Plusieurs ONG portent plainte pour crimes de droit international commis pendant la guerre civile espagnole et sous le franquisme

28/01/2016
Communiqué
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(Madrid, Mexico D.F., Paris) Les victimes de crimes de droit international commis pendant la guerre civile espagnole et le franquisme trouvent porte close en Espagne, ce qui les oblige à chercher vérité, justice et réparation dans d’autres pays. C’est en ces termes qu’Amnesty International Espagne, la Commission mexicaine de défense et de promotion des droits humains (CMDPDH) et la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) ont exprimé leur soutien à la déposition d’une plainte au Mexique en vue de l’ouverture d’une enquête sur les affaires criminelles que la justice espagnole veut clore.

Les organisations ont déposé hier une plainte auprès du Bureau du Procureur général de la République du Mexique pour la disparition forcée de Félix Llorente Gutiérrez, agent ferroviaire de 27 ans, entre juillet et août 1936, à Medina del Campo, dans la province de Valladolid, pendant la guerre civile espagnole. Félix a été arrêté le 28 juillet et a disparu le 15 août alors qu’il était transféré dans une autre prison, comme l’ont reconnu les autorités concernées. Selon la plainte, des crimes tels que la disparition forcée dans le contexte de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité ont été commis. En effet, à l’heure actuelle, on ignore le sort qui a été réservé à Félix et où il se trouve actuellement ; aucune enquête n’a été menée par les autorités espagnoles pour élucider les faits et aucune enquête ne sera menée sur ces crimes dans le futur car l’Espagne ne l’autorise pas.

« L’Espagne ne mène aucune enquête et n’autorise aucun pays à en mener sur ces crimes terribles, comme nous l’avons vu avec la dispute argentine ; par conséquent, il est nécessaire d’envisager d’autres solutions », a affirmé le directeur d’Amnesty International Espagne, Esteban Beltrán. « Nous espérons et nous sommes convaincus que le Mexique nous soutiendra au moment d’obtenir ce que les victimes ont attendu durant des années : savoir où se trouvent leurs proches et obtenir justice et réparation », a-t-il ajouté.

« Voilà des années que nous recherchons la vérité et que nous attendons que la justice mexicaine nous aide à la trouver car, à l’instar de milliers de familles de disparus en Espagne, nous n’avons pas pu compter sur le soutien des institutions espagnoles pour obtenir des informations », a déclaré Anais Huerta, la plaignante, qui réside actuellement au Mexique et qui, aux côtés de son père, a entrepris les démarches de recherche de son proche il y a déjà cinq ans.

Amnesty International Espagne, la CMDPDH et la FIDH ont demandé au Bureau du Procureur général de la République du Mexique d’entreprendre sans tarder une enquête complète sur la disparition forcée de Félix Llorente Gutiérrez. En effet, du fait de la gravité particulière que revêtent les faits survenus en 1936 et du contexte dans lequel ils ont été commis, il s’agit de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre, et ils doivent donc faire l’objet d’une enquête dans d’autres pays, notamment au Mexique.

« Il est vital que les autorités mexicaines garantissent la réalisation de toutes les mesures d’instruction nécessaires à l’élucidation de cette affaire, ainsi que le droit à la vérité, à la justice et à la réparation d’Anais Huerta », a indiqué Perseo Quiroz Rendón, directeur exécutif d’Amnesty International Mexique.

Les organisations ont souligné qu’elles souhaitent que le Mexique entreprenne cette enquête. Lorsque celle-ci sera menée, le gouvernement espagnol devra assurer sa pleine collaboration avec toute demande d’assistance juridique mutuelle en matière pénale émise par les autorités mexicaines ayant décidé d’enquêter sur ces crimes commis en Espagne. « L’Espagne doit laisser de côté les excuses et se conformer à ses obligations internationales : cela fait déjà quarante ans qu’il n’y a pas eu d’avancées », déplore Esteban Beltrán, directeur d’Amnesty International Espagne.

Les organisations demandent au nouveau gouvernement espagnol et au nouveau parlement, qui seront constitués dans les prochains mois, de prendre une série de mesures pour garantir le droit à la vérité, à la justice et à la réparation des victimes de la guerre civile espagnole et du franquisme. Ces mesures sont les suivantes :
1. S’assurer que la loi d’amnistie ne constitue pas un obstacle à la réalisation d’enquêtes sur les crimes de droit international commis durant la guerre civile et sous le franquisme.
2. S’assurer que des mesures immédiates sont adoptées pour garantir l’imprescriptibilité des crimes de droit international.
3. Ratifier rapidement et sans aucune réserve la convention sur l’imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité.

« Les victimes meurent, et nous ne pouvons pas accepter sans agir que des crimes contre l’humanité restent impunis », affirme Ignacio Jovtis, enquêteur chez AI.

Le Mexique se positionne comme un acteur pertinent pour aider à lutter contre l’impunité de ces graves violations de droits humains. D’abord, le pays possède une législation adéquate qui permettra la réalisation d’enquêtes sur ces affaires. De plus, la réforme constitutionnelle de 2011 établit que les droits humains reconnus dans des traités internationaux sont parfaitement applicables à l’échelle nationale et doivent être respectés par toutes les autorités, et le pays a reconnu le caractère contraignant des jugements de la Cour interaméricaine. Tous ces éléments donnent au pays une position intéressante pour pouvoir mener des enquêtes sur ces violations graves de droits humains.

« Il s’agit d’une opportunité de susciter un changement au Mexique, où plus de 27 000 personnes ont disparu, et de faire en sorte que des enquêtes soient menées sur les violations graves de droits humains, notamment les disparitions forcées, au Mexique et dans d’autres pays », a assuré Perseo Quiroz, directeur d’Amnesty International Mexique.

Informations complémentaires

Les droits à la vérité, à la justice et à la réparation des victimes de crimes de droit international commis durant la guerre civile espagnole et sous le franquisme (de 1936 à 1975) sont toujours bafoués en Espagne. Les autorités n’ont mené à bien aucune enquête judiciaire exhaustive pour établir la vérité sur les circonstances des exactions commises au cours de cette période.

Le 14 décembre 2006, après des tentatives infructueuses menées au cours de la décennie des années 1990 et des plaintes déposées en vue 1) de la réalisation d’enquêtes sur des homicides et des disparitions forcées et 2) de l’exhumation des restes des personnes enterrées (et tout cela sans une seule réponse adéquate du gouvernement espagnol), des victimes des proches ainsi que des associations ont porté plainte devant l’Audiencia Nacional (Haute Cour nationale) pour crimes contre l’humanité commis durant la guerre civile espagnole et le franquisme. Cette plainte a été suivie d’autres plaintes qui faisaient part de 114 266 disparitions forcées et d’autres crimes entre le 17 juillet 1936 et décembre 1951.

La tendance consistant à clore les affaires s’est consolidée après 2012, lorsque la Cour suprême s’est protégée au moyen de plusieurs arguments permettant d’empêcher les juges de mener des enquêtes. Parmi ces arguments, citons l’existence de la loi d’amnistie, la possibilité que le délit soit prescrit ou bien que les crimes ne soient pas considérés comme tels au moment où ils surviennent, le décès présumé des auteurs des crimes, ou encore la loi sur la mémoire historique.

Pendant la guerre civile espagnole et le franquisme, il y eut de nombreuses victimes de violations graves de droits humains que le droit international interdisait et condamnait, comme la torture, les exécutions extrajudiciaires, les disparitions forcées et autres actes pouvant s’inscrire dans le cadre général des crimes contre l’humanité.

Amnesty International Espagne a publié plusieurs rapports qui documentent l’impuissance des victimes de la guerre civile et du franquisme du fait de la tendance persistante des juges espagnols à clore les affaires et du manque d’enquêtes sur les crimes de droit international commis durant cette période.

Au cours des deux dernières années, au moins cinq mécanismes des Nations unies ont constaté et dénoncé le fait que l’Espagne ne mène pas d’enquête ni n’autorise à les mener. Ces mécanismes lui ont recommandé de respecter ses obligations internationales pour apporter vérité, justice et réparation aux victimes de la guerre civile espagnole et du franquisme, et de collaborer avec d’autres nations qui souhaitent entreprendre des enquêtes.

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