Point 3 : Administration de la justice, état de droit et démocratie

28/07/2005
Communiqué

Sous-Commission des droits de l’Homme

57ème session

25 juillet - 12 août 2005

Point 3 de l’ordre du jour : Administration de la justice, état de droit et démocratie.

INTERVENTION ORALE

Monsieur le Président

La Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) souhaite attirer votre attention sur les nombreuses procédures judiciaires engagées en vertu de la compétence universelle des tribunaux pour juger les auteurs d’actes de torture et autres crimes internationaux.

L’article 5.2 de la Convention des Nations unies contre la Torture organise ce mécanisme de compétence universelle pour les crimes de torture, en ce que les Etats parties sont tenus d’établir leur compétence en droit interne à l’égard du crime de torture, alors même que ce crime n’aurait aucun lien de rattachement direct avec ces Etats. La seule exigence dans ce cas consiste en la présence de l’auteur présumé du crime de torture sur le territoire de l’Etat partie. Ainsi, un Etat partie sur le territoire duquel est présent un auteur présumé de torture est mis devant l’alternative aut dedere au judicare : soit il décide de l’extrader vers un Etat qui le demande pour le juger, soit il soumet l’affaire aux juridictions nationales compétentes afin qu’elles le jugent elles-mêmes.

L’utilisation récente du principe de compétence universelle est le fruit d’un double constat de la part des victimes des crimes les plus graves et des organisations de défense des droits de l’Homme : l’incapacité ou la défaillance des Etats dans la lutte contre l’impunité au niveau national et la prise de conscience progressive que les victimes pouvaient revendiquer le respect des droits de l’Homme en portant plainte et en mettant les Etats face à leurs obligations internationales. Les victimes peuvent donc outrepasser les Ministères publics frileux, corrompus ou défaillants en déclenchant, seules, des actions judiciaires.

Comme pour l’Alien Tort Claim Act1, le principe de compétence universelle en matière pénale n’a connu un réel essor qu’après que le juge d’instruction Garzon décidât de s’en servir pour connaître des crimes commis par la junte argentine sur des familles espagnoles ou d’origine espagnole dans le cadre de la célèbre affaire Pinochet.

Il eût été cohérent que les Etats ayant intégré le principe de compétence universelle dans leur droit interne soient, par la suite, les premiers défenseurs de ce qui apparaît aujourd’hui comme un formidable outil de lutte contre l’impunité. C’est pourtant le contraire que l’on constate. Cette défaillance est d’autant plus grande que l’on note à l’inverse une dynamique réelle lorsqu’il s’agit par exemple, d’enquêter et de poursuivre les auteurs présumés de crimes de terrorisme. Force est de constater que l’application du mécanisme de compétence universelle est - dans la quasi-majorité voire la majorité des cas - conditionnée aux démarches pro-actives des victimes et des organisations non gouvernementales qui les soutiennent.

De facto, les plaintes se multiplient seulement dans les Etats disposant du mécanisme de constitution de partie civile. C’est vrai en Belgique, en France, en Suisse, au Sénégal ou encore en Espagne. C’est enfin vrai aux Etats-Unis, mais devant les juridictions civiles.
A cet égard, la FIDH se félicite que pour la première fois, le principe de compétence universelle ait abouti en France à une condamnation de dix ans de prison contre le capitaine mauritanien Ely Ould Dah

Les victimes ne peuvent, sous peine d’épuisement, continuer à se battre seules pour l’application effective du principe de compétence universelle. Alors que la Cour pénale internationale est entrée en vigueur le 1 er juillet 2002, les Etats doivent s’engager dans une politique cohérente de lutte contre l’impunité. Comme la CPI ne règle en rien l’impunité des crimes du passé, le principe de compétence universelle permettrait de remédier en partie à cette aberration !

La FIDH souhaite en conséquence appeler la Sous-Commission des droits de l’Homme à se pencher sur cette question, afin de recenser les différentes utilisations de ce principe dans le monde, clarifier les obligations juridiques des Etats en la matière, et encourager les Etats à les respecter.

Monsieur le Président, la FIDH a récemment été autorisée par les autorités à se rendre en Algérie et a ainsi pu prendre acte des engagements du gouvernement algérien de laisser aux ONG internationales un accès libre à l’ensemble de son territoire. A l’issue de cette visite, la FIDH n’a pu que constater que la question des disparitions, qu’il s’agisse des disparitions imputées aux membres des forces de l’ordre, à leurs supplétifs ou aux groupes armés rebelles, continue de ne pas être traitée de manière adéquate.

La FIDH déplore que le rapport rédigé par la Commission nationale consultative de protection et de promotion des droits de l’Homme (CNCPPDH), chargé de faire la lumière sur la question, n’ait pas été rendu public. Les grandes lignes de ses conclusions, telles que rapportées par la presse, tendent à envisager une indemnisation des victimes et une reconnaissance de la responsabilité de l’Etat.

En revanche, la recherche de la vérité des faits comme des responsabilités ne semble pas avoir été envisagée. Les récentes déclarations publiques du Président de la République laissent à penser qu’une loi d’amnistie générale serait soumise, d’ici quelques mois, à référendum.

En Colombie, la FIDH est préoccupée par le projet de loi « Justice et Paix » (Justicia y Paz) devant organiser la démobilisation des paramilitaires. La FIDH estime que ce projet de loi ne répond pas de manière satisfaisante à l’obligation des autorités colombiennes de garantir le droit des victimes à la vérité, la justice et la réparation, en organisant une quasi-impunité des auteurs des crimes les plus graves.

Le projet prévoit en effet que les paramilitaires puissent « confesser » leurs crimes, en échange de peines s’échelonnant entre 5 à 8 ans de réclusion, avec la possibilité de déduire de la peine les 18 mois passés dans la zone de négociation. Ces peines pourraient être effectuées dans des fermes agricoles -actuelles zone de réclusion par exemple pour le dirigeant paramilitaire Don Berna- au lieu de centres pénitentiaires fermés.
Il n’y a par ailleurs aucune incitation pour que les paramilitaires confessent de manière exhaustive les crimes qu’ils ont commis, la vérité sur de nombreux crimes ne sera donc pas connue. De plus ; chaque enquête autour de crimes confessés ne dépassera pas 60 jours, limitant d’autant la recherche de la vérité sur les crimes « confessés ». Enfin, le projet reste flou sur les modalités de réparation des victimes, envisageant la restitution des biens matériels, mais rien sur les autres formes de réparation morale.

Au vu de ces deux exemples récents, la FIDH appelle la Sous-Commission des droits de l’Homme à rappeler les principes entourant le droit à la vérité et la justice, que les Etats ont l’obligation de respecter dans les processus de justice transitionnelle.

Monsieur le Président, je vous remercie.

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