une population précarisée

l’Algérie présentera son rapport périodique lors de la 27ème session du Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies. La FIDH publie ce jour un rapport alternatif intitulé : "Algérie : une population précarisée".


Algérie
Violation des droits économiques, sociaux et culturels : Une population précarisée


En ratifiant en 1989, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, l’Algérie s’est engagée à "agir, au maximum de ses ressources disponibles, en vue d’assurer progressivement le plein exercice des droits reconnus dans le présent Pacte". Or, le rapport algérien au Comité élude les principales violations du Pacte dont l’Algérie se rend responsable. Pourtant, une analyse approfondie de la situation actuelle fait clairement ressortir ces violations, qui s’inscrivent également en contradiction avec d’autres engagements de l’Algérie, notamment au niveau régional. Le rapport officiel décrit un pays et une société très différents de ceux que la FIDH a rencontrés. Les témoignages recoupés, ainsi que les informations et les données statistiques algériennes et internationales recueillis pour cet examen reflètent en effet un décalage frappant entre le Pacte et la situation qui prévaut en Algérie.
Dix années de violations graves et systématiques de tous les droits de l’Homme.
La politique de Concorde civile, adoptée par référendum en septembre 1999, n’a pas permis de mettre un terme au conflit, et les violations flagrantes, massives et systématiques qui ont été perpétrées depuis dix ans n’ont toujours pas fait l’objet d’enquêtes sérieuses.
Le pays est toujours régi par le décret sur l’état d’urgence du 9 février 1992, et par une législation d’exception qui bride la vie politique et la libre expression de la société, réduisant le prétendu pluralisme de la société algérienne à un pluralisme de façade.
Non seulement le conflit qui marque l’Algérie depuis dix ans a contribué à accentuer les violations des droits économiques, sociaux et culturels, mais il est même patent qu’il a été utilisé par les autorités pour faire reculer ces droits, sans craindre les réactions d’une population terrorisée.
Certes, depuis que l’Algérie a ratifié le Pacte international relatif aux droit économiques, sociaux et culturel, plusieurs lois ont été adoptées dans les domaines économiques, sociaux et culturels. Ceci constitue un point positif, quoique la législation demeure, dans bien des domaines, en deçà des exigences du Pacte (Code de la famille, loi sur liberté syndicale...). Mais, déstabilisée par les violences subies au quotidien durant ces dix années, celles meurtrières des groupes armés, celles infligées par les forces de sécurité et celles dues à la négation de leurs droits économiques, sociaux ou culturels (au regard du chômage, de la cherté de la vie, du manque de logement, etc.), la population n’a pas eu l’énergie de contester ces mesures. D’autant plus que les champs d’expression sociale, culturelle et politique (médias, associations, syndicats, partis, etc.) subissent l’autoritarisme du pouvoir politique. Toutefois, on constate depuis le mois d’avril 2001 que, dès que le niveau de violence politique et la pression sécuritaire ont diminué, les Algériens sont descendus dans la rue, en Kabylie d’abord, puis dans de nombreuses régions du pays, réclamant le respect de leurs droits économiques, sociaux et culturels.
Les revendications exprimées par ces manifestants illustrent l’indivisibilité des droits de l’Homme : civils et politiques, économiques, sociaux et culturels. Les Algériens ne demandent pas seulement un logement et un travail, ils remettent aussi en cause les atteintes à l’Etat de droit, l’absence de démocratie, le népotisme, le clientélisme, les passe droits, la "hogra" (l’injustice doublée d’une atteinte à la dignité).
Les syndicats autonomes subissent enfin d’importantes restrictions et la liberté de la presse est placée sous la contrainte économique de l’État qui dispose de monopoles (papier, publicité). La question de la langue est instrumentalisée par les autorités qui cherchent à contenir les revendications sociales dans des bornes exclusivement linguistiques.
Au bout du compte, les Algériens sont soumis à un véritable enfermement économique, social et politique résultant de violations systématiques des droits de l’Homme. Ils en sont réduits à une sorte d’immobilisme forcé aussi bien dans l’espace exigu de leur habitat, que dans celui de leur quartier ou de leur ville qu’ils ont peine à quitter pour cause d’insécurité, ou encore du pays tout entier dont ils ne peuvent sortir qu’en obtenant un visa donné au compte goutte par les pays de destination. Il en est de même de l’immobilisme forcé dans le domaine des idées, de la culture ou des loisirs.
Mineures devant la loi, pratiquement rejetées du monde du travail, exclues de la vie publique, victimes de discriminations multiples, les femmes sont enfin tout particulièrement touchées par les violations des droits économiques, sociaux, culturels, civils et politiques, et maintenues dans une situation d’infériorité.

Un pays aux ressources multiples, une situation économique et sociale alarmante
Pourtant, l’Algérie ne manque ni de ressources ni de potentialités. Grâce à une hausse importante des prix du pétrole, l’Algérie disposerait actuellement d’importantes réserves de change qui dépassent une année d’importations, soit 15 milliards de dollars, et son excédent budgétaire ne cesse d’augmenter. De plus, les programmes d’ajustement structurel conclus avec les institutions de Bretton Woods en 1994 et 1995 ont abouti au rétablissement des équilibres macroéconomiques et financiers.
Malgré cela les Algériens voient aujourd’hui leurs conditions d’existence se dégrader, sans perspective d’amélioration. Le PNB par habitant ne cesse de chuter et les inégalités en termes de consommation sont criantes. Le chômage se stabilise à un niveau dramatique depuis 1994, touchant particulièrement les jeunes, et les créations d’emplois restent dérisoires. Les droits sociaux des Algériens ont reculé depuis dix ans, l’accès aux biens publics s’est profondément dégradé, et les conditions de logement sont particulièrement mauvaises.
Face à ces problèmes, le désengagement de l’Etat devient la règle : suppression du soutien des prix et des subventions, réduction des dépenses publiques dans les secteurs sociaux, liquidations et/ou privatisations d’actifs publics, licenciements, etc, sans que le secteur privé ne prenne le relais. Conséquence indirecte, mais réelle des programmes d’ajustement structurels, les systèmes éducatif et de santé se dégradent dangereusement avec la réduction des dépenses budgétaires qui leur étaient attribuées.
C’est ce qui permet d’expliquer cette peu enviable 100ème place qu’occupe l’Algérie dans le classement établi par le PNUD et basé sur l’Indicateur de développement humain. Ce hiatus pose en clair la question de la "mal gouvernance" qui caractérise l’Algérie.
Dix ans après l’interruption des élections, la société algérienne est muselée, isolée du monde et appauvrie. Sur une population de 30 millions, l’Algérie compte près de 7 millions de personnes qui vivent au-dessous du seuil de pauvreté et près de 14 millions de personnes sont plongées dans la précarité, victimes de violations flagrantes de leurs droits fondamentaux.
La FIDH appelle le Comité des droits économiques, sociaux et culturels à tirer toutes les conséquences de cette situation, elle appelle le gouvernement algérien à prendre des engagements précis, concrets et mesurables afin de mettre fin effectivement aux violations des droits économiques, sociaux et culturels constatées.
Au regard des violations graves du droit au logement et du droit à l’éducation, la FIDH appelle l’Algérie à inviter la Rapporteuse spéciale de la Commission des droits de l’Homme sur le droit à l’éducation, Mme Tomasevski, et le Rapporteur spécial sur le logement convenable, M. Khotary, à se rendre en Algérie dans les plus brefs délais.
La FIDH appelle les autorités à engager une politique de dialogue sur les droits de l’Homme, notamment avec les ONG internationales. Dans cet esprit, la FIDH renouvelle la demande qu’elle a adressée à trois reprises aux autorités algériennes au cours de l’année 2001, d’être de nouveau autorisée à se rendre dans le pays.

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