Syrie : En condamnant un ex-officier de police secrète pour crimes contre l’humanité, un tribunal allemand rend un verdict historique

01/03/2021
Communiqué
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THOMAS FREY / DPA / DPA PICTURE-ALLIANCE VIA AFP

La FIDH se félicite du verdict capital rendu à Coblence, en Allemagne, le 24 février 2021, dans une affaire concernant des crimes contre l’humanité commis par un acteur du régime de Bachar al-Assad en Syrie. Cette décision pourrait faire jurisprudence et ouvrir la voie à d’autres procès en dehors de la Syrie.

L’ancien agent des services secrets syriens Eyad A. a été condamné à quatre ans et demi de prison pour complicité de crimes contre l’humanité. En 2011, il a conduit des manifestants antigouvernementaux dans une prison secrète près de Damas, connue sous le nom d’Al Khatib, ou Branch 251, où ils ont été torturés et assassinés.

Eyad A. est un acteur de niveau intermédiaire, impliqué dans l’impressionnante machine de torture systématique du gouvernement syrien. Son affaire a d’importantes répercussions pour la recherche des acteurs responsables de ces atrocités qui depuis 2011, répriment la population, conduisent des arrestations massives et pratiquent la torture systématique et contribuent aux disparitions forcées et aux meurtres.

Le rôle clé des victimes et de la société civile

La condamnation d’Eyad A. a été rendue possible grâce au courage des victimes et des survivants. Mazen Darwish, un avocat syrien qui dirige le Centre syrien pour les médias et la liberté d’expression (SCM), a salué le rôle fondamental des survivants dans cette affaire. « Grâce à leur sincère détermination, ils ont créé un jalon que personne n’aurait pu imaginer il y a seulement quelques années. Nous ne pouvons que leur réaffirmer notre soutien ».

Le SCM, organisation membre de la FIDH, a joué un rôle essentiel, avec d’autres organisations de la société civile, en identifiant les auteurs, en rassemblant des preuves, en collaborant avec le procureur pour monter les dossiers et en fournissant des témoignages.
Darwish, lui-même détenu et torturé par le régime syrien durant trois ans et demi, a mis en perspective la teneur principale de l’affaire. « Le verdict rendu aujourd’hui par la Cour de Coblence n’est pas seulement une condamnation de l’accusé Eyad A. C’est une mise en accusation judiciaire de tous les services de sécurité en Syrie et de toutes les violations qu’ils ont commises. Et ce n’est que le début ».

Compétence universelle : la justice en Allemagne et dans d’autres pays tiers pour les crimes commis en Syrie

Un tribunal allemand a pu se saisir de l’affaire sur la base de la compétence universelle, grâce à laquelle certains abus du droit international peuvent être poursuivis dans un autre pays - l’Allemagne, en l’occurrence.

L’Allemagne, avec la Suède, est l’un des pays européens qui dispose de la forme la plus large de compétence universelle, permettant d’enquêter et de poursuivre les crimes internationaux graves commis à l’étranger, même lorsque ces crimes n’ont pas d’impact direct sur leurs intérêts nationaux. Cette compétence repose sur le principe que certains crimes choquent si profondément la conscience de l’humanité que chaque État a intérêt à ce que leurs auteurs répondent de leurs actes.

Étant donné que ces crimes n’ont pas pu être jugés en Syrie, étant donné le pouvoir du régime et l’absence d’un pouvoir judiciaire indépendant, et étant donné que les mains de la Cour pénale internationale sont liées en raison du droit de veto de la Russie, la poursuite des crimes dans des pays tiers est, pour l’instant, le moyen le plus viable de demander des comptes.

L’avocate Clémence Bectarte, qui coordonne le groupe d’action judiciaire (GAJ) de la FIDH, a expliqué à France Culture l’utilité de la compétence universelle pour les crimes commis en Syrie. « C’est la première conclusion d’un élan assez formidable qui a été porté depuis de nombreuses années, d’abord par des activistes syriens, des avocats syriens, des réfugiés, des victimes, des témoins soutenus ensuite par des ONG internationales qui ont voulu, devant l’ampleur des crimes commis par le régime de Bachar al-Assad, devant l’impuissance de la communauté internationale, devant l’échec de tenter de saisir la Cour pénale internationale, de déposer de plaintes en Europe devant des juridictions nationales en vertu de ce principe de compétence universelle. »

Quelle est la prochaine étape ?

Le procès d’un des supérieurs d’Eyad A., Anwar R., est en cours et un verdict est attendu cet automne. Les deux hommes ont été arrêtés par les autorités allemandes en 2019 et leur procès s’est ouvert en avril 2020. La condamnation d’Eyad A. sera, espérons-le, la première d’une longue série, afin que les abus brutaux commis au cours de la dernière décennie ne restent pas impunis.

« Ce verdict signifie qu’en fin de compte, nous obtiendrons justice. Cela signifie que lorsque les survivants prendront les devants dans leur lutte pour la justice et la responsabilisation, ils y parviendront ».

Mazen Darwish, directeur du Centre syrien pour les médias et la liberté d'expression

De nombreuses autres procédures fondées sur la compétence universelle ou extraterritoriale sont en cours pour des crimes commis en Syrie, y compris en France, où la FIDH, son groupe d’action judiciaire et le SCM sont très impliqués et participent en tant que parties civiles.

Le Mécanisme international, impartial et indépendant chargé de faciliter les enquêtes sur les violations les plus graves du droit international commises en République arabe syrienne depuis mars 2011 et d’aider à juger ceux qui en sont responsables (MIII) rassemble, analyse et préserve les preuves des crimes internationaux commis par divers acteurs en Syrie, afin de faciliter les procédures actuelles et futures, y compris les affaires de compétence universelle en Europe. La FIDH et le SCM sont activement impliqués dans la soumission d’informations et la collaboration avec le MIII.

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