Instrumentalisation de la justice : les victimes et leurs défenseurs sur le banc des accusés

Depuis l’interruption en 1992 du processus électoral et la crise institutionnelle et politique qui s’en est suivie, la population algérienne s’est trouvée confrontée à la montée en puissance du terrorisme et à la répression accrue des forces militaires et paramilitaires. Chacune des parties tentant au travers d’attentats meurtriers et d’opérations "coup de poing", de faire basculer le rapport de force en sa faveur. Des milices paramilitaires, à l’instar de celle du chef milicien Fergane (Maire de Relizane) - armées par l’Etat et parfois encadrées par les forces régulières ou travaillant avec elles - ont participé à la lutte anti-terroriste au nom de la " légitime défense ". Les violations perpétrées par ces groupes ont alimenté la spirale d’une violence qu’elles avaient pourtant pour mission de combattre. Le conflit a causé à ce jour 200 000 morts, plus de 7 200 disparitions forcées, et quelques milliers d’exécutions extrajudiciaires.

Dans de très nombreux cas, les autorités n’ont pas donné suite aux demandes d’enquêtes dont elles ont été saisies par les familles des victimes, leurs avocats et les militants défenseurs des droits de l’Homme, garantissant ainsi l’impunité des forces de sécurité et des milices impliquées dans des violations massives des droits de l’Homme.

Dans ce contexte, les défenseurs des droits de l’Homme sont, depuis les années 90, une des cibles privilégiées de la répression. Ces deux dernières années, la répression s’est institutionnalisée et " légalisée " par la voie judiciaire. En 18 mois plus d’une vingtaine de plaintes ont été déposées contre des militants et l’Observatoire a suivi trois procès contre des défenseurs des droits de l’Homme, qui ont abouti à des peines d’emprisonnement. La répression "traditionnelle" a continué parallèlement à sévir : harcèlement, persécutions, terreur et pression sur les membres de la famille et de l’entourage, campagnes de dénigrement, coupures de téléphone, agressions, confiscation de papiers d’identités, surveillance policière....

Ce rapport met l’accent sur trois récentes procédures conduites contre des défenseurs des droits de l’Homme, procédures exemplaires par leur caractère arbitraire. Elles visent toutes à sanctionner des militants engagés sur la question des disparus en Algérie, dans la lutte contre l’impunité et pour la défense des droits économiques et sociaux de la population.

Il s’agit de Mohamed Smaïn, responsable de la section de Rélizane de la LADDH, arrêté en février 2001 après un séjour en France où il effectuait une mission d’information sur les violations des droits de l’Homme en Algérie et en particulier sur le dossier des disparus de Rélizane et d’Oran. Poursuivi par le chef milicien Fergane pour diffamation, il a été condamné en janvier 2002 à deux mois de prison, puis à un an d’emprisonnement et à une amende de 210 000 dinars en appel. Il a depuis saisi la Cour suprême.

M. Larbi Tahar, membre de la LADDH, a été arrêté lors de manifestations pacifiques les 4 et 5 octobre 2001 à Labiod Sid Echikh et condamné en appel pour " incitation à attroupement illégal, résistance aux forces de l’ordre, et dégradation de bien privé " à sept mois de prison ferme et à une amende de 5 000 dinars. M. Tahar est actuellement en prison.

M. Abderahmane Khelil, membre du Comité SOS-Disparus de la LADDH a été successivement arrêté en mars et en mai 2002. Placé en détention en lien avec ses activités d’enquête menées sur plusieurs arrestations d’étudiants de l’université de Bouzaréah (Alger) et inculpé pour " incitation à attroupement non armé ", il a été condamné à 6 mois de prison avec sursis.

Ces affaires témoignent des obstacles posés de façon systématique à tous ceux qui demandent que la lumière soit faite sur la question des disparus et que justice soit rendue. Dernier exemple en date : le mercredi 3 juillet 2002, les familles de disparus ont été empêchées de tenir leur rassemblement hebdomadaire devant le siège de la Commission Consultative pour la Défense et la Promotion des Droits de l’Homme, à Alger. Les manifestant(e)s ont été dispersé(e)s dans la violence ; de nombreuses femmes ont reçu des coups de matraques.

L’ensemble de ces faits s’inscrit en contradiction avec les dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ratifié par l’Algérie et la Déclaration des Nations unies sur les défenseurs des droits de l’Homme qui garantissent notamment la liberté d’opinion, d’expression, de réunion, d’association et le droit à un procès équitable.

L’Observatoire transmet ce rapport à la Représentante spéciale du Secrétaire général de l’ONU sur les défenseurs des droits de l’Homme, Mme Hina Jilani, et au Rapporteur spécial de la Commission des droits de l’Homme de l’ONU sur l’indépendance des juges et des avocats, M. Dato’ Param Cumaraswamy.

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