[TRIBUNE] TAFTA et Traité ONU : l’Europe doit donner la priorité aux droits humains

Les violations des droits humains commises par des entreprises sont une réalité quotidienne, et restent impunies dans de trop nombreux cas. La semaine passée, des discussions se sont tenues aux Nations Unies au sujet de l’instauration de règles internationales visant à tenir les entreprises responsables pour les dommages qu’elles causent et à garantir un accès à la justice aux communautés affectées. Alors que l’Union Européenne a fait le choix de ne pas participer à ces discussions, elle s’est par ailleurs engagée dans un nouveau cycle de négociations sur le TAFTA. Comment ne pas se poser la question de qui l’UE défend-t-elle réellement : les citoyens ou les intérêts du secteur privé ?

Malgré une forte opposition citoyenne – une pétition anti-TAFTA a récolté à ce jour plus de 2.5 millions de signatures – le 10e cycle de négociations sur le très controversé Partenariat Transatlantique de Commerce et d’Investissement (TAFTA/TTIP) va se terminer ce vendredi à Bruxelles. La Commission Européenne travaille scrupuleusement avec les représentants américains et le secteur privé afin d’aboutir à un accord qui protégerait les investisseurs étrangers, leur offrant la meilleure protection possible, ainsi que des droits opposables et des possibilités de recours. Cette ardeur contraste avec la valse hésitation de la délégation européenne la semaine passée aux Nations-Unies durant les discussions sur un futur traité international qui encadrerait le comportement des entreprises et permettrait aux victimes de violations des droits humains par des entreprises d’obtenir réparation.

En effet la première session du Groupe de travail intergouvernemental sur les sociétés transnationales et autres entreprises et les droits de l’Homme, qui a eu lieu du 6 au 10 juillet à Genève, a débuté sur l’objection des Européens au programme de travail. L’UE et les quelques États membres présents dans la salle réclamaient une interprétation plus large du mandat du traité durant les discussions, afin d’étendre le champ d’application et d’inclure toutes les entreprises et pas uniquement les entreprises transnationales. Cette proposition n’ayant pas trouvé de soutien parmi les autres États, l’UE a fait le choix de quitter les discussions au deuxième jour de la session.

Cette question de l’extension du champ d’application proposé par l’UE a d’ailleurs été soutenue par les experts en droits humains et ONG lors de leurs interventions. Il est effectivement important que tout en adressant les défis posés par les activités à caractère transnational des entreprises, le futur traité doit tenir compte de la complexité des structures d’entreprises afin de ne pas créer de failles dans le futur instrument, et se doit d’englober toutes les entreprises sans se limiter à celles définies comme transnationales.

Il est regrettable que plutôt que de faire valoir ces arguments de manière constructive durant les sessions, l’UE ait fait le choix de les introduire comme conditions préliminaires à son engagement. De manière prévisible, ceci a retardé la session et a finalement été utilisé par l’UE pour quitter les discussions. Avec le recul, comment ne pas s’interroger sur cette attitude « à prendre ou à laisser » : maladresse politique, ou intention de porter atteinte aux discussions et ainsi de se ménager une stratégie de sortie ?

Choisir la politique de la chaise vide plutôt que de s’engager dans un débat constructif, s’ajoutant à la forte impulsion des institutions européennes pour faire aboutir le TAFTA, donne un portrait peu reluisant d’une Europe qui place les intérêts de ses entreprises avant les droits humains.

L’avenir de la population européenne et mondiale repose sur l’élimination des pratiques commerciales irresponsables et sans scrupules, et sur la garantie d’un accès à la justice au niveau national, régional et international. Les processus visant à faire respecter les droits humains à l’échelle mondiale doit devenir une priorité pour l’UE et ses États membres. Cet objectif pourra seulement être atteint grâce à l’élaboration de cadres normatifs exhaustifs qui établiront des règles claires et des mécanismes de reddition de comptes efficaces, et qui rendront les violations des droits humains trop coûteuses et risquées pour les entreprises.

L’UE doit se démarquer des États comme les USA, le Canada ou l’Australie et prouver qu’elle ne se limite pas à prétendre être un défenseur des droits humains, mais agit comme tel, tant sur le continent qu’à l’étranger. Le gouvernement belge, prompt à promouvoir les droits humains et par ailleurs candidat à un siège au Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU en 2016, ne peut décemment joindre à une absence de stratégie claire au niveau national, une politique de la chaise vide au niveau international.

Durant les discussions à Genève, un consensus a émergé entre les États participants, les experts et la société civile sur la nécessité d’un instrument contraignant. Toutes les parties prenantes ont convenu que développer une réglementation transnationale est essentiel afin de combler les lacunes législatives qui laissent les victimes désarmées et entravent leur lutte pour la justice. Ce serait également une étape obligatoire dans le rééquilibrage du pouvoir entre les pays d’origine des entreprises transnationales et les investisseurs étrangers, et pour s’assurer que les droits humains passent avant les accords transnationaux et le gain financier privé. L’Union européenne doit s’engager de bonne foi et de manière constructive dans le processus de développement du traité, et donner une impulsion historique pour mettre un terme à l’impunité des entreprises et en faveur des droits humains.

Karim Lahidji
FIDH

Jérôme Chaplier
European Coalition for Corporate Justice (ECCJ)

Paul de Clerk
Friends of the Earth Europe (FoEE)

Op Ed : TAFTA et Traité ONU : l Europe doit donner la priorité aux droits humains

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