Les organisations soussignées sont gravement préoccupées par la récente annonce des autorités militaires du Myanmar selon laquelle les condamnations à mort prononcées à l’encontre de quatre personnes à l’issue de procédures manifestement inéquitables ont été approuvées en vue d’être mises en œuvre. Nous demandons instamment aux autorités militaires de mettre immédiatement un terme aux projets d’exécution, qui violeraient l’interdiction de la privation arbitraire de la vie énoncée dans le droit international des droits humains et le droit coutumier ; d’instaurer un moratoire officiel sur les exécutions, après plus de trois décennies sans aucune exécution ; et de mettre fin à la répression qui touche de larges pans de la population et qui sévit dans le pays depuis février 2021.
Le 3 juin, Zaw Min Tun, porte-parole de l’armée, a annoncé que les condamnations et les peines de mort prononcées à l’encontre de quatre hommes avaient été approuvées par le Conseil d’administration de l’État, ouvrant ainsi la voie à des exécutions mises en œuvre dans quelques semaines.
Des accusations politiquement motivées
Phyo Zeya Thaw, ancien membre de la Ligue nationale pour la démocratie d’Aung San Suu Kyi, et l’éminent militant pour la démocratie Kyaw Min Yu, également connu sous le nom de Ko Jimmy, ont été reconnus coupables et condamnés à mort par un tribunal militaire en janvier 2022 pour des infractions liées à l’utilisation d’explosifs, à des attentats à la bombe et au financement du terrorisme au titre de la loi antiterroriste - des accusations qui, selon nos organisations, sont politiquement motivées. La condamnation à mort de deux autres hommes, reconnus coupables du meurtre d’une femme soupçonnée d’être une informatrice de l’armée dans le canton de Hlaing Tharyar à Yangon, a également été confirmée.
Les procédures contre tous ces hommes étaient secrètes et grossièrement injustes, devant un tribunal contrôlé par l’armée. À la suite de la publication de l’ordonnance 3/2021 relative à la loi martiale. [1], les militaires ont transféré l’autorité des tribunaux civils aux tribunaux militaires spéciaux ou existants pour juger les affaires de civils. Ces tribunaux ont supervisé des procès concernant un large éventail d’infractions, y compris celles passibles de la peine de mort, dans le cadre de procédures sommaires et sans droit d’appel.
Le droit à un procès équitable, dont les éléments clés sont énoncés à l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), est un droit humain fondamental et l’une des garanties universellement applicables proclamées dans la Déclaration universelle des droits de l’homme. Elle est devenue juridiquement contraignante pour tous les États et fait partie du droit international coutumier [2]. En vertu du droit et des normes internationaux, les exécutions mises en œuvre à l’issue de procès inéquitables violent l’interdiction de la privation arbitraire de la vie, ainsi que l’interdiction absolue de la torture et des autres peines cruelles, inhumaines ou dégradantes [3].
Une augmentation alarmante du recours à la peine de mort
Depuis février 2021, une augmentation alarmante du recours à la peine de mort est enregistrée au Myanmar, où les militaires utilisent la peine de mort comme un outil de persécution, d’intimidation, de harcèlement et de violence permanents et généralisés à l’encontre de la population, notamment des manifestant·es et des journalistes. Selon la documentation de l’Association d’assistance aux prisonniers politiques (AAPP), au moins 114 condamnations à mort ont été prononcées depuis février 2021. Toutes ces condamnations à mort ont été prononcées par des tribunaux militaires ou, dans un cas, par un tribunal pour mineurs sur renvoi d’un tribunal militaire. Les rapports indiquent qu’au moins 41 accusé·es ont été jugé·es et condamné·es en leur absence ; certaines condamnations ont été prononcées à l’encontre de personnes âgées de moins de 18 ans au moment de l’infraction présumée ou présentant un handicap psychosocial grave [4], en violation d’une interdiction énoncée par le droit international des droits humains et le droit coutumier. Les informations disponibles indiquent que les procédures étaient sommaires, les accusés ne pouvant pas avoir accès à une représentation légale.
Il est alarmant que les autorités militaires prennent des mesures pour procéder aux premières exécutions connues au Myanmar depuis la fin des années 1980. La reprise des exécutions au Myanmar, après plus de trois décennies sans aucune exécution, constituerait un recul important pour la peine de mort et le bilan très préoccupant du pays en matière de droits humains, et serait contraire à l’objectif d’abolition de la peine de mort énoncé à l’article 6(6) du PIDCP.
Au fil des décennies, le système des Nations unies s’est efforcé de limiter le recours à la peine de mort et a exhorté à plusieurs reprises les États membres des Nations unies à la supprimer de leur législation nationale. Parmi d’autres instruments, depuis 2007, l’Assemblée générale des Nations unies a adopté - avec un soutien transrégional accru - huit résolutions appelant à l’établissement d’un « moratoire sur les exécutions en vue d’abolir la peine de mort ». À ce jour, 144 pays, dont le Myanmar, sont considérés comme abolitionnistes en droit ou en pratique et le nombre de ceux qui abrogent cette peine de leur législation nationale ne cesse d’augmenter - le Kazakhstan et la Papouasie-Nouvelle-Guinée ayant complètement aboli la peine de mort en 2022.
Nous sommes opposé·es à la peine de mort de manière inconditionnelle et nous demandons aux autorités militaires du Myanmar de respecter leurs obligations internationales en matière de promotion et de protection des droits humains, notamment en protégeant le droit à la vie, dans tous les cas, et en libérant immédiatement toutes les personnes détenues dans le cadre de l’exercice de leurs droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique.