Au cours de leur première décennie de mise en œuvre, les principes directeurs ont joué un rôle inestimable dans la définition de l’agenda international, devenant la norme de référence internationale pour les questions relatives aux entreprises et droits humains.
Toutefois, l’objectif de redevabilité pour les violations des droits humains commises par les entreprises reste un travail inachevé. Les changements de comportement des entreprises se sont produits à un rythme étonnamment lent, qui contraste avec les besoins urgents et croissants d’une société mondiale en proie à de profondes crises sociales, environnementales et économiques ; bien que les Etats et les entreprises aient commencé à mettre en œuvre un cadre pour prévenir et réparer les dommages causés par les entreprises aux êtres humains et à la planète, leurs engagements sont largement restés sur le papier. L’expérience de la FIDH et de ses organisations membres au cours de ces 10 années montre que :
• les violations des droits humains et environnementaux par les acteurs économiques non seulement se sont poursuivies mais se sont aggravées, ayant un impact négatif sur les secteurs vulnérables, notamment les populations autochtones, les paysans, les femmes et les enfants ;
• la criminalisation des défenseurs des droits humains dans le cadre de l’économie mondialisée a augmenté ;
• les personnes affectées continuent de se heurter aux mêmes obstacles en matière d’accès à la justice et à une réparation complète ;
• la participation de la société civile lors de l’élaboration des politiques publiques et d’entreprises a été limitée ;
• la plupart des engagements ne sont pas suivis d’actions concrètes de la part des entreprises et des Etats ni d’un engagement inclusif des parties prenantes.
S’il est vrai que le rôle normatif des principes directeurs est indéniable, la nature volontaire des principes directeurs s’est avérée insuffisante pour générer un changement systémique et conduire à la transformation du modèle d’entreprise si nécessaire à la construction d’un monde plus durable. Comme cette transformation ne peut attendre, nos organisations appellent à une feuille de route plus concrète et ambitieuse qui place l’accès à la justice et un ensemble de normes internationales robustes et contraignantes comme des étapes clés pour garantir la redevabilité des entreprises et la réparation pour les victimes.
Ce n’est que très récemment que la responsabilité incombant aux entreprises de respecter les droits humains a commencé à se transformer en obligations juridiques concrètes. Si quelques lois nationales récemment adoptées sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de droits humains et d’environnement dans les chaînes d’approvisionnement peuvent combler certaines lacunes qui permettent aux entreprises d’échapper à leurs responsabilités, la nature des obligations légales et des régimes de responsabilité devra être soigneusement calibrée et davantage clarifiée pour se prémunir contre les conséquences involontaires d’un devoir de vigilance purement formel qui pourrait protéger les entreprises tout en empêchant les victimes d’avoir accès à des voies de recours efficaces.
Récemment, des décisions judiciaires inédites ont montré le potentiel des cadres juridiques existants, mais nous observons que l’emprise des entreprises sur l’État reste le principal obstacle à des recours efficaces et à des changements systémiques. Il faudra aller au-delà de ce qui a été fait jusqu’à présent pour le surmonter. En 2012 après l’adoption des principes directeurs, les membres de la FIDH exprimaient déjà leurs inquiétudes quant aux limites des instruments de soft law et à leur opérationnalisation dans un contexte où les tensions entre la protection des droits humains et le modèle économique dominant étaient déjà latentes. Aujourd’hui, 10 ans plus tard, il est temps que les principes directeurs remédient à ce déséquilibre pour contribuer concrètement à prévenir et réparer les abus des entreprises et protéger efficacement les droits humains.