Grèce : Un rapport dénonce les atteintes aux droits humains résultant de la politique d’austérité

Les mesures d’austérité adoptées en réponse à la crise économique grecque ont eu des impacts très négatifs sur les droits humains et les libertés fondamentales dénoncent la FIDH et son organisation membre, la ligue hellénique des droits de l’homme (HLHR), dans un rapport présenté aujourd’hui à Athènes.

Le rapport présente les résultats d’une mission d’enquête menée par la FIDH et la HLRH en janvier 2014. Il décrit un pays où les difficultés économiques combinées à l’austérité menacent les bases de la démocratie et portent atteinte aux droits humains ; des droits sociaux et économiques aux droits civiques et politiques. Le rapport expose également les risques inhérents aux politiques qui ne tiennent pas compte de leurs impacts sur la société, et souligne la part de responsabilité des institutions nationales et internationales, en particulier de l’Union européenne et de ses États membres. Il formule des conclusions qui s’appliquent non seulement à la Grèce mais aussi à tous les pays bénéficiant d’une assistance économique dans le contexte d’une grave récession économique.

Dans le contexte de la négociation du plan de renflouement au sein de l’Eurogroup et des élections présidentielles organisées dans le pays, le rapport indique que les atteintes aux droits et libertés individuelles sont aussi importantes que les coupes budgétaires, en Grèce mais aussi dans d’autres pays d’Europe.

« Les mesures prises par la Grèce pour satisfaire les exigences de ses créanciers prouvent que certains sont prêts, aussi bien en Grèce qu’à l’étranger, à consentir à presque tous les sacrifices au nom de la reprise économique » a déclaré à Athènes le président de la FIDH Karim Lahidji, à l’occasion de la publication du rapport. « Même si nous acceptons que certaines circonstances exceptionnelles requièrent des réponses exceptionnelles, il n’en reste pas moins que la manière dont les politiques ont été adoptées et mises en œuvre bafouent de toute évidence les normes internationales », a poursuivi Karim Lahidji.

Les objectifs draconiens de réduction du déficit et de la dette définis par la Troïka ont été atteints principalement par des coupes dans les dépenses publiques, notamment les services essentiels comme le travail et la santé, sans prendre en compte la nécessité de préserver un niveau de service minimal et de respecter des obligations fondamentales en relation avec ces droits. Les autorités ont ainsi négligé les effets sociaux désastreux probables des programmes convenus avec la Troïka et n’ont pas apporté de réponse à des situations préexistantes, notamment l’inégalité d’accès aux droits économiques et sociaux, qui a été exacerbée par ces mesures. À vrai dire, l’impact des mesures sur les droits humains n’a jamais été considéré ni par la Grèce ou ni par la Troïka.

Seuls des objectifs économiques et financiers ont été pris en compte ce qui a eu un effet délétère sur un marché du travail et un système de santé déjà traumatisés. Les réductions massives d’emploi dans le secteur public et l’incapacité à répondre aux besoins sociaux fondamentaux découlant de la crise ont donné lieu à une flambée du taux de chômage, qui a atteint 28 % en septembre 2013, un niveau sans précédent, dont 60,8% chez les jeunes (février 2013), avant de respectivement se stabiliser à 25,7% et 49,3%. Cette situation a également accentué des inégalités déjà existantes, les catégories vulnérables payant le plus lourd tribut au manque d’accès à l’emploi et à la détérioration des conditions de travail. En février 2012 (après la négociation du deuxième plan de renflouement), le salaire minimum a été réduit de 22% pour les travailleurs de plus de 25 ans et de 32% pour les autres, tandis que les réformes visant à rendre le marché du travail plus « flexible » se traduisaient par une réduction significative de la protection des droits des travailleurs. L’austérité a clairement augmenté l’inégalité.

L’accès aux soins de santé de base s’est également fortement détérioré suite aux coupes dans le budget de la santé publique et des services et programmes de santé publique essentiels. Les médecins rapportent avoir parfois dû refuser des patients et repousser des interventions majeures en raison d’un manque de lits et des réductions du personnel hospitalier, déjà épuisé et en sous-effectif. Les difficultés que rencontrent les chômeurs pour contracter une assurance santé ont gravement porté atteinte à l’accès aux soins, malgré de récentes réformes visant à garantir l’accès aux services publics pour les non-assurés. Comme le montre le rapport, une fois de plus, ce sont les groupes vulnérables, comme les femmes, les migrants et les jeunes qui sont frappés de plein fouet.

« Contrairement aux finances, les droits humains et les libertés fondamentales ne peuvent pas faire l’objet de plans internationaux de renflouement » a déclaré Konstantinos Tsitselikis, Président de la HLHR. « Les politiques économiques et fiscales ont ignoré de manière éhonté leurs impacts sociaux dévastateurs et les autorités ont failli à apporter l’assistance sociale requise. En agissant de la sorte, la Grèce a manqué à ses obligations internationales et a bafoué les droits humains fondamentaux de ses citoyens. »

Les droits civiques et politiques n’ont pas été épargnés. La population n’a pas été impliquée dans la conception des programmes d’austérité et les mouvements de protestation sociale ont reçu une réponse toujours plus violente de la part des autorités. Les incidents survenus dans ce contexte ont rarement fait l’objet d’une enquête et encore moins de poursuites. Les groupes d’extrême droite, et plus spécialement le parti néo-nazi Aube Dorée voient leurs rangs se gonfler car ils tirent parti du mécontentement de la population et s’appuient sur un programme fort de lutte contre l’austérité. Le gouvernement a également adopté une attitude très ferme à l’encontre de la critique publique, rendant l’environnement social et professionnel progressivement plus étouffant pour les médias indépendants et les voix discordantes. C’est dans ce contexte que l’office de radiotélévision publique a été fermée à l’été 2013, provoquant l’indignation en Europe et Outre-Atlantique.

En décrivant les défis auxquels le pays est confronté et en les évaluant par rapport aux standards internationaux des droits humains, le rapport vise à montrer que ce qui, au début, était une crise économique et financière, a mué en une joute sans précédent à l’encontre des droits humains et des règles démocratiques. Cela s’applique d’ailleurs à tous les pays partageant le même sort. Le rapport appelle tous les acteurs impliqués à relever ces défis et à réviser leur approche qui menace les fondements mêmes de l’Union européenne et de ses États membres.

Même si l’état grec doit assumer la responsabilité première des violations des droits humains survenues sur son territoire, il n’en reste pas moins que l’UE et le FMI, en imposant des mesures anti-crises, ont aussi manqué à leurs obligations en vertu du droit international. En outre, les États membres de l’UE, qui ont mis en place la Troïka et validé ses propositions, ont failli à leurs propres obligations d’aider la Grèce à remplir ses engagements en matière de droits humains. En particulier, l’UE n’a pas respecté son obligation de respecter, protéger et promouvoir les droits humains édictés dans ses propres textes fondateurs et dans la Charte des droits fondamentaux. « Je me demande vraiment si les droits humains ont suscité la moindre préoccupation lors de la conception et la mise en œuvre des plans de « sauvetage » du pays. Au contraire, il semblerait qu’ils aient été considérés comme un dommage collatéral acceptable de la gestion de crise, ou comme une réponse bien méritée au « problème grec. Ceci est tout simplement inacceptable. », a conclu Dimitris Christopoulos, Vice-président de la FIDH.

Certaines parties du rapport ont été rédigées en collaboration avec Global Initiative for Economic, Social and Cultural Rights.

Dévaluation des droits : le prix de l’austérité en Grèce

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