Lettre ouverte sur l’usage excessif de la force par les autorités soudanaises

04/05/2016
Communiqué
en fr
Credit ASHRAF SHAZLY / AFP

À l’attention de :
Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples (CADHP)
Commissaire de la CADHP sur la situation au Soudan, M. Lawrence Mute
Gouvernement du Soudan
Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies
Experts indépendant des Nations Unies sur la situation des droits de l’Homme au Soudan, M. Aristide Nononsi
Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit de réunion pacifique et d’association, M. Maina Kiai

Copie à : Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine
Conseil de sécurité des Nations unies

Le 3 mai 2016,

Sujet : Lettre ouverte sur l’usage excessif de la force par les autorités soudanaises.

Mesdames, Messieurs,

Nous, les 39 organisations et individus soussignés, vous écrivons pour vous informer de l’usage excessif de la force par les autorités soudanaises afin de mettre fin aux manifestations pacifiques organisées à travers le pays. Au moins neuf personnes, dont un enfant, ont été tuées au cours de trois incidents différents pendant la seule année 2016. Plus récemment, deux étudiants ont été tués dans des événements séparés en avril, au cours desquels les forces de sécurité du gouvernement et des étudiants armés ont tiré à balles réelles pour disperser des manifestations sur deux campus universitaires.

Nous craignons que les forces gouvernementales continuent d’utiliser une force excessive à l’encontre des manifestants et de détenir arbitrairement ceux qui y participent comme elles l’ont fait de manière répétée depuis 2011.

Les événements d’avril sont les derniers exemples en date d’une longue série de violences systématiques. En septembre 2013, les forces gouvernementales ont fait usage de balles réelles pour disperser des manifestations pacifiques, tuant plus de 170 manifestants. Lors de cette vague de répression, au moins 800 manifestants ont été détenus sans mandat et soumis à de nombreux mauvais traitements.

La justice a été peu, voire absolument pas rendue pour les personnes décédées, blessées ou victimes de divers autres abus commis par les autorités soudanaises contre les manifestants, un ensemble d’immunités juridiques les protégeant contre toutes poursuites pénales.

Nous, les organisations de la société civile soudanaises et internationales signataires, condamnons ces assassinats et autres violations commises par le gouvernement et les forces alliées. Nous vous exhortons à réitérer au gouvernement du Soudan que tous les soudanais disposent de leurs droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion.

La mort de deux étudiants tués par balle lors de manifestations dans le Kordofan du Nord et à Omdurman en avril 2016

Les 19 et 27 avril, deux étudiants ont été tués dans des incidents séparés au cours desquels les forces gouvernementales ont fait usage de balles réelles pour disperser des manifestations sur deux campus universitaires.

Le 19 avril 2016, Abubakar Hassan, 18 ans, étudiant en première année d’ingénieure à l’Université de Kordofan, à El Obeid, dans l’État du Kordofan du Nord, a été tué par une blessure par balle à la tête. 27 autres étudiants ont été blessés, dont 5 grièvement.

L’attaque a commencé quand le Service national de renseignement et de sécurité (NISS), a intercepté un groupe d’étudiants qui marchait pacifiquement vers l’Union des étudiants afin de soumettre une liste de candidats pro-opposition à l’occasion de l’élection du syndicat étudiant ce jour-là. Armés de fusils AK-47 et de pistolets, Les agents du NISS ont tiré sur la foule. En réponse, des étudiants ont manifesté dans plusieurs universités du pays pour protester contre la mort de M. Hassan.

Le 27 avril 2016, autour de 13h, Mohamed al-Sadiq Wayo, 20 ans, étudiant en deuxième année à la Faculté d’art de l’Université Omduman Ahlia dans l’État de Khartoum, a été tué par une blessure par balle à la poitrine. Des témoins ont rapporté que la victime a été abattue par des agents du NISS après un forum politique organisé par l’association des étudiants des monts Nuba, au cours duquel les participants ont critiqué l’assassinat de M. Hassan et les dispersions par la force des manifestations à l’Université de Khartoum le 13 avril 2016.

Trois autres étudiants ont été blessés lorsque des présumés forces de sécurité habillées en civil ont attaqué les étudiants dans le forum avec des matraques en métal et les ont forcé à quitter l’Université par l’entrée principale. Après que quelques étudiants aient traversé la rue les agents du NISS leur ont tiré dessus, tuant M. Wayo. Son certificat de décès est joint.

Les deux assassinats ont eu lieu au cours d’une vague de manifestations étudiantes, qui ont commencé par des manifestations à l’Université de Khartoum le 13 avril 2016 après la rumeur que le campus principal serait déplacé à la suite de la vente du terrain à des investisseurs. Amnesty International a rapporté que cinq militants étudiants de l’Université de Khartoum ont été détenus illégalement après avoir été arrêtés par le NISS les 13 et 14 avril 2016. Deux étudiants ont été libérés sans inculpation le 23 Avril, tandis qu’un troisième étudiant a lui été libéré et inculpé en vertu de l’article 182, « Criminal Damage » du Code pénal soudanais de 1991. Un quatrième détenu a été libéré le 2 mai 2016. Le cinquième, Ahmed Zuhair, reste quant à lui détenu par le NISS.

Morts de plusieurs manifestants, dont un enfant, lors des manifestations dans l’ouest du Darfour en janvier 2016

Ces récents assassinats mettent en lumière l’utilisation systématique de la violence pour réprimer la liberté d’expression, d’association et de réunion à travers le pays.

Plus récemment, le 10 janvier 2016, au moins sept personnes, y compris un enfant, ont péri quand les forces de sécurité ont tiré à balles réelles sur une foule de manifestant devant le bureau du gouverneur de l’État du Darfour de l’ouest. La foule s’était rassemblée pour demander protection après que le village voisin de Mouli ait été pillé et incendié. Le lendemain, trois personnes ont été tuées et sept autres ont été blessées par balle lorsque les forces de sécurité ont à nouveau tiré à balles réelles à l’enterrement des défunts.

Arrestations et détentions arbitraires

Un nombre indéterminé de personnes est toujours détenu au NISS, à la suite de leur arrestation au cours des manifestations d’avril 2016. Nous craignons pour la sécurité et le bien-être de tous les prisonniers du NISS, et particulièrement ceux des jeunes militants. Par le passé, nos organisations ont documenté plusieurs cas d’arrestation et détention arbitraires en lien avec des manifestations oeganisées sur les campus universitaires soudanais. Plus de 800 personnes ont été arrêtées au cours des répressions des manifestations de septembre et octobre 2013.

Trois jeunes militants de l’Université de Khartoum ont été détenus au secret du 12 mai au 11 juillet 2014 sans inculpation ni accès à un avocat pendant trois mois suite à leur participation à des manifestations à l’Université de Khartoum pour protester contre le meurtre d’un étudiant du Darfour, Ali Abaker Musa Idris, abattu le 11 mars 2014, lorsque les forces soudanaises ont ouvert le feu lors d’une manifestation organisée par l’Association des étudiants du Darfour pour condamner l’escalade de la violence au Darfour. Deux des détenus ont déclaré avoir été soumis à des mauvais traitements pendant leur détention. Le groupe a été libéré seulement après avoir signé un document les engageant à ne plus participer à des activités politiques.

Impunité des personnes responsables de la mort des étudiants

Nous sommes préoccupés de constater que les assassinats récents de MM. Hassan et Wayo, ainsi que ceux des civils tués en janvier au Darfour, restent impunis. Une culture de l’impunité domine au Soudan en raison des immunités instaurées par la loi et qui constituent un obstacle à la poursuite des agents du NISS, de la police et de l’armée.

Au cours des manifestations contre l’austérité organisées en septembre 2013, les forces de sécurité soudanaises ont tiré à balles réelles pour disperser les manifestants. Alors que les organisations de défense des droits de l’Homme ont documenté plus de 170 cas d’assassinat, beaucoup tués à la suite de blessures par balle à la tête ou dans la poitrine, les autorités soudanaises ont reconnu seulement 85 morts.

Sur au moins 85 plaintes pénales déposées par les familles des victimes, seulement une seule a abouti à un procès. La condamnation pour meurtre de l’accusé, un officier des Forces armées du Soudan, a été annulée en appel. Les défenseurs des droits de l’Homme et les membres des groupes de défense des droits des victimes appelant à ce que justice soit faite pour les assassinats des manifestations de 2013 ont subi des arrestations arbitraires et des actes de harcèlement.

Le Soudan doit mettre un terme à la pratique systématique de violation des droits humains par ses services de police et de sécurité, supprimer les dispositions qui leur fournissent de larges pouvoirs d’arrestation et de détention, et abroger les immunités les protégeant contre des poursuites.
Nous exhortons tous les acteurs concernés à exercer une pression forte et effective sur le gouvernement soudanais pour qu’il mette fin à sa campagne d’arrestations et de détentions arbitraires en cours ainsi qu’à l’usage excessif de la force pour museler toute voix contestataire.

Nous appelons également à ce que les mesures urgentes suivantes soient prises afin de garantir à ce que la justice soit faite pour ces crimes : 
 
1. Une enquête immédiate et impartiale par le gouvernement du Soudan sur les assassinats commis en 2016 avec un calendrier précis pour l’annonce publique des résultats de ces enquêtes ;

2. La libération de toutes les personnes détenues arbitrairement, et pour celles qui sont inculpées, l’accès rapide à un avocat de leur choix et le plein respect de leurs droits en tant que détenus ainsi qu’à leur droit une procédure et à un procès équitable ;

3. Que le gouvernement du Soudan publie les conclusions des commissions d’enquête précédentes, telles que celles des enquêtes sur les assassinats des manifestations de septembre 2013 ainsi que sur les autres incidents impliquant le recours excessif à la force.

4. Que le gouvernement du Soudan abroge les immunités étendues instaurées par la législation soudanaise qui constituent un obstacle à la poursuite des fonctionnaires et des autorités gouvernementales, et qu’il poursuive les personnes responsables de meurtres et d’autres violations et crimes graves tels que la torture.

Cordialement,

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  • Co-signataires

    1. African Centre for Justice and Peace Studies
    2. African Soul, American Heart
    3. Al Khatim Adlan Center for Enlightenment (KACE)
    4. Amnesty International
    5. Baroness Caroline Cox, House of Lords and President HART (Humanitarian Aid Relief Trust)
    6. Brooklyn Coalition for Darfur and Marginalised Sudan
    7. Center for Democracy and Peace
    8. Civil Society Initiative
    9. Colorado Coalition for Genocide Awareness & Action
    10. Darfur Bar Association
    11. Darfur Interfaith Network
    12. DefendDefenders (East and Horn of Africa Human Rights Defenders Project)
    13. Face Past for Future
    14. Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH)
    15. Freedom House
    16. Humanity United
    17. Human Rights Watch
    18. Huqooq
    19. International Justice Project
    20. International Refugee Rights Initiative
    21. Jews against Genocide
    22. Journalists for Human Rights – Sudan
    23. Justice Africa for Rights and Developments
    24. Kamilia Ibrahim Kuku, Sudanese human rights activist
    25. New York Coalition for Sudan
    26. Nubia Project
    27. Operation Broken Silence
    28. PAX for Peace
    29. People4Sudan
    30. Preliminary Committee of the University of Khartoum Alumni in UK and Ireland
    31. Sudan Consortium
    32. Sudan Democracy First Group
    33. Sudan Human Rights Network
    34. Sudan Social Development Organisation
    35. Sudanese Solidarity Committee
    36. Sudan Unlimited
    37. Sudanese Human Rights Monitor
    38. The Enough Project
    39. Waging Peace

  • Organisations membres - Soudan
    Soudan

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