Résolution sur la justice en Afrique

27/08/2016
Déclaration
en es fr

Présentée par Association Malienne des Droits de l’Homme (AMDH), la Ligue Ivoirienne des Droits de l’Homme (LIDHO), le Mouvement Ivoirien des Droits Humains (MIDH), Association Africaine des Droits de l’Homme (ASADHO), Ligue des Electeurs (LE), Groupe Lotus (GL), la Ligue sénégalaise des droits Humains (LSDH), Rencontre Africaine pour la Défense des Droits de l’Homme (RADDHO), Ligue Centrafricaine des Droits de l’Homme (LCDH), Organisation Guinéenne des droits de l’Homme et du Citoyen (OGDH), Ligue Tchadienne des droits de l’Homme (LTDH), Ligue ITEKA

Rappelant les disposition de l’Acte Constitutif de l’Union Africaine, donnant mandat à l’organisation de promouvoir et protéger les droits humains et des peuples, les principes démocratiques et de bonnes gouvernance, la paix et la sécurité et de condamner et rejeter l’impunité ;

Rappelant les dispositions de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (Charte Africaine), ratifiée par tous les Etats membres de l’Union Africaine, et reconnaissant les droits et libertés dont jouissent les individus et les peuples sur le continent africain, notamment le droit à la vie, à l’intégrité et à la dignité.

Accueillant la ratification du Protocole relatif à la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l’Homme et des Peuples par 30 Etats africains, constatant le dépôt par 7 d’entre eux de la déclaration accordant aux individus et ONGs l’accès direct à la Cour ; et reconnaissant le développement de la jurisprudence de la Cour au cours de ses premières années de fonctionnement comme une importante contribution au renforcement du système de protection des droits humains africain dans son ensemble et de la protection des droits consacrés par la Charte Africaine en particulier ;

Constatant l’adoption par l’Union Africaine d’un Protocole portant amendements au Protocole portant Statut de la Cour Africaine de Justice et des Droits de l’Homme étendant l’autorité de la Cour et lui conférant compétence pénale pour juger les individus et personnes morales responsables de crimes, notamment de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et de génocide ; déplorant que ce Protocole comprenne une clause d’immunité pour les chefs d’État en fonction et les hauts représentants d’État, qu’il ne garantisse pas explicitement aux victimes le droit de participer à toutes les étapes de la procédure, et qu’il limite considérablement la possibilité des individus et des ONGs de saisir directement la Cour ;

Rappelant que 34 Etats africains sont parties au Statut de Rome de la Cour Pénale Internationale (CPI) et se sont volontairement engagés à soutenir ses enquêtes et poursuites pour les crimes internationaux et à rejeter les immunités pour les personnes responsables de telles atrocités ;

Se félicitant des jugements récents rendus par la CPI qui représentent des étapes cruciales dans la lutte pour la justice pour les victimes de crimes internationaux en République Démocratique du Congo et en République Centrafricaine ; et en particulier insistant sur l’importance du jugement rendu à l’encontre de Jean-Pierre Bemba en tant que premier supérieur hiérarchique reconnu coupable de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, y compris les crimes de violences sexuelles par la CPI ;

Profondément préoccupée d’autre part par l’impossibilité de la CPI à rendre justice aux victimes dans d’autres situations où elle a compétence , en particulier au Kenya où les affaires ont été suspendues en raison du manque de preuves du à l’absence de coopération de l’État et à la subornation de témoins par les autorités nationales, et au Soudan où les individus visés par des mandats d’arrêt, dont le Chef d’État et plusieurs ministres depuis des années sont toujours en fuite, en raison d’un grave défaut de coopération des Etats, y compris des Etats parties au statut de la CPI Profondément préoccupée par ailleurs de la méfiance grandissante exprimée par l’Union Africaine envers la CPI, notamment dans sa résolution de janvier 2016 décidant de la mise en place d’une stratégie globale de retrait collectif du Statut de Rome, mais constatant cependant que cette stratégie n’a pas été confirmée par le Sommet de l’Union Africaine de juillet 2016 ;

Se félicitant du jugement historique contre l’ancien dictateur du Tchad Hissène Habré rendu par les Chambres Africaines Extraordinaires le 30 mai 2016 ; et rappelant qu’il s’agit du premier procès sur le sol africain d’un ancien chef d’État devant les juridictions d’un autre Etat, démontrant ainsi l’engagement de l’Union Africaine et de ses Etats membres à lutter contre l’impunité sur le continent et à assurer justice et réparation aux victimes des crimes les plus graves ;

Soulignant par conséquent l’importance que constitue le renforcement des capacités des autorités nationales afin d’être en mesure de réprimer efficacement les violations de la Charte Africaine et la commission de crimes internationaux. Rappelant que, conformément au principe de complémentarité, les juridictions régionales et internationales n’ont compétence sur les crimes internationaux qu’en cas d’incapacité ou de refus de la part des autorités nationales d’enquêter sur ces faits et d’en poursuivre leurs auteurs ;

Se félicitant ainsi du procès à venir devant les juridictions maliennes d’Haya Sanogo et de 17 autres leaders de l’ancienne junte militaire qui avait pris le pouvoir en juin 2012, mis en examen pour l’exécution de 21 soldats, et appelant à la tenue d’un procès public et équitable à cette occasion. Soulignant cependant avec préoccupation l’insuffisance des ressources allouées au système judiciaire permettant à de nombreux auteurs de crimes commis dans le Nord du pays d’échapper aux poursuites ;

Félicitant l’engagement des autorités en Guinée-Conakry à mettre en place les conditions nécessaires à la tenue d’un procès équitable pour les auteurs présumés du massacre du 28 septembre, notamment de Moussa Dadis Camara, chef de l’ancienne junte militaire, et soulignant qu’un tel procès représente une étape importante pour la lutte contre l’impunité en Guinée et pour le droit des victimes d’accéder à la vérité, à la justice et à la réparation ;

Constatant la mise en examen par les juridictions nationales de Côte d’Ivoire d’un grand nombre d’auteurs présumés des crimes post-électoraux de 2010-2011, y compris de militaires haut-gradés appartenant aux camps pro-Ouattara et pro-Gbagbo, mais rappelant la nécessité de mener une procédure judiciaire équitable, exhaustive et globale garantissant les droits de la défense et des victimes.

Profondément préoccupée par les graves violations des droits de l’homme en cours dans différentes parties du continent Africain, y compris les violences sexuelles et sexistes, qui peuvent constituer des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité et/ou un génocide, et révoltée par l’impunité rampante dont leurs auteurs continuent de bénéficier ;

Profondément préoccupée par la situation au Soudan du Sud, où de graves crimes constituant des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité sont commis depuis le début du conflit en décembre 2013 ; rappelant que les populations civiles sont toujours les principales cibles de ces atrocités ; et rappelant que l’accord de paix d’août 2015 prévoit l’établissement de mécanismes judiciaires, notamment d’une Cour Hybride ;

Profondément préoccupée par la situation en République Centrafricaine, où des crimes graves constitutifs de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité sont commis depuis 2012 par diverses factions armées ; rappelant que les populations civiles sont encore les principales victimes de telles atrocités ; profondément préoccupée par les allégations de viols et autres violences sexuelles et sexistes commises par le personnel de la MINUSCA à l’encontre de femmes et d’enfants ; appelant à l’établissement rapide de la Cour Pénale Spéciale prévue par la loi de juin 2015 pour juger les responsables de crimes internationaux commis en République Centrafricaine depuis 2003 et soutenu par les Nations Unies ;

Profondément préoccupée par la situation au Soudan, où de graves crimes, potentiellement constitutifs de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité continuent d’être commis dans la région du Darfour, du Nil Bleu et du Sud Kordofan où les populations civiles sont empêchées d’accéder à l’assistance humanitaire ; et rappelant que le Président Al-Bashir est visé par un mandat d’arrêt de la CPI depuis 2007 pour des crimes de génocide, des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre au Darfour mais n’a toujours pas été arrêté pour être transféré à la CPI ;

Profondément préoccupée par la situation au Burundi, où des crimes graves, pouvant être constitutifs de crimes contre l’humanité s’intensifient depuis avril 2015 ; et rappelant que le Procureur de la CPI a ouvert un examen préliminaire de la situation dans le pays depuis avril 2016 ;

Profondément préoccupée par la situation en République Démocratique du Congo, où des crimes graves, constitutifs de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité continuent d’être commis dans l’est du pays, notamment des massacres récents de civils dans la ville de Béni ; et rappelant que ces crimes commis en République Démocratique du Congo font l’objet d’une enquête conduite par la CPI depuis 2004.

La FIDH lors de son 39e Congrès à Johannesburg, Afrique du Sud :

Appelle les Etats africains à :
Garantir le droit à la vérité, à la justice et à la réparation aux victimes des violations les plus graves des droits humains et des crimes internationaux, notamment de crimes sexuels et sexistes, et la mise en œuvre effective de ces droits en droit interne ;

Garantir que de tels crimes soient rapidement et effectivement examinés de manière indépendante, exhaustive, crédible et impartiale et poursuivis devant les juridictions nationales, conformément aux standards de procès équitable reconnus internationalement ;

Soutenir pleinement le système africain de protection des droits humains, notamment en ratifiant le Protocole relatif à la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l’Homme et des Peuples, et en déposant la Déclaration Spéciale prévue par l’article 34(6) autorisant les individus et les ONGs à soumettre directement leurs plaintes à la Cour, s’ils ne l’ont pas encore fait ;

Soutenir pleinement le travail de la Cour Pénale Internationale, en ratifiant le Statut de Rome s’ils ne l’ont pas encore fait, en incorporant les dispositions du Statut de Rome en droit interne, et en coopérant avec la Cour dans ses efforts pour enquêter et poursuivre les responsables de crimes internationaux, y compris en mettant en œuvre les mandats d’arrêt ;

Appelle l’Union Africaine à :

Réitérer son engagement à lutter contre l’impunité pour les violations des droits humains les plus graves et les crimes internationaux, et à rejeter toutes les immunités pour leurs auteurs ;

Mettre en place la Cour Hybride pour juger les crimes commis au Soudan du Sud depuis décembre 2013 dans les plus brefs délais, comme recommandé par la Commission d’enquête de l’Union Africaine et comme prévu par l’Accord de paix d’août 2015 ;

Reconnaître que la Cour Pénale Internationale et l’Union Africaine ont des intérêts communs dans la lutte contre l’impunité pour les crimes internationaux en Afrique et que la majorité des Etats membres ont ratifié le Statut de Rome, et donc les enjoindre à coopérer avec la Cour ;

Soutenir pleinement le gouvernement centrafricain et les Nations Unies dans leurs efforts pour l’établissement d’une Cour Pénale Spéciale en République Centrafricaine compétente pour juger les auteurs des crimes commis depuis 2003 ;

Aider ses Etats membres à lutter contre l’impunité pour les violations des droits humains les plus graves en assurant un soutien politique, technique et financier aux procédures nationales liées à des crimes internationaux en cours et à venir, en conformité avec le principe de complémentarité avec la Cour Pénale Internationale.

Appelle l’Organisation des Nations unies à :

Condamner fermement toutes les violations des droits humains et crimes internationaux commis sur le continent africain, et soutenir les initiatives nationales, régionales et internationales qui visent à fournir justice et réparations pour les victimes de ces crimes ;

Soutenir, en coordination avec le gouvernement de République Centrafricaine, la mise en place d’une Cour Pénale Spéciale pour les crimes commis depuis 2003 dans le pays et fournir tout le soutien financier et technique nécessaire pour être pleinement opérationnelle dans les plus brefs délais ;

Soutenir l’Union Africaine pour l’établissement de la Cour Hybride du Soudan du Sud en lui permettant d’être pleinement opérationnelle dans les plus brefs délais ;

Créer une Commission d’enquête pour enquêter sur les crimes commis au Burundi depuis 2015, mandatée pour la Secrétaire Général des Nations unies et soutenue par l’Union Africaine ;

Appeler à la conduite effective et rapide d’enquêtes et de poursuites pour les crimes commis au Soudan dans les régions du Nil Bleu et du Sud Kordofan ;

Le Conseil de sécurité devrait donner suite aux rapport de la Procureure de la CPI sur la situation au Darfour et prendre les décisions qui s’imposent suite aux jugements de non-coopération de la CPI

Appelle la Cour Pénale Internationale à :

 Renforcer ses efforts pour promouvoir et garantir l’universalité de sa compétence ainsi que la complémentarité de celle-ci avec celles des juridictions nationales, comme elle le fait en Côte d’Ivoire, au Mali, en Guinée ou en République Centrafricaine ;

Mener des enquêtes effectives sur les crimes internationaux commis en République Démocratique du Congo, notamment les crimes récents commis au Béni ;

Ouvrir une enquête sur la situation au Burundi ;

Renforcer ses efforts pour promouvoir et assurer la coopération avec tous les Etats parties au Statut de Rome, et en particulier, pour la mise en œuvre des mandats d’arrêt émis pour les situations au Darfour, Soudan.

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