Honduras : Agressions et criminalisation : les défenseurs des droits humains pris entre le marteau et l’enclume

03/05/2016
Communiqué
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Genève–Paris, le 3 mai 2016. L’assassinat de Berta Cáceres témoigne du fort degré de violence auquel sont exposés les défenseur(e)s des droits humains au Honduras. D’autres problèmes structurels tels que le recours abusif aux poursuites pénales contre les défenseur(e)s, l’impunité dont jouissent leurs agresseurs, l’absence de mesures de protection efficaces et le rôle croissant de l’armée font du Honduras l’un des pays de la région les plus dangereux pour les militants des droits humains, selon une déclaration publiée aujourd’hui par l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme (OMCT-FIDH).

La situation difficile des défenseur(e)s des droits humains au Honduras suscite depuis plusieurs semaines une attention particulière au niveau international après l’assassinat de Berta Cáceres [1], une défenseure des droits humains à laquelle la Commission interaméricaine des droits de l’Homme (CIDH) avait octroyé des mesures conservatoires.

Ce crime ne constitue pourtant que la partie émergée de l’iceberg dans ce pays d’Amérique centrale caractérisé par un climat de violence extrême à l’encontre des défenseurs des droits humains. L’assassinat de Nelson García, autre membre du Conseil civique des organisations populaires et indigènes du Honduras (COPINH), perpétré le 15 mars 2016, ou les quarante agressions, dont six assassinats, recensées depuis juillet 2015 contre des membres des associations LGTBI Arcoíris et Asociación Jóvenes en Movimiento (Somos CDC) (AJEM) figurent parmi les exemples les plus récents mais la liste des violences infligées aux défenseurs des droits humains est beaucoup plus longue [2].

Après avoir conduit une mission internationale au Honduras du 11 au 15 avril (voir « Contexte »), l’Observatoire a conclu qu’un tel climat de violence et d’agressions à l’égard des défenseurs des droits humains appelait l’adoption urgente de mesures exhaustives et concrètes par l’État hondurien. En avril 2015, le Congrès national du Honduras a approuvé la Loi sur la protection des défenseurs des droits de l’Homme, des journalistes, des professionnels des médias et des fonctionnaires de justice. S’il s’agit d’une avancée positive qui témoigne d’une reconnaissance de la vulnérabilité des défenseurs des droits humains et de la légitimité de leur action, certaines préoccupations subsistent quant au libellé du texte de loi, à son absence de mise en œuvre et au retard pris dans l’élaboration du règlement d’application. L’Observatoire prescrit d’engager de manière prioritaire le débat sur le règlement d’application de la loi sur la protection des défenseurs afin que la société civile dispose d’un délai suffisant pour s’organiser et participer de manière active au processus d’élaboration.

En sus d’assurer la mise en œuvre de la loi, le Honduras doit entreprendre une démarche résolue en faveur de l’exécution des mesures conservatoires ordonnées par la CIDH et promouvoir un environnement favorable pour les défenseurs des droits humains, y compris au travers de mesures visant à proscrire toute déclaration de nature à stigmatiser l’action des défenseur(e)s, que de telles déclarations émanent des pouvoirs publics, comme se fut notamment le cas lors de l’Examen périodique universel du Honduras par les Nations unies, ou d’autres acteurs influents au sein de la société. Une autre recommandation consiste à mettre fin à la militarisation de la sécurité civile qui n’a cessé de s’intensifier depuis la création de la police militaire.

"La présence accrue de l’armée dans les institutions et sur le territoire, qui se traduit par une participation active des forces militaires à des missions de sécurité civile, n’est pas seulement contraire aux normes internationales ; comme l’ont montré des situations comparables dans d’autres pays de la région, la militarisation engendre une plus grande violence et des agressions plus nombreuses contre les défenseur(e)s des droits humains. Au lieu de persister sur la voie de la militarisation, il conviendrait de renforcer les rangs de la police civile, en la dotant de moyens suffisants et en veillant au respect des droits humains par cette dernière."

Miguel Martín Zumalacárregui, Directeur du bureau de l’OMCT à Bruxelles

L’Observatoire a reçu des informations faisant état d’un recours abusif au droit pénal — bien souvent avec la complicité, voire à l’initiative, d’acteurs privés — faisant régner un climat d’intimidation parmi les défenseurs, y compris les militants pour le droit à la terre et les représentants des médias, en butte à des poursuites pénales. La diffamation, l’incitation à la violence, l’« usurpation spéciale » en cas d’occupation d’édifices publics par des étudiants ou encore la sédition figurent parmi les accusations portées à leur encontre.

"Le processus de réforme du Code pénal engagé par le Congrès hondurien offre une occasion historique d’adapter les dispositions aux normes internationales et de rectifier certaines définitions dont la rédaction trop vague ou trop imprécise peut rendre passibles de poursuites pénales les activités légitimes des défenseur(e)s des droits humains."

Helena Solà Martín, Coordinatrice du programme de l’OMCT pour l’Amérique latine

Le nombre élevé de poursuites pénales engagées contre les défenseurs des droits humains contraste fortement avec l’inefficacité du ministère public et du système judiciaire honduriens dans les actions menées contre les agresseurs des militants, de sorte que l’impunité règne, en l’absence d’enquêtes sérieuses et de sanctions en réponse aux plaintes déposées. Il conviendrait de créer au sein du ministère public une unité spéciale dédiée aux défenseur(e)s des droits des personnes LGBTI, l’un des groupes les plus vulnérables au Honduras, et de la doter de moyens suffisants pour riposter de manière efficace contre les agressions croissantes ciblant les membres de la communauté LGBTI. Par ailleurs, l’Observatoire a recueilli de nombreux témoignages faisant état d’une tendance préoccupante consistant à empêcher ou à dissuader les défenseurs de porter plainte en usant de violences physiques ou de menaces de représailles.

L’Observatoire a également recueilli des données concordantes, notamment auprès de membres des communautés de Zacate Grande et de San Francisco de Locomapa, faisant apparaître un lien étroit entre l’octroi de concessions sur les terres et les ressources naturelles sans le consentement libre, préalable et éclairé des communautés, et des niveaux élevés d’agressions et d’actions pénales contre les militants du droit à la terre.

"En mars, le Conseil des droits de l’homme de l’Organisation des Nations unies a approuvé une résolution, soutenue notamment par le Honduras, visant à améliorer la protection des défenseur(e)s des droits économiques, sociaux et culturels. Dans le contexte actuel, et afin de réaffirmer son engagement dans la lutte contre les causes structurelles des agressions contre les défenseur(e)s du droit à la terre, le pays devrait faire de la mise en œuvre effective de la Convention n° 169 relative aux peuples indigènes et tribaux de l’Organisation internationale du travail une priorité."

Anabella Sibrián, Représentante pour l’Amérique centrale de la Plate-forme internationale contre l’impunité

Contexte

Du 11 au 15 avril 201, l’Observatoire a conduit au Honduras une mission d’enquête dont l’objectif consistait à analyser la situation des défenseur(e)s des droits humains dans ce pays d’Amérique centrale et, plus particulièrement, celle des militants du droit à la terre et des droits de la communauté LGBTI.

Les membres de la mission de l’Observatoire se sont entretenus avec des représentants de deux institutions publiques qu’ils tiennent à remercier pour leur collaboration, la Cour suprême de justice et le Commissariat national pour les droits de l’Homme. Des entrevues ont également eu lieu avec des membres du bureau du Haut commissariat des Nations unies aux droits de l’homme au Honduras et avec des représentants des ambassades de l’Union européenne et du royaume d’Espagne.

En outre, les membres de la mission ont recueilli le témoignage de défenseur(e)s des droits humainset de représentants d’organisations de la société civile lors de plusieurs rencontres à San Pedro Sula, Tegucigalpa, dans la péninsule de Zacate Grande et dans le département de Santa Bárbara.

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