Premier bilan : des avancées, des silences étouffants et la remise en cause du mandat de protection : des leçons à tirer pour la "reforme"

22/04/2005
Communiqué
en fr

A quelques heures de la clôture de la 61ème session de la Commission des droits de l’Homme des Nations unies, la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme dresse un premier bilan de cette session. Quelques succès dans l’élaboration des normes et l’appréhension de problématiques préoccupantes, mais l’amertume prévaut face aux reculs nets des capacités de protection de cette enceinte.

"Sur les dérives de l’anti-terrorisme, comme sur la responsabilité des multinationales, ou le droit des victimes à réparation, nous avons marqué des points importants. Mais les silences de la Commission sur les situations en Tchétchénie, en Iran ou en Chine laissent un goût d’amertume, comme si la voix des défenseurs de ces pays était étouffée une seconde fois » a déploré Sidiki Kaba, Président de la FIDH, faisant allusion à l’absence d’initiative de la Commission sur ces trois situations.

Quelques succès

Avec certaines avancées notables et importantes en matière de résolutions thématiques et l’adoption de quelques résolutions sur des pays, la FIDH entend souligner quelques succès de cette 61ème session :

La FIDH se félicite de l’adoption du mandat d’un rapporteur spécial sur la protection des droits de l’Homme dans la lutte contre le terrorisme, à l’initiative du Mexique, aboutissement d’une longue campagne menée avec les principales ONG internationales de droits de l’Homme. En dépit des tentatives de réduction du mandat proposé, le Rapporteur devrait pouvoir s’adresser directement aux gouvernements concernés par des mesures liberticides ou violant les droits de l’Homme dans la lutte contre le terrorisme.

La nomination d’un Représentant spécial du Secrétaire General sur les droits de l’Homme, sociétés transnationales et autres entreprises, devrait permettre de consolider la responsabilité des entreprises à l’égard des droits de l’Homme.

La FIDH se félicite par ailleurs de l’adoption, après de longues années de discussion, des principes et directives sur le droit au recours et à la réparation des victimes de violations flagrantes des droits de l’homme et de violations graves du droit international humanitaire. Elle accueille également les initiatives argentine et suisse, respectivement sur des résolutions sur le droit à la vérité et la justice transitionnelle. L’ensemble de ces trois initiatives contribuent a développer le droit international des droits de l’Homme en renforçant les droits des victimes.

La FIDH se félicite également de l’adoption par un nombre accru de parrainages (80 contre 76 en 2004) de la résolution contre la peine de mort.

La FIDH salue le maintien des résolutions (sour le point 9 de l’ordre du jour) condamnant les situations au Bélarus, en Corée du Nord, à Cuba ou au Myanmar ;

Dans la mesure où ses principaux sujets de préoccupation y sont reflétés, la FIDH accueille favorablement la déclaration de la présidence sur la Colombie demandant à l’Etat colombien de garantir les droits à la justice, vérité et réparation dans le cadre du processus de désarmement et démobilisation et maintenant le mandat de monitoring du bureau du Haut Commissariat.

La FIDH prend note de l’adoption de résolutions organisant la coopération technique du Haut Commissariat avec l’Afghanistan, le Burundi, le Cambodge, Haiti, le Libéria, le Népal, la République démocratique du Congo, le Sierra Leone, la Somalie, le Tchad. La FIDH se félicite de l’instauration d’un mécanisme de protection sur le Soudan, mais elle s’interroge sur l’opportunité de l’examen de cette question sous l’angle de la coopération technique avec des autorités mises en accusation devant la Cour Pénale Internationale par le Conseil de sécurité, et non sous l’angle du traitement de situations graves et systématiques des droits de l’homme. Une telle interrogation vaut aussi pour d’autres situations mentionnées ici.

Des violations flagrantes de l’obligation des Etats de protéger les victimes

L’amertume ou la déception prévalent concernant l’absence d’écho aux autre situations prioritaires soulevées par les défenseurs des droits de l’homme :

Le refus de l’Europe de présenter une résolution sur la situation des droits de l’Homme en Tchétchénie, après la condamnation claire et forte de la Russie par la Cour européenne des droits de l’Homme, l’assassinat de l’interlocuteur tchétchène Maskhadov et la réduction comme peau de chagrin de la liberté d’expression, est une véritable gifle aux organisations de défense des droits de l’Homme, alors même que celles-ci éprouvent de plus en plus de difficultés à opérer sur le terrain(voir le rapport annuel 2004 de l’Observatoire).

L’absence d’initiative sur la situation en Chine est également déconcertante. Plus de quinze années après les événements de la place Tienanmen, la répression de toute voix dissidente continue. Les défenseurs sont dans l’impossibilité d’opérer sur le terrain. La torture, la détention arbitraire et les exécutions capitales gardent des proportions ahurissantes.
Sur l’Iran, une résolution était d’autant plus justifiée que la situation s’est nettement détériorée avec, entre autres, l’intensification de la répression des internautes ou des minorités Bahai’es. De même sur l’Irak où la situation extrêmement préoccupante aurait justifiée une qualification publique par la Commission et l’instauration d’un mécanisme de suivi.

La FIDH regrette également qu’aucune résolution n’ait condamné la dégradation de la situation au Togo et en Côte d’ivoire, en dépit des fortes condamnations d’instances régionales africaines ou du Conseil de Sécurité.
Elle déplore le vote négatif sur la résolution sur Guantanamo alors même que les Etats-unis d’Amérique n’ont pas encore autorisé la visite des Rapporteurs spéciaux des Nations unies selon leurs termes de référence.

Le développement d’offensives inquietantes

Plusieurs tendances négatives sont confirmées cette année, voire concrétisées dans des initiatives particulièrement inquiétantes, visant à porter directement atteinte au mandat de protection de la Commission. Parmi celles-ci :
Une offensive contre les mécanismes de protection : la FIDH est particulièrement inquiète face à l’adoption de la décision initiée par le groupe asiatique visant en réalité à affaiblir les procédures spéciales de la Commission. Les Etats les plus réfractaires au respect des droits de l’Homme ont ainsi réussi leur bataille, celle de remettre en cause les méthodes de travail de ces mécanismes, derniers remparts d’indépendance de cette enceinte. La capacité de protection des mécanismes est désormais remise en cause.

Une offensive contre le droit de défendre les droits universels : par ailleurs, la FIDH est préoccupée par l’adoption de la résolution, portée par la Chine et Cuba, sur les droits de l’Homme et les responsabilités de l’individu, dont le seul objectif est en réalité de limiter les droits des individus à défendre les droits de l’Homme, reconnus dans la déclaration de 1998 sur les défenseurs des droits de l’Homme. Cette initiative remet en cause directement les fondements même du droit international des droits de l’homme, les principes d’universalité et d’indivisibilité.

la FIDH est également préoccupée par les offensives menées ouvertement par les Etats-unis d’Amérique contre toute référence à la Cour pénale internationale, ou bien en faveur de la remise en cause des droits économiques, sociaux et culturels. Douze ans après la Conférence de Vienne, qui avait réaffirmé l’indivisibilité des droits humains, la résistance des USA pèse sur la progression en faveur de leur mise en oeuvre égale et effective.

Enfin, la FIDH regrette que certains des mandats les plus importants n’aient pu bénéficier de l’attention qui leur était due afin de discuter en séance de leurs travaux. Ainsi, aucun débat n’a pu suivre la présentation du rapport de la Représentante spéciale sur les défenseurs des droits de l’Homme, de l’expert sur la protection des droits de l’Homme dans la lutte contre le terrorisme, sur l’impunité ou sur Haiti. La FIDH regrette ces « aléas » d’un emploi du temps trop chargé, victime du « filibustering » des Etats souhaitant en diluer la consistance, et des ajustements peu favorables tels qu’arbitrés par le bureau de la CDH.

Une reforme à hauts risques : pour des clauses de sauvegarde

Dans un tel contexte, les propositions de réforme de la Commission de Kofi Annan constituent une opportunité de renforcement institutionnel. Toutefois, l’inquiétude est de mise dès lors que toute reforme suppose d’être avalisée par les Etats membres des Nations unies. La crédibilisation nécessaire de la Commission ne doit pas fournir une nouvelle occasion d’en réduire encore les capacités protectrices des victimes. Nombre d’Etats viennent de confirmer au contraire leur détermination à saisir une telle opportunité pour développer leurs offensive anti-protection.

Les « réformes » sont toujours justifiées s’agissant de réduire les dérives choquantes caractéristiques d’un organe politique tel que la Commission des droits de l’Homme de l’ONU. Au delà de la question institutionnelle - de quel organe s’agira-t-il ?- la FIDH souligne que c’est la volonté politique des Etats qui la composent qui manque à la Commission pour s’acquitter de son mandat. La crédibilité d’une réforme institutionnelle dépendra en conséquence de l’effectivité des moyens qu’elle doit prévoir, de réduire les volontés étatiques de neutralisation du système de protection. En consequent, la FIDH considère qu’une évolution institutionnelle doit reposer sur trois clauses de sauvegarde au moins :

1.la composition de l’organe doit reposer sur le principe de representation géographique équitable ;

2.la candidature des Etats à cet organe doit être soumise à des engagements clairs, mesurables et sanctionnables. La FIDH propose à cet égard que les Nations unies posent l’obligation pour un Etat candidat d’émettre une invitation permanente aux mécanismes de protection des droits de l’homme. L’effectivité de cette invitation serait publiquement évaluée par le Haut Commissariat aux droits de l’Homme et les mécanismes de protection eux mêmes. Le défaut de mise en oeuvre par un Etat de son invitation devrait être automatiquement sanctionné, au terme d’une période probatoire de 12 mois, par son exclusion de l’instance ;(voir le communiqué du 11/04/2005)

3.la confirmation du mandat de protection de l’organe : le renforcement à cette fin des procédures spéciales indépendantes qui sont le coeur du système universel de protection des droits de l’homme, ainsi que du Haut Commissariat aux Droits de l’Homme des Nations unies.

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