Colombie : la FIDH et le CAJAR dénoncent les zones d’ombres concernant les crimes commis par des agents de l’État

14/12/2020
Communiqué
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Bogotá, La Haye, Paris - Le 24 novembre 2020, la FIDH et le CAJAR ont remis à la Cour pénale internationale (CPI) un rapport identifiant les zones d’ombres qui subsistent en matière d’impunité des crimes internationaux au sein du processus judiciaire en Colombie. Nous publions aujourd’hui ce document. Celui-ci dénonce notamment que le Bureau du procureur général de Colombie a suspendu les enquêtes et les poursuites dans toutes les affaires qu’il considère en lien avec le conflit armé.

Le rapport FIDH-CAJAR, intitulé “Colombia en riesgo de impunidad : Los puntos ciegos en la justicia transicional y los crímenes internacionales bajo la jurisdicción de la CPI” montre que certaines victimes d’exécutions extrajudiciaires, de violences sexuelles et de massacres perpétrés par des agents de l’État sont actuellement confrontées à un vide juridique. Cela est dû au fait que le mécanisme de justice transitionnelle appelé Jurisdicción Especial para la Paz (JEP) (en français, « Juridiction spéciale pour la paix ») n’assume toujours pas sa compétence, et que l’autorité judiciaire chargée de l’enquête, le Bureau du procureur général, refuse de prendre des mesures pour faire avancer le procès.

D’après notre analyse, cette situation est le résultat de l’interprétation restrictive de l’article 79 (j) de la Loi organique de la JEP [1], devenue la réglementation officielle avec la publication de la circulaire 003 du 3 octobre 2018, mise à jour le 22 juillet 2019 par le Bureau du procureur général. Cela est contraire au principe de collaboration harmonieuse entre la justice ordinaire et la justice transitionnelle, puisque la JEP elle-même a clairement indiqué que les enquêtes et les procédures judiciaires ne peuvent être suspendues tant que cette juridiction n’aura pas assumé formellement sa compétence juridictionnelle et annonce la publication de la résolution des conclusions sur ces affaires [2]. En outre, la JSP doit pouvoir s’appuyer sur les enquêtes menées par le Bureau du procureur général lorsqu’il aura assumé sa compétence.

« Si rien n’est fait, ce flou pourrait durer des années, suscitant inutilement davantage d’angoisse chez les victimes et leurs familles, et multipliant les chances pour que de telles atrocités restent impunies », a déclaré Reinaldo Villalba Vargas, vice-président de la FIDH et président du Colectivo de Abogados José Alvear Restrepo (CAJAR).

Nous lançons un appel au Bureau du procureur de la CPI pour que toutes ces conclusions soient prises en compte dans son évaluation du principe de complémentarité dans le cadre de l’examen préliminaire en cours sur la situation en Colombie.

Le rapport de la FIDH et du CAJAR dénonce également le fait que la Justice pénale militaire et policière (JPMP), chargée d’enquêter sur les actes présumés commis par des agents de l’État n’a pas « agi [de manière] impartiale, indépendante » selon les termes de la Cour suprême colombienne, et n’a pas non plus contribué de manière adéquate aux dossiers ouverts auprès de la JEP.

Deux ans après le début du fonctionnement de la Juridiction spéciale pour la paix, aucune information n’existe indiquant que la JPMP a soumis un rapport à la JEP (comme elle est tenue de le faire en vertu de l’article 79 de la loi de procédure 1922 de 2018). La JEP elle-même a attiré l’attention sur l’absence de coopération de la JPMP dans les enquêtes sur les exécutions extrajudiciaires. Par exemple, dans l’affaire 003, dans laquelle des fosses communes ont été découvertes dans le cimetière de Dabeiba, la JEP a observé que la JPMP n’avait connaissance que de 10 affaires liées à de telles exécutions, et qu’aucune d’entre elles n’avait connu de progrès significatifs dans la poursuite des responsables. De même, dans l’affaire 004 de la « Situation territoriale d’Urabá », la JPMP n’a pas fourni les informations demandées par la Justice transitionnelle. [3]

La FIDH et le CAJAR expriment également leur préoccupation concernant la Commission d’enquête et d’accusation de la Chambre des députés, une entité qui n’a communiqué aucune décision substantielle au cours de ses 22 années d’existence et qui n’a progressé que dans une seule de ses 3500 procédures ouvertes. Il s’agit d’une situation inquiétante, car cette entité est chargée de faire progresser sur le plan judiciaire les procédures relatives aux crimes graves commis contre des fonctionnaires de haut niveau, qui ne sont pas invités à comparaître devant les mécanismes de la justice transitionnelle, précisément parce que la Cour constitutionnelle a décidé de confier ces procédures aux tribunaux et entités judiciaires ordinaires (arrêt C-674 de 2017).

Notes

[1] Cet article établit que lorsque la Chambre pour la reconnaissance de la vérité, l’obligation de rendre des comptes et l’établissement des faits et des comportements annoncera publiquement qu’elle présentera la résolution des conclusions sur certains faits au Tribunal pour la paix dans un délai de trois mois, le Bureau du procureur général ou l’organisme d’enquête devra renvoyer l’ensemble de l’enquête au Tribunal pour la paix et cessera d’être compétent pour continuer à enquêter sur ces faits.

[2] Voir Juridiction spéciale pour la paix. Chambre de définition de la situation juridique. Ordonnance 1142 du 28 février 2020. p. 33.

[3] Voir Juridiction spéciale pour la paix. Chambre de reconnaissance de la vérité et de la responsabilité des actes et des comportements. Arrêté du 2 mars 2020 : https://relatoria.jep.gov.co/documentos/providencias/1/1/Auto_SRVR-04-01-09-20_03-marzo-2020.pdf

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