Affaire Suez/Chili : le Tribunal rejette l’action judiciaire intentée - la loi sur le devoir de vigilance vidée de toute substance

Serge ATTAL / ONLY FRANCE / Only France via AFP

Dans une décision rendue aujourd’hui dans l’affaire Suez, le Tribunal judiciaire de Paris a déclaré irrecevables les associations requérantes, privant de tout recours effectif les victimes d’une grave crise sanitaire intervenue à Osorno au Chili en 2019. La FIDH et ses partenaires vont faire appel de cette décision.

Paris, le 1er juin 2023. « Nos associations, qui portaient la voix des communautés affectées de la ville d’Osorno, se voient privées de tout recours effectif contre le groupe Suez » a déclaré José Aylwin, coordinateur du programme Entreprises et Droits Humains de l’Observatorio Ciudadano et chargé de mission FIDH. « La loi française sur le devoir de vigilance reste donc inefficace pour permettre aux communautés affectées, partout dans le monde, d’avoir accès à la justice. »

Le Tribunal judiciaire de Paris a fait droit aux demandes de la défense. Il a estimé que Vigie Groupe SAS, anciennement dénommée Suez Groupe SAS, ne pouvait être considérée comme défenderesse à l’action, dans la mesure où le plan de vigilance visé ne mentionnait pas quelle société du Groupe Suez en était l’auteur.

« Selon cette interprétation, il sera donc impossible à l’avenir pour des associations de savoir contre quelle entreprise porter l’action sur le devoir de vigilance dès lors que le plan de vigilance n’est pas signé » a déclaré Clémence Bectarte, coordinatrice du Groupe d’action judiciaire de la FIDH.

Le juge a en outre considéré que les associations requérantes étaient irrecevables à agir, car elles n’avaient pas assigné l’entreprise sur le même plan de vigilance que celui sur lequel reposait la mise en demeure.

« Cette décision vide de sens la loi sur le devoir de vigilance » a déclaré Maddalena Neglia, responsable du bureau Mondialisation de la FIDH. « Nos associations avaient assigné l’entreprise en constatant l’échec du dialogue intervenu après la mise en demeure, précisément parce que le nouveau plan ne prenait aucunement en considération les demandes que nous avions formulées. »

Cette décision illustre encore une fois la réticence des juges français à se prononcer sur le fond de cette loi dont l’objectif central est pourtant de protéger les droits humains et l’environnement. D’autres affaires précédentes, telles que celle concernant le méga-projet pétrolier EACOP de TotalÉnergies en Afrique de l’Est, avaient été déclarées irrecevables pour des points de procédure controversés.

Une action intentée en réponse à une grave crise sanitaire

La FIDH, l’Observatorio Ciudadano, l’association Red Ambiental Ciudadana de Osorno et la Ligue des Droits de l’Homme (LDH) avaient assigné l’entreprise Suez devant le tribunal le 11 juin 2021 en application de la loi sur le devoir de vigilance, après l’avoir mise en demeure en juillet 2020. En juillet 2019, les habitants d’Osorno, au Chili, avaient été privés d’eau pendant dix jours et l’alerte sanitaire décrétée, du fait de la contamination du réseau d’eau potable suite à un nouvel incident d’exploitation d’ESSAL, société contrôlée par Suez. Il faisait suite à des dysfonctionnements, négligences et manquements continus, pointés à de multiples reprises par les instances de contrôles chiliennes, qui avaient évoqué au préalable « un risque élevé ».

L’entreprise avait soulevé le fait que les associations n’avaient pas visé la bonne société dans leur assignation. Elle soulevait par ailleurs que cette dernière n’avait pas été faite sur le même plan de vigilance que la mise en demeure.

Les associations feront appel

« Nous allons faire appel de cette décision, car nous sommes déterminés à voir reconnaître la pleine application de la loi française sur le devoir de vigilance » ont déclaré Maîtres Julie Février et Florian Curral-Stephen, avocats des associations requérantes. « Plus de quatre ans après l’entrée en vigueur de la loi, nous regrettons l’absence de décision substantielle sur les violations des droits humains dénoncées. »

Cette décision est d’autant plus importante qu’elle intervient le jour où le Parlement Européen a adopté en plénière sa position sur le projet de directive ‘Corporate Sustainability’. Alors que l’Union européenne progresse vers l’établissement d’un devoir de vigilance européen, la jurisprudence française semble aller dans le sens contraire.

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