Les droits de l’Homme : une universalité affichée, en perpétuelle construction.

Les spécificités culturelles ne s’accommoderaient pas des droits humains. En
Malaisie ou à Singapour, il s’agit du discours des sphères dirigeantes, qui
veulent maintenir leur population dans des situations de non-droit.
Curieusement, les cultures semblent assez proches pour permettre les échanges
commerciaux. On remarquera, par ailleurs, qu’il existe des défenseurs de ces
mêmes droits humains dans des pays des cinq continents, défenseurs qui semblent
pourtant avoir intégré les singularités de leurs cultures. Quoi qu’il en soit,
il est incongru de penser que la torture puisse être une spécificité culturelle
chinoise, que le régime à parti unique appartienne à la culture africaine ou
que les centres fermés pour étrangers soient un pur produit européen. La
torture, la dictature, les crimes de guerre, contre l’humanité et les génocides
sont des scandales où qu’ils se pratiquent. Et l’impunité qui s’ensuit trop
souvent est intolérable.

Certaines régions du monde seraient, quant à elles, plus attachées à la
communauté et à la famille, lieux de solidarité, qu’à l’individu. Une lecture
moderne de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH), qui traite
les droits humains comme indivisibles et interdépendants, contient en elle la
tension entre l’individu et la collectivité. Une lecture exclusivement libérale
des droits humains est dépassée. L’individu jouit de droits d’abord en tant
qu’individu, certes, mais en tant qu’individu inscrit dans la société et
participant à la collectivité. La communauté et la solidarité qui la sous-tend,
ne sont d’ailleurs envisageables que si elles reconnaissent la dignité des
individus qui y prennent part.

La DUDH, à la base, occidentale serait utilisée à des fins néocolonialistes.
Ne nous trompons pas sur l’origine des maux. Ce ne sont pas les droits humains
qui asservissent les populations, mais plutôt, les régimes totalitaires et
dictatoriaux, de même qu’une certaine conception de la mondialisation de
l’économie, qui creuse le fossé entre pays riches et pays pauvres. Conditionner
l’octroi de l’aide au développement au respect des droits fondamentaux peut
parfois apparaître comme un chantage, comme un moyen de pression économique qui
maintient les pays dans des situations de misère. Cependant, c’est aussi une
arme qui permet à la fois de faire pression sur les pouvoirs arbitraires et de
contrer la généralisation de la logique de marché pure et dure au détriment de
l’humain. Les mauvais usages d’un bon outil ne doivent pas le disqualifier, et
on ne trouvera personne pour dire que ce sont les droits humains qui tuent
l’enfant soldat, prostituent l’adolescent ou porte atteinte aux droits des
femmes jusqu’à les violer en temps de guerre comme en temps de paix. Ce sont
les droits de l’Homme qui exigent des états le respect et la garantie des
droits pour les migrants, où qu’ils se trouvent dans le monde.

La DUDH est certes un texte essentiellement occidental à la base : les
pays colonisés à l’époque n’ont pas eu voix au chapitre. Cela ne doit néanmoins
pas occulter le fait que si cet outil est performant, il doit pouvoir être
utilisé partout, quelle que soit son origine. Ce qu’il faut éviter, c’est le
sacrifice de cultures particulières : ne pas considérer l’universalité
comme un postulat intangible, accepter de la refonder par la rencontre de
l’autre et par la discussion, la concevoir comme une œuvre à faire, à laquelle
tous doivent participer. Cela nous oblige à balayer devant notre porte, à
dénoncer les violations des droits de l’Homme dans nos « paradis »
occidentaux, ce qui créera également du lien culturel : nul n’est à l’abri
de ces violations ; nous n’avons aucune bonne conscience à exporter.

Tantôt qualifiés de postmodernes, dépassant les clivages idéologiques
totalisant de la gauche comme de la droite, tantôt taxés de nouvelle religion
civile au parfum néocolonial, les droits de l’Homme sont plutôt pour nous une
merveilleuse construction humaine, juridique certes, mais dynamique dans sa
constante évolution à travers les déclarations et énonciations historiques
successives, favorisant les combats politiques majeurs pour porter au plus haut
niveau l’émancipation et l’effectivité de la dignité humaine. Ils ne doivent
donc pas être vus comme un nouveau catéchisme, une parole absolue, ou encore
une rhétorique creuse. Tout le monde semble être pour, s’en revendique, les
convoque ; personne n’ose être contre, du moins en public. Ils deviennent
alibi, cache-sexe. Le risque est donc grand de voir perdre leur force critique
à ces outils juridiques fabuleux, qui ont permis et permettront encore des
avancées politiques majeures pour rendre plus effective la dignité humaine. Il
nous faut dès lors rappeler chacun à sa responsabilité (en particulier les
états, qui se sont obligés eux-mêmes), encore et encore sensibiliser, informer,
mobiliser, par la dénonciation et la formation, pour que chacun s’approprie ces
droits, pour en revendiquer la garantie et le respect pour soi et pour autrui,
pour que nous puissions les acter dans notre vie de tous les jours, leur donner
chair dans notre quotidien.

Dire c’est bien. Faire c’est mieux : Agissons droits de
l’Homme.

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