’impunité restent cruellement insuffisantes, a déclaré Mwatana for Human Rights lors du lancement de son rapport annuel 2018 aujourd’hui à Paris. Pour l’organisation yéménite de défense des droits humains, l’ampleur des violations des droits au Yémen souligne l’urgence de la création d’une commission d’enquête par le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU en septembre prochain.

Le rapport annuel de Mwatana, Vie en péril : La situation des droits humains au Yémen en 2018 est basé sur des recherches et des enquêtes de terrain menées par les équipes de Mwatana for Human Rights, qui ont réalisé 2 065 entretiens en arabe avec des victimes, leurs proches, des témoins oculaires et du personnel médical et humanitaire.

Les parties au conflit ont sévèrement exacerbé la crise humanitaire. Les frappes aériennes et les bombardements ont tué et blessé des civils, touché des écoles, des hôpitaux, des établissements médicaux et du personnel médical. Le groupe armé Ansar Allah (Houthis), les forces soutenues par les Émirats arabes unis, les forces gouvernementales yéménites ont capturé, torturé et détenu arbitrairement des centaines de personnes. L’Arabie saoudite a détenu et maltraité des pêcheurs yéménites en Arabie saoudite.

Le groupe armé Houthi a posé des mines antipersonnel. Les deux parties ont enrôlé des enfants. Des frappes de drones américains ont tué et blessé des civils. Des cas de violence sexuelle ont commencé à émerger.
« Chaque jour que dure cette guerre, les parties belligérantes sapent un peu plus la vie des populations civiles et le tissu social yéménite », a déclaré Radhya Al Mutawakel, présidente de Mwatana for Human Rights. « Les civils agonisent tandis que les États hésitent à prendre des mesures urgentes qui s’imposent, comme la fin du soutien militaire aux parties belligérantes et la lutte contre l’impunité. Les Yéménites méritent, comme tout un chacun, une chance de vivre et de vivre en paix. »

Les États ne peuvent pas répondre à la crise humanitaire sans traiter la crise des droits humains, estime Mwatana.
Le blocage, l’obstruction et l’entrave à l’acheminement de l’aide humanitaire et des biens vitaux ont un impact dévastateur, étant donné les millions de civils qui sont d’ores et déjà menacés par la famine. Mwatana a documenté 74 cas d’entrave à l’aide et à l’accès humanitaire. La majorité sont le fait d’Ansar Allah (Houthis). Le gouvernement yéménite et les forces de la coalition ont également fait obstruction à l’aide humanitaire.
La liberté de circulation à l’intérieur et à l’extérieur du Yémen a considérablement diminué tout au long du conflit. Les postes de contrôle – notamment à Marib, Taizz, Al Bayda, Al Dhale et Lahj – discriminent parfois les voyageurs en fonction de leur identité, ou les exploitent financièrement, dans un contexte où des millions de personnes luttent déjà pour se nourrir et nourrir leur famille.

La coalition menée par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis refuse toujours de rouvrir l’aéroport de Sana’a, près de trois ans après l’avoir fermé.
Ni le groupe armé Houthi, ni la coalition dirigée par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, ni aucune autre partie au conflit n’ont été tenus de répondre de leurs actes. Conséquence de cet échec, les exactions dont les civils yéménites ont été victimes au début du conflit se poursuivent à ce jour. La création par le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU du Groupe d’éminents experts sur le Yémen en septembre 2017 a été un pas important dans la lutte contre l’impunité, mais la gravité de la crise humanitaire et des droits humains au Yémen exige que l’on fasse davantage, notamment en créant une Commission d’enquête.

Le groupe armé Houthi a eu recours aux mines antipersonnel et antichars depuis les premiers jours de la guerre. Les mines ont joué un rôle important dans la bataille pour la côte ouest du Yémen et ont gravement affecté les civils dans l’ensemble du pays. Pour la seule année 2018, Mwatana a recensé 52 cas de mines terrestres, qui ont causé la mort d’au moins 60 civils, dont 8 femmes et 26 enfants, et blessé au moins 51 autres, dont 12 femmes et 21 enfants.
Les frappes aériennes de la coalition sur des civils n’ont pas cessé.
Mwatana a recensé environ 150 frappes aériennes de la coalition dans 11 gouvernorats en 2018 qui ont tué au moins 375 civils, dont 165 enfants, et en ont blessé 427 autres, dont 172 enfants. Les attaques ont endommagé des propriétés privées et des infrastructures essentielles et ont atteint des quartiers résidentiels, des villages, des routes, des marchés, des installations commerciales, des bateaux et des véhicules civils.

Le groupe armé Houthi, comme les forces loyales à la coalition et au gouvernement yéménite ont continué à lancer des attaques terrestres indiscriminées et à recruter des enfants. Le groupe armé Houthi est responsable de la grande majorité des 1 117 cas de recrutement d’enfants documentés par Mwatana en 2018, mais les forces de la coalition saoudo-émiratie et les forces loyales au Président Hadi ont également enrôlé des enfants. Des forces soutenues par la coalition ont été impliquées dans toute une gamme d’abus - de la torture aux violences sexuelles contre des enfants. Les États-Unis ont continué à mener des attaques de drones au Yémen qui ont tué et blessé des civils.

Des détentions arbitraires, des disparitions et des cas de torture, dans certains cas entraînant la mort, se sont poursuivis dans tout le pays. Des personnes ont été détenues et jugées devant les tribunaux en raison de leurs croyances religieuses, et d’autres ont été détenues pour leur travail journalistique. Si la majorité des victimes d’abus en contexte carcéral étaient des hommes, des femmes ont également été détenues, maltraitées et condamnées à mort à la suite de procès inéquitables. Mwatana appelle les États à user de leur influence sur les parties au conflit pour qu’elles libèrent les personnes détenues arbitrairement, élucident les disparitions et améliorent les conditions de détention.

L’espace dont disposaient les Yéménites avant le conflit pour s’exprimer, s’opposer et émettre des opinions critiques a pratiquement disparu. Les États soucieux de la reconstruction du Yémen après le conflit doivent soutenir la société civile dès maintenant, avant qu’elle ne soit anéantie, a averti Mwatana.

« Plus les États tardent à tenir les criminels de guerre saoudiens, émiratis et yéménites pour responsables de leurs actes, tant du côté des Houthis que de celui de Hadi, plus il sera difficile de reconstruire le Yémen », a déclaré Radhya Al Mutawakel. « L’impunité virtuelle qui règne actuellement encourage les parties belligérantes à poursuivre leurs terribles exactions. Le prix à payer n’est rien moins que la destruction du Yémen. »

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