La FIDH envoie en urgence une mission d’observation au Chili compte tenu des conditions actuelles d’application de la loi antiterroriste à l’encontre des Mapuches

Paris, Temuco, 27 septembre 2017- La FIDH et l’Observatorio Ciudadano expriment leur profonde inquiétude et condamnent un recours de plus en plus fréquent à la loi réprimant les actes terroristes par l’État chilien en vue de poursuivre les membres du peuple mapuche dont certains défenseurs des droits humains. Ils s’insurgent également contre l’utilisation abusive et disproportionnée des forces de police à l’encontre des membres de la communauté mapuche, dont certaines victimes sont des enfants. Dans ce contexte, la FIDH a prévu d’envoyer en urgence une mission au Chili du 2 au 6 octobre 2017.

La loi antiterroriste est actuellement utilisée à l’encontre de 23 Mapuches qui sont mis en examen dans plusieurs affaires par la commission d’infractions terroristes, notamment pour les chefs d’accusation d’incendie volontaire à caractère terroriste ayant entraîné la mort, incendie terroriste et association de malfaiteurs terroriste. L’affaire la plus emblématique est celle qui se solde par la mort du couple Luchsinger Mackay et dans laquelle le ministère public a requis une peine de réclusion à perpétuité pour dix Mapuches inculpés, dont la machi et autorité traditionnelle du peuple mapuche, Francisca Linconao. Il convient de souligner que dans ce procès instruit par le Tribunal de procédure orale en matière pénale de Temuco, dans lequel le ministère de l’Intérieur se porte partie civile, la majorité des inculpés sont placés en détention provisoire depuis un an et demi, sans cause réelle et sérieuse, ce qui constitue une violation flagrante du droit à la présomption d’innocence.

Un autre exemple est celui du procès d’Alfredo Tralcal et des frères Ariel, Benito et Pablo Trolcol, tous membres de la communauté mapuche. Ces derniers ont été inculpés en juin 2016 sur accusation du ministère public et du gouvernement pour avoir provoqué un incendie à caractère terroriste. Ces détentions se sont produites suite à l’ouverture d’une enquête sur l’attaque contre une église évangélique dans la commune Padre Las Casas, perpétrée le même mois. Depuis lors, les accusés sont placés en détention provisoire dans le cadre d’un procès qui dure depuis plus de 15 mois.

En guise de protestation, les membres de la communauté mapuche ont entamé une grève de la faim de 112 jours afin d’accroître la visibilité de leur cause et d’exiger la reconnaissance de leur droit à un procès équitable, la tenue du procès dans un délai raisonnable, la non-application de la loi réprimant les actes terroristes et la non-utilisation de témoins dont l’identité est protégée, ainsi que l’abrogation de la mesure de maintien en détention provisoire dont ils font actuellement l’objet. Le Colegio Médico de Chile (association de médecins chiliens) fait état de la perte de poids continue des grévistes et de la dégradation de leurs fonctions vitales, ce qui laisse craindre pour leur vie. Malgré tout, le gouvernement n’a toujours pas abandonné ses poursuites et maintient le recours à la loi réprimant les actes terroristes.

La situation s’est aggravée depuis le 23 septembre dernier, lorsque huit dirigeants et autorités traditionnelles mapuches accusés d’actes d’incendie et d’association de malfaiteurs terroriste en vertu de la législation en vigueur, ont été arrêtés au cours d’une intervention des forces de police et des renseignements, dénommée « Ouragan ». Face à l’urgence de la situation, la FIDH a décidé d’envoyer une mission d’observation. Cette arrestation a été prononcée oralement et non par écrit à la suite d’une réunion de coordination des forces de police, du ministère public, du ministère de l’Intérieur ainsi que des juges, avec de fortes présomptions de violences disproportionnées. Dans 3 cas de détention sur huit, des enfants étaient présents : certains ont été pris pour cibles, d’autres ont réussi à s’enfuir et à trouver refuge dans les environs. Dans la continuité de ces actions, l’entrée dans un foyer étudiant a été forcée et un campement pacifique, qui s’était établi face à la prison publique de Temuco en soutien aux détenus mapuches en grève de la faim, a été expulsé.

Les forces de police chiliennes ont adopté un comportement abusif sur le terrain face aux membres de la communauté mapuche de manière répétée. De même, l’État chilien a été mis en cause notamment par le Comité contre la torture (2009), le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale (2013), et le Comité des droits de l’Homme (2014). Il convient de rappeler que l’État chilien a été condamné par la Cour interaméricaine des droits de l’Homme dans le cadre de l’affaire « Norin Catriman et autres contre la République du Chili » pour violation du principe d’égalité et de non-discrimination et des droits de la défense, suite à l’application de la loi antiterroriste à l’encontre de 8 militants et dirigeants mapuches. Le tribunal avait lui-même décrété que cette loi portait atteinte aux principes de légalité et de présomption d’innocence.
La FIDH et l’Observatorio Ciudadano demandent à l’État chilien de renoncer à sa volonté de qualifier de terroristes les actes faisant l’objet de poursuites judiciaires dans ces affaires et de garantir le respect des droits des accusés à la présomption d’innocence et à un procès équitable. La FIDH demande également que d’autres mesures conformes à la jurisprudence de la Cour interaméricaine des droits de l’Homme soient prévues en remplacement de la détention préventive.

Conformément à ladite jurisprudence, au moment d’interpréter et d’appliquer la législation nationale, les États doivent tenir compte des caractéristiques propres aux membres des peuples indigènes qui définissent leur identité culturelle et les différencient de la population en général. Ils doivent également prendre en considération que la durée prolongée de la détention provisoire peut affecter différemment les membres de peuples indigènes en raison de leurs spécificités économiques, sociales et culturelles.

Enfin, nous invitons le gouvernement du Chili à assumer les obligations qu’il a souscrites en ratifiant la Convention 169 de l’Organisation internationale du travail relative aux peuples indigènes et tribaux et la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et à prendre certaines mesures visant à reconnaître les droits politiques et territoriaux du peuple mapuche, qui ont été niés jusqu’ici, au lieu de privilégier une politique criminelle et policière visant à sanctionner les infractions prétendument commises dans le cadre de la contestation sociale des Mapuches. Cette position est la seule manière de garantir une paix stable dans cette région du pays.

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