Cambodge : supprimer le National Internet Gateway portant atteinte aux droits humains

16/05/2022
Déclaration
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16 mai 2022. Nos 32 organisations de défense des droits humains font appel aux autorités cambodgiennes, afin que celles-ci révoquent le sous-décret établissant le National Internet Gateway (NIG), qui ouvre la voie à la création d’une passerelle numérique pour gérer l’ensemble du trafic Internet entrant et sortant du Cambodge. Depuis l’adoption de ce sous-décret le 16 février 2021, le gouvernement n’a toujours pas répondu aux graves préoccupations en matière de droits humains soulevées par les groupes de la société civile et les entreprises de technologie. Dans le même temps, le gouvernement s’est montré totalement opaque en ce qui concerne l’infrastructure, la mise en œuvre, le financement et la coopération avec des entreprises, agences et organisations impliquées dans le soutien au NIG.

Le sous-décret sur le NIG ouvre la voie à la création d’une passerelle numérique pour gérer l’ensemble du trafic Internet entrant et sortant du Cambodge. Les dispositions du sous-décret permettent aux opérateurs du NIG nommés par le gouvernement de bloquer ou de déconnecter toute connexion en ligne (article 6), de conserver les données relatives au trafic pendant un an et de fournir d’autres informations sur le réseau à la demande des autorités (article 14), ainsi que d’infliger des sanctions excessives aux opérateurs de télécommunications qui ne respectent pas les règles (article 16).

Le sous-décret stipule que l’objectif du NIG est de faciliter et de gérer les connexions Internet afin de renforcer la collecte des recettes, de protéger la sécurité nationale et – dans des termes trop larges, ambigus et susceptibles d’être utilisés à mauvais escient – de "préserver l’ordre social, la culture et la tradition nationale" (article 1).

Si l’infrastructure technique exacte et son mode de fonctionnement sont encore inconnus, il ne fait aucun doute que le véritable objectif du NIG est de permettre au gouvernement cambodgien de resserrer l’étau sur ce qui reste de la liberté d’Internet dans le pays.

En avril 2021, trois experts indépendants nommés par le Conseil des droits de l’homme des Nations unies se sont inquiétés du fait que le sous-décret « présente des risques pour les libertés fondamentales des individus, à savoir les libertés d’expression et d’opinion et le droit à la vie privée, et peut exposer les informations personnelles des individus sans leur consentement, ce qui serait contraire aux instruments internationaux relatifs aux droits humains et aux lois cambodgiennes. » Ils ont réitéré cet appel au gouvernement le 1er février 2022, avertissant que le NIG « aura un impact négatif grave sur la liberté de l’Internet, les défenseur·es des droits humains et la société civile dans le pays, réduisant encore l’espace civique déjà restreint au Cambodge. »

Le Cambodge est partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP). L’article 17 du PIDCP protège le droit de tout individu contre toute immixtion arbitraire ou illégale dans sa vie privée. L’article 19 du PIDCP protège le droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend « la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce. » Toute mesure prise par l’État qui porterait atteinte à ces droits doit être prévue par la loi, être non discriminatoire et être strictement nécessaire et proportionnée à la protection des droits d’autrui, de la sécurité nationale, de l’ordre public ou de la santé ou de la moralité publiques.

Le gouvernement a rejeté à plusieurs reprises toutes les préoccupations relatives aux droits humains concernant le NIG. Le gouvernement a également refusé d’expliquer en quoi les restrictions à la liberté d’expression et à l’accès à l’information imposées par le NIG sont nécessaires pour atteindre l’un des objectifs légitimes, et n’a pas abordé le manque de proportionnalité des mesures. Au lieu de cela, la passerelle Internet s’apprête à restreindre ces droits de manière excessivement large, sans aucune limite apparente. Comme l’ont souligné les experts de l’ONU, les représentant·es des entreprises technologiques et les défenseur·es des droits humains, le sous-décret est dépourvu de garanties procédurales, de contrôle indépendant et de protection des données et de la vie privée.

Il est fort à craindre que la passerelle ne renforce les capacités de censure du gouvernement, en lui permettant d’intensifier le blocage des sites web. La passerelle risque également d’avoir un effet dissuasif sur les communications en ligne et de générer une autocensure en ligne parmi les voix critiques et les médias indépendants qui craignent une surveillance, un harcèlement et des représailles accrus.

Le sous-décret présente des risques pour la protection et la confidentialité des données, car il oblige les opérateurs de passerelles gouvernementales à conserver et à partager les métadonnées. En l’absence d’une loi sur la protection des données au Cambodge qui protégerait les utilisateur·ices d’Internet contre l’utilisation abusive de leurs données et fournirait une certitude quant au lieu et à la durée de conservation des données, ainsi qu’à l’identité des personnes qui y ont accès, le NIG facilitera la capacité des autorités à identifier les activités et les habitudes des utilisateur·ices sur Internet, risquant finalement d’identifier les utilisateur·ices eux·elles-mêmes. La conservation des données sans protection suffisante de la sécurité des données augmentera les risques d’interférence de tiers ou de piratage. La centralisation du trafic et des données Internet sous l’égide du NIG crée également une vulnérabilité aux actes malveillants, sans garantir la capacité des fournisseurs de services à répondre de manière adéquate à l’augmentation des besoins en matière de sécurité des données qui en résulte.

Dans un communiqué de presse publié le 15 février 2022, le Ministère cambodgien des Affaires étrangères a affirmé avoir mené une « étude approfondie sur les modèles d’infrastructure de différents pays du monde et constaté que la plupart des pays disposent de passerelles Internet. » Aucune information n’a été fournie pour étayer ces affirmations radicales, comme les modèles d’infrastructure que les autorités ont examinés, leurs avantages et leurs inconvénients, et si l’étude a été réalisée en tenant compte des obligations du Cambodge en matière de droits humains en vertu de divers traités internationaux relatifs aux droits humains.

Au Cambodge, le processus d’adoption précipitée par le gouvernement du sous-décret établissant le NIG a été entaché par un manque de transparence. Les autorités n’ont organisé aucune consultation, encore moins des consultations larges et inclusives, et n’ont pas invité les expert·es, les groupes de la société civile, les acteur·ices privé·es, les groupes d’affaires et les autres parties intéressées à apporter leur contribution avant l’adoption du sous-décret. Le NIG semble conçu pour fonctionner comme un outil autoritaire qui facilitera les efforts du gouvernement pour restreindre la liberté d’expression, d’association et de vie privée en ligne comme hors ligne, et facilitera le ciblage de l’expression en ligne par les membres de la société civile, les médias indépendants et l’opposition politique.

Le 15 février 2022, le gouvernement a révélé que la mise en œuvre du NIG, qui devait commencer le lendemain, serait retardée. Aucune nouvelle date pour sa mise en œuvre n’a été fixée. Un porte-parole du Ministère des Postes et Télécommunications a déclaré au média Nikkei Asia le 15 février que le retard était dû à la pandémie de Covid-19. Cependant, un autre porte-parole du ministère a déclaré au média VOD que des difficultés techniques dans la mise en œuvre du NIG étaient à l’origine du retard, déclarant : « nous devons nous préparer à installer et à commander des équipements afin de préparer et de créer la passerelle. Et nous devons donner des licences à toute entreprise qui, selon le gouvernement, a la capacité de créer la passerelle. »

La passerelle Internet du Cambodge risque grandement de restreindre la libre circulation de l’information entre le Cambodge et le reste du monde, tout en établissant un système qui jettera un large filet de surveillance à travers le pays. Les gouvernements étrangers, les entreprises de technologie et de télécommunications, les fournisseurs d’accès à Internet, les groupes d’entreprises, les agences des Nations unies et les autres parties concernées doivent s’unir pour tenter de mettre un terme à cette tentative de contrôle de l’information.

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  • Co-signataires

    Signataires

    Access Now
    Amnesty International
    ARTICLE 19
    ASEAN Parliamentarians for Human Rights (APHR)
    Asia Democracy Network (ADN)
    Association for Progressive Communication (APC)
    Bangladesh NGOs Network for Radio and Communication (BNNRC)
    Campaign for Human Rights and Development International (CHRDI)
    Centre for Civil and Political Rights (CCPR Centre)
    CIVICUS : World Alliance for Citizen Participation
    Civil Rights Defenders
    Committee to Protect Journalists (CPJ)
    Digital Reach Asia
    Electronic Frontiers Foundation (EFF)
    ELSAM : Institute for Policy Research and Advocacy
    Freemuse
    Foundation for Media Alternatives
    FORUM-ASIA
    Japan Computer Access Network (JCA-NET)
    Human Rights Watch
    International Commission of Jurists (ICJ)
    Fédération Internationale pour les Droits Humains (FIDH)
    International Freedom of Expression Exchange (IFEX)
    Lawyers’ Rights Watch Canada (LRWC)
    Manushya Foundation
    Open Net Association
    PEN America
    Ranking Digital Rights
    SAFENet – Southeast Asia Freedom of Expression Network
    Thai Netizens Network
    WITNESS
    World Organisation Against Torture (OMCT)

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